Que la grève dure et tout commencera

mercredi 22 février 2023.
 

La grève contre la réforme des retraites n’est pas une mise à l’arrêt. C’est une reconquête du temps. Le temps de ceux et de celles qui n’ont le temps de rien, ni de dormir, ni de se soigner, ni d’être avec leurs proches.

La reconfiguration objective des modes de division par classes a entraîné, dans son sillage, la croyance en la fusion progressive des classes sociales, telle que théorisée, notamment, par Henri Mendras sous le nom de «  moyennisation  » de la société. Plus généralement encore, une certaine doxa libérale s’est empressée de crier à la disparition de la classe. La classe est morte. Mort à la classe.

Or il n’en est rien  : en matière de patrimoine constitué, de revenus perçus, de confrontation au travail précarisé et au chômage, tout concourt à montrer que les membres de la classe bourgeoise – qui «  ont plus de dîners que d’appétit  » – sont protégés, tandis que ceux de la classe prolétaire – qui «  ont plus d’appétit que de dîners  » (1) – sont exposés. La distance entre les positions sociales dominantes et dominées persiste. Au vrai, rien ne se moyennise. Tout s’extrémise.

Bien que contredite par un ensemble de travaux de recherche, il semblerait pourtant que la tentation est toujours grande de laisser entendre que la lutte a fait son temps, que désormais tout le monde baigne dans le même bain. Allez, tous dans la pataugeoire  !

Mais quel système faudrait-il sauver avec ce projet de réforme  ? Le système de la mise à mort des corps.

Le projet de réforme des retraites porté par Élisabeth Borne tient de cette rhétorique de l’effort commun, équitable, l’effort juste et nécessaire, l’effort rendu à la nation, l’effort pour l’avenir, l’effort pour nos enfants, que nous devrions tous faire pour «  sauver le système  ».

Mais quel système  ? Le système de la mise à mort des corps. Ni plus ni moins. Car travailler plus longtemps, c’est faire travailler plus longtemps certains corps – les corps des femmes et des racisés –, c’est allonger le temps de leur exploitation, c’est se donner plus de chances de tuer ces corps avant qu’ils puissent faire autre chose que travailler. Quelque chose comme vivre libéré. C’est alors ce «  système à sauver  » qui doit mourir. Pas nous.

En ce sens, la grève, une grève de forme permanente, comme une révolution, est bien plus qu’une mise à l’arrêt, bien plus qu’un temps mort. C’est, au contraire, un commencement. La reconquête du temps. Le temps de ceux et de celles qui passent des heures, du matin au soir, dans les transports car, leur temps perçu comme ne valant rien, que pourraient-ils faire d’autre que se rendre au travail  ?

Il faut se rendre aux piquets de grève et exiger que tout nous soit rendu.

Le temps de ceux et de celles qui n’ont le temps de rien, ni de dormir, ni de se soigner, ni d’être avec leurs proches. Le temps de ceux et de celles que l’on maintient en dehors de tout temps à soi pour que leur temps soit tout entier un temps aux autres, comme leur vie, comme leur corps, comme leur force est déjà aux autres.

Il ne faut plus alors se rendre au travail, il faut se rendre aux manifestations, aux assemblées générales, il faut se rendre aux réunions syndicales, il faut se rendre aux piquets de grève et exiger que tout nous soit rendu.


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