Italie : Fascisme, berlusconisme et "unité de la patrie"

mardi 6 mars 2018.
 

En 1944- 1947, l’Italie et la France construisent un système politique marginalisant le fascisme comme une folie anticonstitutionnelle dont l’apologie est interdite. Les droites européennes affaiblies par leur alliance avec les partis d’extrême droite des années 1920 et 1930, adoptent alors un profil bas. Soixante ans plus tard, les droites d’Espagne, de Hongrie, de Lituanie, du Parlement européen... tentent de réhabiliter leurs ancêtres avec malheureusement la complicité d’élus de gauche.

1) En ce début de 21ème siècle, l’Italie berlusconienne se pose en exemple parfait de cette réhabilitation d’idées profondément réactionnaires.

En début d’année 2006, la droite a présenté au Sénat une proposition de loi établissant une équivalence entre Résistants antifascistes et combattants mussoliniens de la "République de Salo" qui luttèrent jusqu’au bout aux côtés des nazis.

Rocco Buttiglione, député européen proche de Berlusconi, pressenti pour devenir commissaire européen, nous offre un autre exemple de banalisation des idées réactionnaires sous la bannière facile de la "liberté de penser".

Rocco Buttiglione battu par une hégémonie idéologique progressiste européenne. Deux leçons.

Face à la campagne argumentant qu’un commissaire européen ne peut à la fois s’opposer aux droits des femmes et assurer la fonction de commissaire aux libertés démocratiques, comment se défend-il ? en faisant valoir qu’il s’agit de convictions personnelles indépendantes des tâches requises comme commissaire.

Une fois Buttiglione recalé pour avoir été trop loin dans ses déclarations, il reprend son bâton de missionnaire réactionnaire au nom d’un principe ainsi libellé « le droit de penser est un droit universel. »

Le droit de penser est-il donc un droit universel ?

Premièrement, personne, ni en Italie, ni ailleurs en Europe n’a empêché Rocco Buttiglione de déblatérer ses bêtises. Ils les a avancées puis défendues ; elles ont été critiquées... quoi de plus normal.

Deuxièmement, le droit des femmes à occuper un emploi constitue une liberté démocratique aussi importante que la liberté d’expression. Le droit à vivre une sexualité homo constitue aussi une liberté démocratique aussi importante que la liberté d’expression. Dans un pays comme l’Italie où les femmes ont subi une oppression machiste extrêmement forte sous la pression des forces cléricales conservatrices puis de Mussolini (salaires des femmes divisés par deux...), où l’homosexualité a été tout profondément opprimée et outragée, Monsieur Rocco Buttiglione devrait faire plus attention à ses dires.

En tout cas, la campagne menée par des mouvements progressistes contre ses idées était parfaitement justifiée.

Ci-dessous quelques "idées" de ce Monsieur :

" La famille existe pour permettre à la femme d’avoir des enfants avec un homme qui doit veiller sur elle (...). C’est une vision traditionaliste que je défends."

- « Je peux penser que l’homosexualité est un péché sans que cela ait un impact sur ma politique. »

- "Le grand problème qui se pose à nous est la dénatalité".

2) Le Président de la République italienne Carlo Azeglio Ciampi (ancien ministre du trésor de Romano Prodi puis de l’ex-communiste Massimo d’Alema) a donné en 2006 la version suivante de cette liberté de penser et de croire :

« Nous avons toujours à l’esprit, dans nos actions quotidiennes, l’importance de l’unité de l’Italie. Cette unité que nous sentons essentielle pour nous, cette unité qui, il faut bien le dire aujourd’hui, était il y a un demi-siècle le sentiment qui anima une bonne partie de ces jeunes qui à l’époque firent des choix différents et qui les firent en croyant malgré tout servir l’honneur de leur patrie. »

En tant que militants de gauche, nous ne pouvons pas accepter de mettre ainsi sur le même plan la liberté de choix des fascistes et la liberté de choix des Résistants. Le fascisme italien a terrorisé des dizaines de milliers de braves gens, simples syndicalistes ou participants à des mouvements sociaux. Le fascisme italien prolongeait parfaitement la "liberté de pensée " de Buttiglione en réduisant de moitié les salaires de toutes les femmes afin de les renvoyer à la maison. Le fascisme italien s’est complu dans des crimes contre l’humanité systématiques en Lybie et en Abyssinie. Les fascistes italiens ont perpétué d’ignobles et massifs massacres aux côtés de leurs frères en "liberté de penser" les SS.

La "liberté de penser" et d’agir en fonction de ses idées donnée à Mussolini par le Roi d’Italie, par la grande majorité de la droite italienne, par l’Eglise catholique, par la majorité de l’appareil d’Etat a mené à des désastres que personne ne veut revivre.

Le droit de penser sans s’exprimer peut être considéré comme un fait universel ; mais le droit de penser publiquement (de façon écrite ou orale) n’est pas un droit universel.

- On ne peut donner la liberté de diffuser leur pensée, d’agir en fonction de cette pensée à ceux qui refusent à autrui cette liberté de penser. Le fascisme italien, par exemple, a refusé la liberté de penser pour les socialistes et communistes.

- La diffusion publique d’idées fascistes et de la valorisation du fascisme doit être interdite. La diffusion d’opinions contradictoires avec les principes fondamentaux des déclarations universelles des droits de l’homme doit être sans cesse combattue par les progressistes et relever de la loi lorsque par exemple la stigmatisation raciste ou sexiste est avérée. De même, la suppression des syndicats de salariés, point fondamental de la "liberté de penser" fasciste et de son action gouvernementale, point fondamental de toutes les extrême-droite dont le FN en France devrait être une "opinion" interdite par la loi.

3) Dans le déballage italien d’idées réactionnaires, la plus grande surprise est venue de réactions de la gauche officielle :

- LUCIANO VIOLANTE, vice-président puis président de la chambre des députés italiens, ancien membre du PCI, dont le père journaliste a été réprimé par Mussolini a employé le terme affectif de "garçons" pour parler des miliciens fascistes de la république de Salò. L’écrivain Antonio Tabucchi lui a bien répondu dans Le Monde « Le mot "garçons" (ragazzi) est chargé de tendresse et d’affection : c’est le terme qu’on emploie pour parler des footballeurs de l’équipe nationale, des soldats italiens envoyés en Irak à la traîne de Bush ; un terme qui fait toujours penser à la maman et qui évoque quelque chose de ludique. L’Italie a beaucoup joué au siècle dernier. Rappelez-vous, "nos garçons" sont allés en Lybie, en Abyssinie, en Albanie, ils ont tenté de "briser les reins (comme disait Mussolini) de la Grèce sur ses rivages, et accompli d’autres missions de ce type. Le cas échéant, on utilisa un peu de gaz asphyxiant en Abyssinie et en Lybie, on bombarda Tripoli, on recourut à des lance-flammes dans des villages faits de huttes de paille, mais cela faisait partie du jeu. Et puis c’était des garçons. Bref grâce à son irrépressible esprit juvénile que le monde entier lui envie l’Italie n’a à demander pardon à personne. Elle n’a pas non plus à demander pardon à cette partie de l’Italie que les "républicards" (mussoliniens de Salò), aux côtés des envahisseurs nazis, ont dévastée par leurs ignobles massacres. Car les tortures, les rafles, les massacres, la complicité avec les SS venaient du profond idéal que ces "garçons" nourrissaient, et on le sait, un idéal, quel qu’il soit, reste toujours un idéal. »

- Qui, en Italie, a pris position contre le rappel historique ci-dessus en italique ? Non la petite fille de Mussolini, non Gianfranco Fini leader des néo-fascistes mais Piero Fassino (Sécrétaire Général des Démocrates de gauche, ex-communistes).

Je laisse à nouveau l’écrivain Antonio Tabucchi développer une argumentation progressiste sur le sujet :

« J’ai publié dans Le Monde ( 26 juillet 2006) un article où je disais que Ciampi avait "employé des mots inacceptables pour une République née de l’antifascisme". Le lendemain, l’onorevole (député) Piero Fassino, leader des Démocrates de Gauche (majorité de l’ex Parti Communiste), exprimait son indignation à mon sujet. Comment avais-je osé contredire la noble idée de Carlo Azeglio Ciampi ? N’était-il pas vrai que notre pays avait besoin d’unité plutôt que de ces déchirements qui nous avaient fait tant de mal par le passé ? Et puis, rappelait Fassino, l’idéal des "républicards" (de Salo) restait un idéal, fut-il erroné. Voilà : il s’agissait de garçons qui s’étaient "trompés". De bonne foi.

Ah ! la bonne foi ! Mais le monde est plein de bonne foi, et l’a toujours été. Quand l’Inquisition envoyait les "hérétiques" au bûcher, elle le faisait de bonne foi et pour la bonne foi, la vraie. Quant aux garçons des forces SS qui commettaient des massacres dans notre pays, ou quant aux préposés aux fours crématoires, dont beaucoup étaient des volontaires, ne le faisaient-ils peut-être pas de bonne foi ? N’étaient-ils pas au fond, animés par un idéal ? »

Quiconque se réclamait de la tradition socialiste humaniste (signifiant centrée sur l’homme et son humanité) ne pouvait passer de compromis avec des fascistes dont "l’idéal" prévoyait de nettoyer les races inférieures de la surface de la terre.

Quiconque se réclame de la tradition socialiste humaniste ne peut aujourd’hui laisser passer des faits et des "idéaux" racistes, sexistes, homophobes...

Cependant, ce n’est pas à nous d’interdire, c’est à l’institution judiciaire en fonction des lois votées au Parlement. Je n’ai pas grande confiance dans le Parlement pour définir les limites de la liberté d’expression, encore moins dans la Justice actuelle... mais notre conception de l’humanité passe par la valorisation de la souveraineté populaire et du droit contre la force.

Jacques Serieys, 2 mars 2006


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