Élections en Grèce : Syriza rêve d’un rejet de l’ordre néolibéral mais échoue temporairement

mercredi 31 mai 2023.
 

Ce 21 mai 2023, le scrutin de ces élections législatives grecques était entièrement proportionnel, sans prime majoritaire.

Voici le résultat pour les quatre forces arrivées en tête : La droite au pouvoir (Nouvelle Démocratie) du premier ministre Kyriákos Mitsotákis obtient 40,85% des voix, le parti Syrisa dirigé par Aléxis Tsípras 20,06%, le Parti socialiste grec 11,57% et le Parti Communiste 7,19%

Deux autres forces auparavant liées à Syrisa obtiennent 5% à elles deux : celle dirigée par Varoufakis et celle animée par Zoé Konstantopoúlou.

Les forces de gauche obtiennent donc environ 44%.

L’extrême droite ne réussit pas de percée avec 3,71%

Athènes (Grèce).– Des drapeaux rouges flottent sur la place devant le Parlement, où sont figés quelques evzones, les fameux gardes en uniforme. Les touristes semblent perdus parmi les milliers de fans du parti de gauche Syriza, réunis ce 18 mai. Les basses crachent un remix du chant des partisans italiens Bella Ciao quand soudain, la foule hurle. Le leader du parti, Aléxis Tsípras, vient d’arriver sur scène pour le plus grand meeting de Syriza, à trois jours des législatives grecques du 21 mai. « Dimanche nous serons le premier parti. Lundi, nous aurons un gouvernement », harangue-t-il, faisant rêver les quadragénaires ou quinquagénaires majoritaires dans le public.

Malgré l’exaltation du rassemblement, Panagiotis, un pharmacien biologiste, admet que la campagne Syriza « séduit moins » les foules qu’aux dernières élections. « La victoire sera difficile, mais je veux y croire car nous voulons un retour à la démocratie qui nous a été enlevée avec cette droite autoritaire, explique-t-il. Le problème est que beaucoup de Grecs, et surtout la jeune génération, ne savent pas quoi voter. » Selon une enquête d’opinion du 5 mai, 20 à 25 % des citoyens étaient encore indécis. « Mais les médias grecs, tous pro-Nouvelle Démocratie, leur bourrent le crâne : ils ne parlent que de Mitsotákis, accuse Panagiotis. Aléxis Tsípras est limité dans sa campagne. »

L’ancien premier ministre (2015-2019) est le principal adversaire de Nouvelle Démocratie, le parti néolibéral au pouvoir, fragilisé en février par une collision ferroviaire qui a révélé les failles du service public. Nombre de Grecs réclament plus « d’État social », soit les principaux arguments de campagne de Syriza. Le parti de gauche, lui, promet la hausse du smic à 880 euros brut dans le privé (contre 780 euros aujourd’hui), la baisse de la TVA sur les aliments à 6 % (contre 13 %), une augmentation de 7 % des dépenses de santé, etc.

Amalia, professeure à l’université d’économie d’Athènes, boit les paroles de Tsípras, poing levé sur sa tribune illuminée. « Il faut tout faire pour que Syriza reprenne la tête du pays, explique-t-elle. Le parti n’a pas pu appliquer son programme lorsqu’il était au pouvoir à cause de la Troïka [BCE, FMI, Commission européenne – ndlr] ! » De 2010 à 2022, les plans de sauvetage Mémorandum, dont le troisième accepté par le parti Syriza lui-même, avaient entraîné une surveillance accrue des finances publiques par ces créanciers. Une logique freinant toute hausse des salaires et recrutements dans le public.

« Syriza était sous pression. Mais la Grèce est sortie de la surveillance renforcée de la Commission européenne en 2022. Maintenant, Tsípras pourra enfin appliquer son programme social », veut croire Amalia. Elle se dit en colère contre Nouvelle Démocratie : « La droite néolibérale a détruit le pays. Elle a continué de vendre la Grèce à la découpe et poursuivi les privatisations. »

Le programme des privatisations - l’un des piliers des Mémorandums - revient dans la bouche de beaucoup de Grecs amers. Nombre d’entreprises publiques ont été cédées à des sociétés étrangères au cours de la dernière décennie. À titre d’exemple : les touristes arrivent en Grèce par des aéroports aux mains du groupe allemand Fraport, qui en a racheté quatorze. En pleine expansion, le chinois Cosco, qui a repris l’important port du Pirée, a pu réinvestir dans l’exploitation du fret, auparavant public, pour acheminer ses marchandises.

Et pendant que ces sociétés étrangères semblent prospérer, l’inflation - 9 % en 2022 - pèse lourd sur le portefeuille. « Syriza envisage de stopper ce programme de privatisations et de renationaliser le groupe d’électricité DEI [l’équivalent de l’EDF en Grèce – ndlr] », s’emballe Amalia.

La gauche fragmentée

Malgré la confiance du parti, nombre d’observateurs politiques ne croient pas à la victoire de Syriza dimanche, pas plus qu’à celle de la droite de Nouvelle Démocratie. Pour la première fois, le scrutin se déroule à la proportionnelle intégrale en raison d’une modification de la loi électorale. Aussi, si aucune des forces politiques - seule ou en coalition - n’obtient une majorité des voix, une nouvelle élection se tiendra le 2 juillet, sous une règle différente - le premier parti des urnes obtiendra une prime de 50 sièges au Parlement.

Certains électeurs espèrent alors des coalitions de grands partis avec des forces politiques minoritaires. Quelles options d’alliances à gauche ? L’historique parti communiste KKE (qui a toutefois presque toujours fait cavalier seul), le Pasok (l’imposant parti socialiste qui a chuté en 2012) et enfin Mera 25 de l’ex-ministre des finances Yánis Varoufákis (démissionnaire du gouvernement Syriza en 2015) siégeaient jusqu’ici au Parlement.

Panagiotis, lui, mise lui sur l’association Pasok, Syriza, Mera 25 : « Tout est possible car beaucoup de citoyens veulent la fin de l’autoritarisme ! » La professeure Amalia rêve, de son côté, d’une « alliance entre Syriza et Mera 25 ».

Mais le principal atout de la droite n’est-elle pas la division de la gauche grecque, où les dissensions restent fortes ? Nombre de forces de gauche n’oublient pas la signature par Syriza du Mémorandum III à l’été 2015, perçue comme une « trahison ».

Michalis Spourdalakis, professeur de sociologie politique à l’université d’Athènes, n’imagine pas « une énorme surprise pour ce premier scrutin malgré une hausse des petits partis comme Mera 25 et KKE ». En raison du vote des jeunes, notamment. Dans ses meetings, le Front de désobéissance réaliste européen, dit Mera 25, semble en effet séduire un électorat anti-austérité jeune, miné par le chômage - 30 % chez les moins de 30 ans - et réfractaire à Syriza. Les communistes eurosceptiques du KKE, eux, semblent aussi séduire les étudiants : 36 % des jeunes ont voté pour les jeunesses communistes aux élections étudiantes de la mi-mai.

D’autres observateurs politiques craignent que Syriza ne paye dès le premier scrutin son étiquette de parti du système. Force politique initialement radicale en 2012, elle est aujourd’hui assimilée par des déçus au « nouveau Pasok », soit le parti traditionnel historique rival de Nouvelle Démocratie au Parlement.

« Lorsqu’elle était dans l’opposition parlementaire, Syriza n’a pas proposé d’alternatives aux logiques néolibérales de la droite, estime Seraphim Seferiades, professeur de sciences politiques à l’université Panteion d’Athènes. Les citoyens de gauche le voient et n’ont pas le sentiment que Syriza pourra incarner leur colère d’aujourd’hui. C’est pour cela que la droite Nouvelle Démocratie reste encore favorite du scrutin. »

En apparence, la droite déborde en effet de confiance. « À quelques heures de la nouvelle grande victoire de la Nouvelle Démocratie. Toute la Grèce, toute Athènes est bleue [couleur du parti - ndlr] », annonçait vendredi le premier ministre Mitsotákis, lors de son meeting à l’Acropole d’Athènes. Face à lui, des hommes en costume exultaient alors en agitant leurs drapeaux grecs face au Parthénon, au loin. La taille modeste de la place arborée où se tenait le discours donnait une impression de foule dense. Mais là non plus, les Grecs ne semblaient pas si nombreux au rendez-vous. Marquée par une démobilisation des citoyens, la campagne a été révélatrice d’une certaine désillusion.

Elisa Perrigueur


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