Après quinze jours de détention provisoire suite à la manif du 1er mai, un manifestant enfin libéré

mardi 23 mai 2023.
 

Arrêté le 1er mai, Eliakim B. avait été placé en détention provisoire en même temps que quatre autres manifestants. Seul à y être resté plus longtemps, il a été remis en liberté ce 16 mai par le même magistrat qui, une semaine plus tôt, l’avait maintenu en prison.

La détention provisoire devient-elle une méthode de pression sur les manifestants ? Six personnes, arrêtées le 1er mai, devaient passer en comparution immédiate jeudi dernier. Or, cinq d’entre elles ont été « réorientées », à la dernière minute vers une comparution préalable et placées en détention provisoire pendant cinq jours, avant d’être finalement présentées devant le tribunal.

Officiellement, cette décision a été prise par le parquet de Paris sous le prétexte d’une surcharge de la chambre des comparutions immédiates, le jeudi en question. Mais sur la masse des dossiers du jour – qui comprend des profils très divers – seuls les manifestants ont eu droit à ce traitement.

Ils ont donc été présentés devant un juge de la détention et des libertés (JLD) – Frédéric Nguyen – réputé pour son extrême sévérité. Le parquet de Paris a, par ailleurs, requis un placement en détention provisoire pour tous ces jeunes gens. Pourtant, leurs casiers sont majoritairement vierges, il leur était reproché des infractions que l’on retrouve régulièrement dans les dossiers de manifestants et ils présentaient des garanties de représentations solides.

Résultat : à l’heure où la surpopulation carcérale atteints de nouveaux records (taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt à 142,2%), tous ont été envoyés en prison. « Une journée de la honte », selon maître Coline Bouillon qui les a assistés devant le JLD lors d’audiences en « cabinet », c’est-à-dire non ouvertes au public.

« Quel est l’objectif ? L’humiliation »

Les motifs d’incarcération émis par le JLD, qui ne doit pas se prononcer sur le fond de l’affaire, sont parfois surprenants. Axelle B., accusée de rébellion, de feu de poubelles, d’attroupement et de jet de projectile sur les policiers, est placée derrière les barreaux, au motif qu’originaire du Rhône, elle n’avait « pas de raison sérieuse de se trouver à Paris » ce 1 er mai et qu’on pouvait craindre qu’elle ne se représente pas devant la juridiction quelques jours plus tard.

Charles, étudiant en cinéma à Paris 8, au casier vierge, accusé d’un jet de projectiles est, lui, envoyé en prison pour un « risque de concertation » dont on peine à comprendre les contours. D’autant qu’il est possible de laisser libre une personne tout en lui interdisant, via un contrôle judiciaire, d’en rencontrer une autre. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est très claire : « Pendant la période avant le procès, la liberté est la règle, la liberté est prioritaire. La détention provisoire est une exception », peut-on lire sur son site.

Charles a aussi été mis en prison parce qu’il avait fait l’objet, par le passé, de deux rappels à la loi. « On passe désormais directement du rappel à la loi à la détention provisoire : il n’y a donc plus aucune gradation ! » S’étouffe Alexis Baudelin, avocat de la défense.

Pour Lolita, 23 ans, étudiante en philosophie au casier vierge, accusée de dégradation, c’est à cause de son opposition « aux opérations de signalisations » qui attesterait, selon le juge Nguyen, « d’une volonté de soustraction de la justice ». Le magistrat l’a donc envoyé en prison sous le prétexte d’assurer sa « représentation en justice ».

On passe désormais directement du rappel à la loi à la détention provisoire.

Il considère aussi qu’au « regard de son interpellation et de son comportement en garde à vue » dont il n’est pas fait détail dans les motivations, un « risque de réitération » serait à craindre sur les cinq jours qui la sépare de son passage devant le tribunal. « Quel est l’objectif de ces placements ? L’humiliation. Faire mal ? Essayer d’avoir des aveux ? », s’est demandé Maitre Raphael Kempf en audience.

Tous finalement libérés… sauf un

Devant le tribunal correctionnel, mardi 9 mai, tous ont demandé le renvoi de leur dossier à une date ultérieure pour préparer leur défense. En attendant, tous ceux qui avaient été mis en prison de manière étonnante par le JLD, ont finalement été libérés et placés sous contrôle judiciaire strict. Tous, sauf un.

Eliakim, seul manifestant d’origine maghrébine du groupe employé chez Amazon, accusé de jet de projectile et de dissimulation du visage a été maintenu en détention jusqu’à son jugement, le 13 juin prochain. À l’annonce de cette décision, le public a hurlé au jugement « raciste », en quittant la salle. Le mis en cause dans son box, connu des services de police pour des faits mineurs et sans rapport, est lui aussi reparti dans les geôles.

Le magistrat a donc refusé de donner ses motivations, clamant à l’huissier : « Il faut faire venir plus de policiers » alors que les gens criaient dans le couloir : « Police partout, justice nulle part ». La mère du prévenu a fait un malaise nécessitant l’intervention d’une équipe de secours. « Il y a quand même eu quatre contrôles judiciaires : il ne faut pas exagérer ! », s’est permis le magistrat.

Une semaine plus tard, suite à une demande de mise en liberté formulée par les avocats de la défense, le même magistrat, refusant d’admettre qu’il n’avait pas donner ses motivations une semaine plus tôt, a pris une décision contraire « en considération d’éléments nouveaux au sujet de la constance des activités professionnelles ».

À l’audience, maître Rajbenbak a dénoncé une « orientation illégale » de ces dossiers. De son côté, maître Raphael Kempf s’est étonné de la présence dans un procès-verbal du parquet de l’apparition pour le seule Eliakim, d’une éventuelle interdiction du territoire français. « Je m’interroge : pourquoi vise-t-on, pour Eliakim qui est pourtant français, une mesure qui n’apparaît nulle part ailleurs ? » Après quinze jours en détention, le jeune homme a finalement été libéré sous contrôle judiciaire en attente de son jugement le 13 juin.

Par Nadia Sweeny


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