Annie Ernaux, Monique Pinçon-Charlot, Razmig Keucheyan… L’institut La Boétie, nouveau centre de gravité intellectuelle à gauche ?

vendredi 17 février 2023.
 

L’Institut La Boétie, c’est déjà sept départements présidés par des universitaires de haut niveau, une école de formation tout entière tournée vers l’éducation populaire et un conseil scientifique. Cette nouvelle fondation insoumise rassemble des grands noms de la vie intellectuelle et culturelle de notre pays : Annie Ernaux, Monique Pinçon-Charlot, Razmig Keucheyan, Cédric Durand, Isabelle Garo, Jean-Marc Schiappa, Fanny Gallot, Sylvie Glissant, Jacques Généreux, Michael Löwy, Chantal Mouffe, Stefano Palombarini, Françoise Vergès, Jean Ziegler…

« Le maillon manquant », cet espace qui manquait pour réunir pensée et action critique contre l’idéologie bourgeoise hégémonique sur les plateaux de télé, est prêt. Sa séance inaugurale s’est tenue dimanche 5 février 2023 au Réfectoire des Cordeliers. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela donne envie de voir la suite. Notre article.

« Je vous souhaite la bienvenue dans ce lieu riche d’une longue tradition intellectuelle puisque c’est ici, aux Cordeliers, en 1791, qu’a été rédigée l’adresse à l’Assemblée nationale qui a amené le peuple français à abolir la monarchie ». Par ces mots de Clémence Guetté débute la séance inaugurale de l’Institut La Boétie dont elle partage la présidence avec un certain… Jean-Luc Mélenchon.

Ici, dans la grande salle du Réfectoire des Cordeliers, on sent le poids de l’Histoire. Les larges pierres multiséculaires soutenant cette vénérable bâtisse entouraient déjà les discours enflammés de Jean-Paul Marat, Pauline Léon, Georges Danton et Claire Lacombe. Aujourd’hui, elles irradient des émotions qui ont embrasé ce lieu. Pas un bruit ne perturbe les discours. Respect et solennité marqueront toute cette séance inaugurale. On sent aussi, dès les premières phrases prononcées par Clémence Guetté, la fierté de s’inscrire dans une telle lignée.

« Nous voulons faire de l’Institut La Boétie un outil du renouveau de la pensée critique au service du camp de l’émancipation et du progrès ». Pour remplir cet objectif ambitieux formulé par la première oratrice du jour, cette nouvelle fondation sera « pour les artistes, les experts et les amateurs éclairés qui se reconnaissent dans la pensée de l’insoumission un lieu de dialogues, d’échanges, de connexions avec le monde politique et militant ». Tout un programme.

« Une liberté intellectuelle totale pour celles et ceux qui y participeront » : quel est le fonctionnement de l’Institut La Boétie ?

« Nous voulons organiser sérieusement ce qui doit l’être avec un souci constant : celui d’une liberté intellectuelle totale pour celles et ceux qui participeront », explique Clémence Guetté. Le travail de l’Institut La Boétie va être organisé en départements, animés par des binômes paritaires, rassemblant des « universitaires militants et des militants universitaires » selon ses mots.

Ils pourront organiser des colloques, des tables-rondes, des conférences, publier des notes. Un ou une intellectuelle de haut rang, « dont il nous semble que les travaux mériteraient d’être mieux connus du monde politique et du grand public », se verra attribuer une chaire par département. Des laboratoires thématiques pourront s’associer à ces départements.

Ces derniers seront d’ailleurs réunis au sein d’un Conseil d’orientation pour définir des axes de travail bien précis. Axes eux-mêmes discutés par le Conseil Scientifique de l’Institut La Boétie (voir ci-après). La structure de l’Institut de La Boétie est complétée par son école de formation (voir-ci après), ainsi que par une Académie insoumise.

« Notre fondation va aussi investir le champ des arts et de la culture », explique Clémence Guetté. Cette Académie insoumise, réunissant écrivains, éditeurs, cinéastes, comédiens et autres artistes, décernera « des prix littéraires, cinématographiques, pour récompenser symboliquement celles et ceux dont les œuvres et les productions participent à forger les consciences ». Cette académie aura également la mission de façonner un dictionnaire insoumis.

À la tête de chaque département académique, deux universitaires reconnus pour leurs travaux académiques autant que pour leur engagement militant Sept premiers départements académiques ont déjà vu le jour. Chacun est présidé par un binôme mixte paritaire. Tout au long de la séance inaugurale, chaque responsable est venu présenter les raisons qui l’ont poussé à accepter cette nouvelle mission et les premières thématiques abordés par son département

Cécile Gintrac et Allan Popelard pour le département de géographie :

Aurélie Trouvé et Eric Berr pour le département d’économie :

Fanny Gallo et Jean-Marc Schiappa pour le département d’Histoire :

Marlène Benquet et Hadrien Clouet pour le département de sociologie :

Claire Lejeune et Razmig Keucheyan pour le département de planification écologique :

Nicola Bullard et Arnaud Le Gall pour le département de Relations internationales :

Isabelle Garo et Benoît Schneckenburger pour le département de Philosophie :

L’école de formation et les cafés populaires : l’éducation populaire, enjeu central de bataille idéologique

« Le savoir est une arme de mobilisation générale ». Les mots puissants de la députée Danielle Obono, responsable de l’espace « bataille idéologique et formation » au sein du mouvement La France insoumise, claquent. Pour diffuser ce savoir, elle développe les cafés populaires déjà présentés récemment dans nos colonnes. Ces événements seront organisés grâce à l’Institut La Boétie qui permettra de faire le lien avec les intellectuels qui viendront intervenir « là où sont les gens ».

À côté de ces cafés populaires, toujours dans l’objectif de briser les barrières entre monde académique et militant, entre pensée et action, de faire rayonner le plus largement la production intellectuelle, la fondation a mis en place une école de formation. Celle-ci propose trois formats : un catalogue de formations locales accessible pour tous les groupes d’action, des formations numériques et un cursus renforcé. La première promotion de 70 heureux élus s’est réunie pour le premier des cinq week-ends de formation fin janvier. Elle s’est placée sous le haut patronage de Louise Michel.

Si vous n’avez pas été retenu, rien n’est perdu. Comme l’explique Antoine Salles Papou, responsable de l’école de formation, l’appel à candidature a reçu 1500 réponses. La sélection a donc été ardue. Le choix a été de privilégier une représentation de « toutes les catégories du peuple » pour essayer de « corriger certains biais sociologiques, rectifier des tendances de reproduction militante pour élargir la base de militants formés ». Vu le succès de cette offre de formation, une nouvelle promotion commencera dès la rentrée 2023. Retrouvez l’entretien de l’insoumission.fr présentant « l’école du peuple », l’école de formation militante de la FI.

« Il y a une brèche pour mener une contre-offensive hégémonique » : Bernard Pignerol présente le Conseil Scientifique de l’Institut La Boétie

Puis, Bernard Pignerol, juriste et haut fonctionnaire proche de Jean-Luc Mélenchon depuis des années, présente le Conseil scientifique de l’Institut La Boétie. « Il reflète le niveau auquel nous souhaitons nous situer. Sa composition est à la fois de très haut niveau académique et représente les diverses familles, sensibilités et histoires de notre famille de pensée », commence-t-il.

Quel sera son rôle ? « À chaque séance, ses membres se verront présenter les travaux des départements, leurs publications, leurs conférences, colloques, tables-rondes ou chaires et aussi ce qui remontera du mouvement LFI et du travail de notre groupe parlementaire ». Les membres du Conseil Scientifique auront comme rôle précieux de donner des avis extérieurs éclairés sur l’activité de l’Institut La Boétie. Ils pourront également proposer, quand cela leur paraîtra nécessaire, des thèmes de travail spécifiques, « sur lesquels l’ensemble des départements pourraient plancher […] pour renouveler les positions de notre camp ou pour nous préparer à une bataille particulière ».

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Voilà quelques noms des premiers membres de Conseil scientifique de l’Institut : l’économiste Jacques Généreux, la sociologue spécialiste des ultra-riches Monique Pinçon-Charlot, l’historienne spécialiste de la Révolution française Florence Gauthier, le vice-président du Comité consultatif du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies Jean Ziegler…Des grands noms de l’insoumission !

Il ne reste plus qu’à franchir le pont ainsi construit

Pour conclure cette séance inaugurale et comme un symbole de ce pont entre travail intellectuel et politique, se succèdent sur la scène Abdourahman Waberi, grand prix littéraire d’Afrique noire, Annie Ernaux, prix Nobel de littérature et Jean-Luc Mélenchon, le premier candidat de la gauche radicale, portant un programme de rupture avec le capitalisme néolibéral, à avoir dépassé les 20% à l’élection présidentielle.

Il résume dans la conclusion de son discours la feuille de route de l’Institut La Boétie : « Le système dominant se nourrit de ses propres dévastations. Il doit donc être remplacé. Cela ne peut se faire sans la contribution décisive d’une pensée critique globale alternative. Notre ambition est là. Nous qui ne voulons ni de la retraite à 64 ans ni de son monde, de cœur, de corps, d’esprit, cessons de servir. Alors, nous serons libres ». La hâte de voir la suite est immense.

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