Retraite à 64 ans : Larcher et le gouvernement échouent à passer en force au Sénat en pleine nuit

vendredi 10 mars 2023.
 

Lors d’une nuit mouvementée, la droite, alliée au gouvernement, a manœuvré pour empêcher les groupes communiste, écologiste et socialiste d’amender l’article 7 sur le report à 64 ans de l’âge de départ à la retraite. Un « coup de force démocratique », a dénoncé la gauche qui a quitté l’hémicycle en guise de protestation.

C’est dans une atmosphère à couper au couteau que la gauche a quitté, avant la fin des débats, l’hémicycle du palais du Luxembourg, à 3 h 30 du matin. « Nous ne faisons pas ça par gaieté de cœur », a souligné d’une voix blanche le président du groupe écologiste au Sénat, Guillaume Gontard, qui a fustigé « une entrave au droit d’amendement ».

« Cela veut dire que le Sénat ne veut pas débattre de l’article 7 qui est pourtant le cœur de la réforme. Nous refusons de participer à cette entourloupe qui n’honore pas notre institution », a renchéri la communiste Éliane Assassi, face à un Gérard Larcher manifestement décontenancé, lequel s’est retrouvé bien obligé de lever la séance et de renvoyer au lendemain le vote sur le report de l’âge de départ à la retraite.

Illustration 1Agrandir l’image Le 7 mars, lors du débat sur la réforme des retraites au Sénat © Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP Cela faisait un moment que la rumeur bruissait dans les couloirs du Sénat. Deux heures plus tôt, ce mercredi 8 mars, vers 1 heure du matin, lors d’un faux coup de théâtre – en réalité, un pas de deux bien huilé avec le patron du groupe Les Républicains (LR) –, le président de la chambre haute a accédé à la demande de Bruno Retailleau d’actionner l’article 38 du règlement intérieur permettant d’accélérer l’examen de la réforme des retraites.

Objectif de la manœuvre, inédite au Sénat : réduire le temps d’intervention des élus, afin de faire voter au plus vite l’article 7 reportant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, sur lequel l’hémicycle débattait depuis le début de soirée. En parallèle, la commission des affaires sociales a adopté un amendement de réécriture de l’article 7, avec pour conséquence de faire tomber le millier d’amendements déposés par les écologistes, communistes et socialistes, qui avaient présenté 77 amendements de suppression quelques minutes plus tôt.

Un « scandale », un « triste moment », un « coup de force contre la démocratie »… La gauche n’a pas eu de mots assez forts pour exprimer sa colère, après que le temps de discussion sur la réforme des retraites eut déjà été réduit au strict minimum par le gouvernement avant même le début des débats parlementaires.

Honte à vous ! Vous vous êtes laissé bâillonner par le 47-1, vous voulez bâillonner votre opposition […] parce que vous êtes incapables de défendre vos arguments !

Patrick Kanner, président des sénateurs socialistes D’autant que les sous-amendements déposés après la réécriture de l’article 7 par les trois groupes de gauche au Sénat ont tous été rayés d’un trait de plume par la présidente de la commission des affaires sociales. Des amendements similaires avaient pourtant été jugés recevables dans la version précédente.

« Honte à vous ! Vous vous êtes laissé bâillonner par le 47-1, vous voulez désormais bâillonner votre opposition […] parce que vous êtes incapables de défendre vos arguments ! », s’est emporté, au petit matin, le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner. « Main dans la main, la droite et le gouvernement ont envoyé le message, “on s’en fout”, aux millions de Français qui ont manifesté cet après-midi. C’est très grave », a encore réagi sa collègue Mélanie Vogel sur Public Sénat.

En face, la droite et la majorité n’ont en revanche pas boudé leur plaisir d’en finir avec la « litanie » des interventions de la gauche qui, face à une droite atone, a monopolisé la parole pendant les six premiers jours d’examen du texte au palais du Luxembourg.

« Les mouches ont changé d’âne », a commenté, l’air satisfait, le président du groupe centriste, Hervé Marseille. « Cela fait cinq jours et cinq nuits que nous avons affaire à une obstruction, a justifié Bruno Retailleau dans l’hémicycle. Nous n’avons pas été élus pour faire des groupes de parole, mais pour voter. L’obstruction est au Parlement ce que la désertion est à un soldat : la négation même de sa mission. »

Des ministres « sereins » Il n’était pas encore tout à fait 19 heures, mardi 7 mars, lorsque le Sénat a commencé l’examen du fameux article 7 repoussant à 64 ans l’âge légal de départ. Un article qui avait cristallisé les passions – et les tensions – lors des débats sur la réforme à l’Assemblée nationale, et que le Sénat se targuait de vouloir voter dans l’hémicycle, à l’inverse de la chambre basse qui a achevé ses débats avant l’article 3.

En fin d’après-midi, après avoir adopté à une large majorité la première partie du projet de loi consacré aux recettes, c’est dans une atmosphère plus feutrée, quoique combative, que les sénateurs se sont donc penchés sur le point nodal de la réforme.

La gauche a eu beau marteler, à chaque intervention ou presque, le nombre impressionnant des manifestants « dans les sous-préfectures et les villages », la « chambre des territoires », comme aiment à l’appeler les sénateurs, a pourtant paru hermétique à ce qui était en train de se passer au-delà de ses murs.

C’est « serein » que le co-rapporteur Les Républicains (LR) du texte, René-Paul Savary, s’est réjoui d’aborder la question de l’âge légal de départ. Serein aussi, que le ministre des comptes publics, Gabriel Attal, estimait qu’il n’avait « pas de doute » sur la conclusion des débats, dimanche prochain. Quant au ministre du travail, Olivier Dussopt, on ne l’avait pas vu si détendu depuis son chemin de croix de l’Assemblée nationale : « Nous avons fait ce choix pour deux raisons : ramener le système à l’équilibre et financer des droits nouveaux », a-t-il répété sans convaincre.

Toute la soirée, les sénateurs et sénatrices assis du côté gauche de l’hémicycle ont exhorté à l’unisson le gouvernement à « retirer [son] texte ». « Un projet détestable, […] une réforme scélérate », a décrit la sénatrice communiste Laurence Cohen, qui a rappelé les mensonges du gouvernement sur les 1 200 euros et « la colère de nos concitoyens qui n’en peuvent plus de toutes ces inégalités qui s’accroissent dans le pays ». « Vous êtes obsédés par les 64 ans, à part ça, rien ne vous intéresse », a déploré son collègue de banc, Pierre Laurent.

Depuis deux jours, les discussions sur les modes de financement des retraites ont en effet tourné court. Aucun des amendements proposés par la gauche pour trouver d’autres ressources que l’allongement de la durée du travail – taxer les revenus du patrimoine, des entreprises ou des ultrariches – n’a été adopté. « C’est sur les travailleurs, et sur eux seuls, que vous allez faire des économies », s’est émue la vice-présidente écologiste des affaires sociales, Raymonde Poncet Monge.

« À l’image d’Éric Dupond-Moretti, vous faites un bras d’honneur au peuple français ! », a de son côté résumé Yan Chantrel, sénateur socialiste, en référence à l’incident qui s’était produit, quelques minutes plus tôt, à l’Assemblée nationale, quand le garde des Sceaux a adressé deux bras d’honneur à Olivier Marleix, le président du groupe LR, qui venait de rappeler sa mise en examen pour prises illégales d’intérêts.

Une complicité objective En début de soirée, la gauche sénatoriale, non encore muselée par les manœuvres de Gérard Larcher, s’en est donné à cœur joie pour envoyer quelques remarques acerbes sur le mutisme de la droite. Un signe de sa « gêne » vis-à-vis du texte, selon elle. Mais aussi de la complicité objective des macronistes et des sénateurs LR, laquelle s’est vue confirmée, tant sur le fond que sur la méthode, par la tournure qui serait prise par les débats dans l’hémicycle quelques heures plus tard.

À LIRE AUSSI Retraites : contre le gouvernement, les syndicats tentent avec la grève du 7 mars le bras de fer ultime 6 mars 2023 La réforme des retraites, symbole d’une crise de régime 6 mars 2023 Le sénateur des Landes, Éric Kerrouche, a ainsi dénoncé « un seul bloc de droite dans cette assemblée », avant d’apostropher l’ancien camarade du PS et « transfuge de classe » Olivier Dussopt, qui pianotait sur son téléphone portable : « À quel moment avez-vous oublié d’où vous venez Monsieur le ministre ? Que vous est-il arrivé ? Réveillez-vous et souvenez-vous de celui que vous avez été ! »

Une remarque qui a suscité l’indignation du sénateur UDI Olivier Henno qui est « sorti de [s]es gonds » en entendant l’intervention du socialiste : « C’est le marxisme le plus terrible ! », s’est-il écrié. Un peu plus tôt, c’est cependant une autre inquiétude dont faisait part, le sénateur de Guadeloupe, Victorin Lurel : « C’est vous [le gouvernement – ndlr] qui faites le lit du RN et des extrêmes, Demain, vous serez comptables de cela », a-t-il averti.

L’air sombre, la socialiste Laurence Rossignol a elle aussi interpellé Olivier Dussopt sur le mouvement social : « Maintenant la question, Monsieur le ministre, c’est qu’allez-vous faire au-delà des votes qui auront lieu dans cette assemblée ? Jouer le pourrissement ? La “gilet-jaunisation” ? Quel est votre pari ? Celui de l’épuisement ? » Puis de conclure : « Votre réforme va coûter deux années de vie aux Français. Elle risque de coûter des années à la démocratie et au pacte républicain. »

Pauline Graulle


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