Marie-George Buffet : Hommage aux 27 de Châteaubriant

mardi 23 octobre 2007.
 

Elle s’appelait Léoncie Kérivel. Et l’on ne sait pas grand chose d’elle. Son mari, marin pêcheur dans la région, est l’un des 27 fusillé, ici, à Châteaubriant. Elle était comme lui internée dans ce camp.

Quel acte de résistance avait-elle accompli pour mériter ces barbelés ? On ne le sait pas. Tout ce que l’on sait d’elle, c’est que lorsqu’elle a vu son homme partir au peloton d’exécution, lorsqu’elle l’a vu partir avec ce gosse de 17 ans, elle a demandé à prendre la place de cet enfant.

Elle était prête à mourir pour laisser vivre l’avenir.

Mais les nazis avaient trop de mépris pour les femmes. Ils ne les jugeaient pas assez dignes pour être fusillées. Ils les décapitaient. Ils ne les considéraient pas assez pour les imaginer résistantes. Alors Léoncie est restée là, dans ce camp, les 27 sont partis sans elle. Les 27, syndicalistes, élus, ils étaient tous engagés pour le progrès social et démocratique. Ils ont été choisis pour cela, parce qu’ils voulaient tuer le Front populaire. Nous sommes aux balbutiements de la résistance.

Oui, il y a ceux dont l’on parle et les autres dont l’on ne parle pas. Ceux et celles dont le nom, au détour des rues et des commémorations, évoque la gloire de la résistance. Et celles et ceux dont le courage fut tout aussi éclatant et qui sont restés anonymes. Ils,elles étaient égaux dans le combat. Mais le hasard et le temps n’ont fait émerger que quelques noms et quelques histoires.

Ainsi, il y a Guy, il y a Léoncie comme il y a Odette et son amie Paulette.

Guy et sa lettre d’adieu. Une lettre d’amour d’un gosse à ses parents qui porte en elle les rêves d’une vie brisée.

Cette lettre que le président de la République a décidé de faire lire demain dans les lycées de France.

Pour moi, cette lecture ne peut être qu’un choix de l’équipe éducative,elle ne peut être qu’un moment d’une journée de débats sur le passé mais aussi sur la situation des jeunes aujourd’hui !

Cette lettre qui donne ici à notre hommage une signification particulière. Mais aussi, Odette et ses lettres qu’elle envoyait à ses proches toutes ces longues années d’internement, et dont les livres d’histoire ne savent rien. Odette et son évasion et sa participation active à la Libération du pays.

Oui il y a ceux dont l’on parle et celles dont l’on ne parle pas. C’est pour elles que je suis venue, toutes ces femmes anonymes parmi les anonymes.

Comment parler ici de Guy sans parler d’Odette, de Léoncie, et avec elles de toutes ces résistantes oubliées, de ces femmes dont le courage ne devait rien à quiconque, de ces femmes à qui nous sommes tout autant qu’aux hommes redevables de la Libération. « Sans les femmes », disait Lucie Aubrac, « la Résistance ne pouvait rien faire. »

Rarement pourtant leur nom revient. Et quand il sonne à l’oreille c’est sous le vocable de l’épouse ou de l’amoureuse, de la femme résistante parce qu’aimante, de celle qui prend des risques insensés parce que l’amour rend un peu fou.

La Résistance c’est pourtant aussi leur histoire. Le courage face à l’occupant ce fut aussi le leur. Les femmes ont tenu leur rang. Simplement. Les connaît-on suffisamment ces combattantes de l’ombre ? Leurs noms, leurs actes, leur courage sont-ils inscrits dans nos mémoires ?

Lucie Aubrac, la reine de l’évasion, et Madeleine Colin, la petite main des P&T qui informait les résistants mis sur écoute.

Olga Bancic, la réfugiée roumaine qui fournissait la MOI en armes, et Geneviève Anthonioz-De Gaulle, journaliste clandestine à la tête d’un réseau uniquement féminin. Colette de Dampierre la comtesse que ses tortionnaires n’ont jamais pu faire parler, et Danielle Casanova, ma camarade déportée après avoir bravée tous les dangers. Marie-Claude Vaillant-Couturier, sa soeur de combat, et Isabelle Clayes, cette ouvrière du Nord, organisatrice infatigable, toujours attirée par l’action armée...

J’aime égrener ces noms. Il y en a tant d’autres, tant d’autres que sans quelques passionnés, comme notre ami Antoine Porcu, l’histoire aurait oubliées. Elles étaient si nombreuses, ces femmes engagées connues ou moins connues, depuis la blanchisseuse à l’enseignante, la paysanne à l’intellectuelle. On pourrait en citer tant d’autres car la résistance des femmes n’a rien à voir avec une liste d’exceptions ; elle ne relève pas de l’anecdote.

Non, décidément, la résistance des femmes ne fut pas une résistance de seconde zone. Elles n’étaient pas des « femmes de ».

Elles étaient elles-mêmes, femmes pleinement. Résistantes, pleinement. Nous devons à ce qu’elles ont accompli d’être ce que nous sommes. Et les femmes leur doivent non seulement le droit de vote mais aussi une part de leur émancipation d’aujourd’hui. Leur condition de femmes les rendait sensibles d’une façon toute particulière aux errements de l’humanité. Et cette révolte les emportait tout entières.

« L’homme qui tirait l’autre nuit. C’était moi », ainsi s’achève l’un des poèmes de Madeleine Riffaud. Elles furent nombreuses à prendre le maquis, à porter des messages, à cacher des clandestins ou des enfants juifs, à éditer des journaux, à les distribuer, à organiser le combat, à maintenir allumée la flamme de l’espoir,... et à penser la France de demain.

Sans doute me permettrez-vous de parler plus longuement de l’une d’entre elles. Je voudrais en quelques mots, vous parler de Madeleine Vincent, celle par qui beaucoup de femmes allèrent au fond de leur engagement au 20 siècle,je fus de celle là, et qui fut l’une des animatrices de la lutte contre les nazis. En juillet 40, elle avait été chargée d’organiser l’action en zone interdite. Elle fut arrêtée, emprisonnée, menottée en permanence pendant deux mois, transférée à Essen, puis à Kreuzbourg, Ravensbrück et Mauthausen.

Dans les camps, elle continua de se battre pour la dignité des femmes, qui s’organisèrent pour refuser tout travail industriel, ou toute participation à la construction d’ouvrages militaires. Il en allait de sa vie. J’ai toujours été frappée par le courage qui a été le sien. Non pas un courage tapageur, mais un courage simple, qui s’imposait comme une évidence dans toute son existence.

Je ne peux m’empêcher de penser que comme d’autres femmes, comme Léoncie si les gendarmes l’avaient accepté, elle aurait pu se trouver là, dans cette clairière, au côté de Guy Môquet, des vingt-sept, en ce jour tragique où l’horreur laissait ses traces de boues sur l’humanité tout entière.

Madeleine a vécu aux cotés de Guy Ducoloné, résistant, déporté et puis député, vice président de l’Assemblée Nationale.Elle fut pour sa part une dirigeante du PCF.

La résistance n’était pas une histoire d’hommes comme elle n’était pas une histoire de femmes. Elle est juste un épisode parmi d’autres de la grandeur de l’humanité. L’humanité qui ne renonce pas. L’humanité qui avance. L’humanité qui se réalise pleinement.

Il est vrai que c’est de Guy Môquet dont on parle.

Mais qui est Guy ? Un enfant, un enfant du Front Populaire, fils d’un député communiste, il veut vivre, il aime la vie, il aime, il aime Odette ! Alors devant cette actualité nouvelle, je dirai au peuple de France : « oui, Guy Môquet et tous les autres jeunes, ceux de la Cascade, ces jeunes chrétiens, ces jeunes communistes, tous les siens ont droit à votre mémoire ». Non pas pour des vies données, mais pour des vies volées. Non pas tant pour leur héroïsme, que pour leur éclatante humanité. Ils et elles méritent votre mémoire parce que leur vie, leur mort, leur histoire, viennent nous interroger sur le monde qui se construit et la manière dont chacun, chacune y prend sa place.

Et je dirai qu’à travers l’émotion d’un drame poignant, celui de la vie d’un jeune homme, à peine commencée mais fracassée, à travers ses mots tout entiers tournés vers la vie, ce sont les espoirs et les rêves de toute la résistance que l’on peut ressusciter. Je pense à vous qui au sein de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé travaillez depuis des décennies à faire vivre la mémoire de la résistance. Vous dont le travail éclate aujourd’hui au grand jour, vous à qui je veux rendre hommage.

Vous le constatez : beaucoup aujourd’hui sont venus en pensant à Guy Môquet. Beaucoup repartiront avec son visage en tête mais aussi avec ceux de tous les autres, de toutes les autres, avec ces visages empreints de vie et de détermination, empreints de sourire et d’espoirs, heureux.

Alors oui dans l’hommage de la République demain, il y a une chance de perpétuer une mémoire vivante, celle de ce jeune garçon et de ses camarades. Une chance de perpétuer, à travers lui une mémoire vivante de la Résistance.

Une Résistance qui va bien au-delà des hommes et des femmes ici internées.

Une Résistance qui à travers lui conjugue patriotisme et combat communiste, la Marseillaise et L’internationale, le drapeau tricolore et le drapeau rouge, les valeurs de la République.

Une résistance qui montre que français et étrangers, on dirait aujourd’hui immigrés a combattu ensemble la barbarie. Et je ne peux m’empêcher de penser à une autre lettre, celle de Missak Manouchian à Mélinée, sa « petite orpheline » et à ces quelques mots d’avant la mort : « Bonheur à tous ».

Oui, cette mémoire vivante, c’est celle de l’humanité profonde dont tous ces hommes et femmes tenaient leur conscience et leur engagement. Tous et toutes sont morts pour la France, et les étrangers aussi avec le même courage. Mais, tous et toutes sont morts, précisément pour l’idée qu’ils s’en faisaient : la liberté, l’égalité, la fraternité...

Alors oui perpétuons cette mémoire encore vivante ! Non pas pour exalter un glorieux passé. Non pas pour chercher dans l’histoire de quoi oublier le présent. Simplement pour vivre aujourd’hui en pleine conscience de ce que signifie être homme et être femme.

Simplement pour avoir toujours à l’esprit la noirceur des ténèbres qui peuvent toujours menacer l’humanité.

Simplement pour avoir toujours au cœur les valeurs, les rêves et le courage de celles et ceux qui ont terrassé la barbarie pour mieux nous ouvrir des lendemains qui chantent.

Simplement parce que notre espoir lui aussi est encore vivant ! Et c’est de tout cela, pour tout cela que je débattrai demain avec les lycéens et les lycéennes, les enseignants et enseignantes au lycée professionnel Jean Moulin du Blanc-Mesnil avant de leur lire la lettre de Guy à ses parents.

C’est pour tout cela que le Parti communiste tient chaque année à honorer la mémoire des 27 et à travers eux de tous les autres, les autres morts pour la Liberté, morts pour la France. Vous le savez, je ne suis pas venue ici participer à cet hommage par effet de mode. Le Parti communiste Français tient chaque année à honorer la mémoire des vingt-sept et à travers eux de tous les autres, de toutes les autres morts pour la France, morts pour notre liberté.

Résister.

Je ne veux pas galvauder le mot, car rien n’est comparable à ces temps de ténèbres. Je veux simplement dire que c’est bien de ce côté là qu’il faut puiser lorsque surgit l’inacceptable.

La précarité, la division, la mise au pas de la liberté, la traque, la mise en cause de la dignité humaine avec les tests ADN, oui, lorsque surgit l’inacceptable, nous devons savoir le débusquer et mettre sur sa route tous les obstacles du monde.

« Les barricades, écrivait Elsa Triolet, n’ont que deux côtés ». Résister, oui, c’est de là que doivent surgir l’espoir, l’envie, l’attente. « L’avenir n’est pas une amélioration du présent, écrivait encore Elsa. C’est autre chose. »

Oui, vraiment, il y a ceux dont l’on parle et ces hommes et femmes dont l’on ne parle pas. Je pense à ce jeune homme de dix-sept ans qui se battait pour un avenir, qui se battait pour « autre chose ». Je pense aux vingt-sept, aux femmes de la Résistance, à tous ceux et celles qui voulaient vivre pleinement, libres, égaux, soeurs et frères. Je pense à leurs espérances communes et leur détermination à vivre pleinement.

Je pense à Lucie Aubrac qui nous disait « résister c’est créer Et je sais qu’être digne de ce qu’ils, de ce qu’elles ont accompli, n’est pas payable en mots, ni même « en gloire » ni même « en larmes ». Cela relève d’un combat quotidien : faire advenir « autre chose ». C’est ce combat qu’il nous faire vivre aujourd’hui.

Résistons à l’inhumanité, inventons des solidarités, créons de l’espoir, soyons artisans de bonheur.

Résistons aujourd’hui !

Marie-George Buffet Secrétaire nationale du PCF Hommage aux 27 de Châteaubriant


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