« En avoir pour mes impôts » : Com’ et tentative de discréditer les finances publiques

dimanche 30 avril 2023.
Source : ATTAC
 

Le ministère des comptes publics vient de lancer son opération « En avoir pour mes impôts ». Son objectif : « donner aux contribuables l’opportunité de s’informer et d’exprimer leur avis sur l’utilisation qui est faite de leurs impôts ».

À première vue, pour l’association Attac, née voici 25 ans pour défendre une taxe sur les transactions financières et dont une partie des travaux porte sur les questions financières et fiscales, on pourrait se féliciter de voir une telle opération. Il faut cependant bien admettre que la consultation lancée par le ministère est spécieuse. Outre son nom qui pose question, le questionnaire repose sur des questions manifestement orientées. Par ailleurs, il évite soigneusement de demander leur avis aux citoyen.nes sur la politique fiscale.

Des données intéressantes, un nom qui interroge et des manques criants

La moindre des honnêtetés intellectuelles impose si l’on ose dire en parlant de fiscalité et de le reconnaître : le site du ministère livre des données intéressantes sur le coût de certains services publics (9 thèmes parmi lesquels l’éducation, la santé, le sport et la culture, la vie citoyenne, etc). On y apprend ainsi que « Le coût d’une année au collège est de 8 206 € par élève pour l’administration publique » ou encore que : « un séjour médicalisé à l’hôpital coûte à l’assurance maladie entre 5 600 et 14 000 € en fonction de la sévérité de la situation. 80 % de cette somme est remboursée ». Ces données sont intéressantes. Il est en effet instructif de montrer que les impôts, répartis sur la société toute entière, permettent de financier des services publics auxquels chacun.e peut accéder. Sans impôt en effet, les services publics seraient privatisés. Le coût de la scolarité, des soins et plus largement de l’ensemble des services publics reposeraient sur leurs utilisateurs·ices. Il serait alors évident qu’une grande partie de la population ne pourrait financer des études à leurs enfants et ne pourrait se soigner correctement. De manière générale, les parties consacrées aux explications livrent des informations intéressantes qui montrent l’utilité sociale et économique des impôts et des dépenses publiques.

Cependant, la façon dont l’opération est nommée laisse penser que l’impôt ne serait qu’un prix (« en avoir pour mon argent ») qui suppose d’avoir un retour direct et immédiat. Avec une telle approche, des adultes sans enfant pourraient ainsi estimer qu’ils ne doivent pas contribuer pour l’éducation. Plus largement, d’autres pourraient penser qu’ils ne doivent pas payer tel ou tel service public ou mécanisme redistributif pour les autres. En réalité, l’affaire est plus complexe car, si aux différentes étapes d’une vie, on bénéficie directement de nombreux services publics et de la protection sociale, on peut aussi contribuer à la solidarité nationale, avec des effets difficilement mesurables, parfois très indirects mais bien réels qui traduisent un choix de société. L’impôt n’est pas un simple prix : c’est un coût socialisé dont la répartition traduit des choix politiques.

On relèvera enfin trois oublis majeurs très fâcheux des rubriques consacrées à l’opération et du questionnaire qui en disent long sur le sens profond de l’opération :

- Le terme de consentement à l’impôt, le pilier d’une société démocratique, n’est pas mentionné.

- Le sens et le bilan des politiques fiscales de ces dernières années n’est évoqué à aucun moment.

- La fraude fiscale est absente.

Un questionnaire confondant et orienté

La façon dont le questionnaire est organisé ne laisse guère de place au doute : il est orienté, il empêche les nuances et ne prévoit pas d’expression libre, à une exception (elle-même spécieuse) près.

La première question est emblématique : « De façon générale, en prenant en compte les différents impôts (impôts locaux, sur le revenu, TVA, etc.) diriez-vous que vous payez actuellement… ? ». On ne peut y répondre qu’un cochant une des cases suivantes : « trop d’impôt », « le juste niveau d’impôt », « pas assez d’impôt » et « sans opinion ». On peut d’ores et déjà parier qu’une grande partie de la population cochera la première. Posée ainsi, la question omet l’un des principaux sujets de mécontentements : la répartition de la fiscalité. En effet, une grande partie de la population peut légitimement estimer qu’elle paie trop d’impôt en raison de politiques fiscales injustes, sans pour autant remettre en cause le rôle fondamental de l’impôt. Le même travers se vérifie dans la question « Ces 5 dernières années, avez-vous le sentiment que les impôts en France… ? » à laquelle on ne peut répondre que par « ont beaucoup baissé », « ont peu baissé », sont restés stables », « ont un peu augmenté », « ont beaucoup augmenté » et « sans opinion ». Or, c’est une évidence, selon que l’on soit riche ou pas, l’impact des politiques fiscales a été différent selon les différentes catégories de la population. Il est donc impossible de tirer une conclusion honnête des réponses qui seront données. Et ce d’autant plus que la question suivante « Et dans les années à venir, pensez-vous qu’il faudrait plutôt… ? Baisser les impôts ou augmenter les impôts, ou maintenir les impôts à leur niveau actuel » conduira de nombreuses personnes qui ressentent durement les injustices fiscales à estimer qu’il faudra baisser les impôts, ce que le gouvernement traduira par un satisfecit de sa politique alors qu’il n’en sera rien.

Le questionnaire se poursuit avec une liste d’impôts qui ont été supprimés ou maintenus tels que la taxe foncière, la taxe d’habitation, l’impôt sur les sociétés, la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la contribution à l’audiovisuel public et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. L’impôt de solidarité sur la fortune n’y figure pas… Un fâcheux oubli !

Autre exemple de question spécieuse ; « Aujourd’hui, environ 50% des Français payent l’impôt sur le revenu, car on ne le paye qu’à partir d’un certain niveau de revenus. Seriez-vous favorable à un impôt universel, même symbolique (quelques euros par exemple), payé par tous les Français indépendamment de leurs revenus ? ». L’idée peut légitimement séduire un grand nombre de personnes. Mais la question se pose autrement : « faut-il alourdir, même symboliquement, la charge fiscale des plus pauvres ? » ou encore « Ne faudrait-il pas réduire les impôts indirects et rééquilibrer le système fiscal afin que tout le monde paie un impôt sur le revenu sans que le pouvoir d’achat de la majorité de la population n’en souffre ? ».

Les questions sur les dépenses publiques se situent dans la même veine. Après avoir demandé quels sont les 3 postes les plus élevés, en proposant « le remboursement de la dette » comme première réponse, le questionnaire demande quels sont les postes sur lesquels il faudrait dépenser plus et sur quels postes il faudrait dépenser moins, en proposant à chaque fois « le remboursement de la dette » comme première réponse. Le libellé a de quoi étonner : le remboursement de la dette n’est pas une dépense de l’État, seuls les intérêts en constituent une. Sur ces deux seules questions, le questionnaire perd donc toute crédibilité. Et ce d’autant plus que le discours du gouvernement est prévisible : les citoyen.nes veulent réduire le poids de la dette, nos réformes sont donc nécessaires…

Le questionnaire se termine sur la seule question ouverte « Pour finir, y a-t-il des domaines dans lesquels l’argent public est mal utilisé selon vous, ou avez-vous des exemples de projets ou de dépenses publiques qui vous choquent ? ».

Le négativisme de la question, orientée délibérément vers la baisse des dépenses publiques, appellera sans doute des commentaires eux-mêmes négatifs. On aurait tout aussi bien pu demander leur avis aux citoyen.nes autrement ; « Face au défi des inégalités et du changement climatique, avez-vous des exemples de projets à financer ? » ou encore, « Que faudrait-il faire pour améliorer le consentement à l’impôt ? ». Question de priorité et d’approche des finances publiques...

À quand une véritable pédagogie de l’impôt et un vrai débat citoyen ? C’est au fond la question qui s’impose. Outre le caractère orienté des questions et les manques criants, on ne peut parler de politique fiscale et, plus largement, de « prélèvements obligatoires » sans évoquer leur répartition et sans revenir sur l’évolution des services publics ou encore de la protection sociale. La communication prévisible que le gouvernement entend faire de son opération pour justifier ses choix budgétaires et fiscaux, passés et à venir, ne peut occulter les enjeux de justice fiscale, sociale et écologique. Le conflit sur la réforme des retraites l’a aisément démontré.

Pour en savoir plus sur l’impôt et les politiques fiscales : l’Observatoire de la justice fiscale d’Attac.


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