La répression du mouvement social crée un malaise y compris chez les magistrats

jeudi 30 mars 2023.
 

Le Syndicat de la magistrature s’inquiète des gardes à vue abusives à Paris, mais aussi des violences policières. Les interrogations sont partagées au-delà de la gauche judiciaire : des magistrats constatent que les personnes interpellées n’ont souvent rien à se reprocher.

La grande sévérité contre les manifestant·es réclamée par les ministres de l’intérieur Gérald Darmanin et de la justice Éric Dupond-Moretti, tout comme leur silence ou leurs dénégations au sujet des violences policières, donnent des maux de tête aux magistrat·es. Qu’il s’agisse des procureur·es et substituts chargés de contrôler les gardes à vue et de décider qui sera poursuivi parmi les personnes interpellées, ou des juges du siège chargé·es de condamner ou de relaxer lors d’audiences de comparution immédiates.

En première ligne, comme lors des mouvements sociaux contre la loi Travail et celui des « gilets jaunes », ce sont notamment les magistrates et magistrats parisiens qui s’inquiètent, une fois de plus, de la masse de personnes arrêtées sans motif ou pour des broutilles (sachant que les vrais casseurs courent vite et se font rarement attraper). Ils remarquent, parallèlement, le très faible nombre de poursuites contre les policiers auteurs de violences illégitimes.

La section parisienne du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) vient ainsi d’adresser un courrier à la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, dont Mediapart a pris connaissance. Daté du 22 mars, cette missive n’a, pour l’instant, pas reçu de réponse.

« Nous souhaitons vous faire part ce jour de notre profonde préoccupation quant aux enjeux d’importance auxquels la justice, et plus particulièrement le tribunal de Paris, est confrontée dans le cadre de la contestation sociale de la réforme des retraites qui se traduit depuis plusieurs jours par des manifestations et des rassemblements spontanés, notamment à Paris », écrit le SM.

« Nous ne pouvons en effet que constater, au vu des comptes-rendus journalistiques associés aux vidéos enregistrées en temps réel par les personnes présentes, et déplorer, que ces manifestations font l’objet de pratiques de maintien de l’ordre qui interrogent très fortement quant à leur légalité, et à une instrumentalisation de la mesure de privation de liberté que constitue la garde à vue à des seules fins de maintien de l’ordre », poursuit le syndicat de magistrat·es.

« Le caractère abusif de l’usage de la garde à vue, ayant visiblement comme seul but d’écarter temporairement les manifestants du lieu de manifestation, ressort avec évidence du décalage entre le nombre massif de mesures de garde à vue et le nombre restreint de suites judiciaires données à ces mesures [...]. [La presse] se fait l’écho, avec les réseaux sociaux, de comportements violents de membres de forces de l’ordre vis-à-vis de manifestants ou de personnes présentes sur les lieux, comportements qui ne peuvent que fortement interroger. »

Les magistrates et magistrats du SM parisien saluent « la vigilance et l’implication » de leurs collègues parquetiers qui « veillent à la protection des libertés individuelles et au respect des règles de procédure, en procédant au “tri” ci-dessus évoqué, essentiel en ces circonstances ». Mais ils ajoutent ceci :

« Si ce contrôle a posteriori est primordial, il nous semble qu’il serait tout aussi impératif que l’autorité judiciaire que vous représentez, madame la procureure, puisse rappeler aux responsables de la politique de maintien de l’ordre que la privation de liberté que constitue la garde à vue n’est utilisable que dans le respect des critères strictement définis par la loi, à savoir pour les strictes nécessités des enquêtes portant sur des infractions constatées, et en tout état de cause pas aux seules fins de mise à l’écart. »

vendredi 24 mars 2023, par DELEAN Michel, PERROTIN David


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