Jean Ziegler : "brûler de la nourriture pour faire du carburant est un crime contre l’humanité" Les biocarburants ne réduisent pas les émissions en gaz à effet de serre

mardi 30 octobre 2007.
 

Lors de son interview durant l’émission "Complément d’enquête" du 8 octobre, Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, a été très virulent. Il doit présenter le 25 octobre prochain, devant l’assemblée générale des Nations Unies, son rapport sur les agro-carburants. Il demandera un moratoire de 5 ans.

« Dans ce monde tel qu’il est aujourd’hui, brûler de la nourriture et la transformer en carburant, c’est un crime contre l’humanité » Il explique que pour produire un plein de 50 litres de bioéthanol, il faut brûler 230 kg de Maïs, alors que 250 kg est ce qui permet de nourrir une personne pendant une année.

Il rappelle les chiffres : 854 millions, un homme sur 6, est gravement sous-alimenté. Un enfant de moins de 10 ans meure toutes les 5 secondes. Toutes les 4 minutes, un être humain perd la vue par manque de vitamine A. Ce qu’il appelle le massacre quotidien de la faim augmente. La situation s’aggrave de jour en jour.

Il est donc violement contre la transformation de plantes nourricières en carburant. Il demande un moratoire de 5 ans c’est-à-dire l’arrêt de cette utilisation jusqu’à ce qu’on passe à une deuxième phase de production, où l’on réussirait à produire l’essence à partir des parties non-nouricières, comme les tiges.

Les raisons géo-stratégiques sont importantes : en mars 2007, Georges Bush a décidé de promouvoir les agro-carburants, pour moins dépendre du pétrôle. (Les USA importent les 2/3 de leurs carburants.)

Moralement, la survie de millions d’hommes et de femmes devraient passer avant ces intérêts géo-stratégiques.

Pourtant, il est pessimiste. En bon analyste du marché dominé par les mut-ltinationales, il pense que les profits seront les plus forts. En affet les agriculteurs voient les prix des matières premières s’envoler grâce à ce nouveau marché. Il est donc peu probable qu’elles renonceront à cette mane.

Il met en garde : « Si on laisse faire les grandes sociétés multinationales, l’hécatombe de la faim va croître encore. Alors qu’on pourrait déjà aujourd’hui, si on avait une politique agricole mondiale convenable, raisonnée, décidée par les peuples et non par les multinationales, nourrir toute la planète. ».

Contrairement à une idée largement répandue, des scientifiques américains affirment que les biocarburants qui se substituent aux carburants classiques ne réduisent pas les émissions en gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique.

Des chercheurs californiens du SRI Consulting - un institut international d’étude de marché pour l’industrie chimique - ont déterminé que l’utilisation de biocarburants n’introduirait aucun changement sur le réchauffement global et pourrait même avoir pour résultat une augmentation des émissions de gaz à effet de serre par rapport au carburant diesel conventionnel.

Ces chercheurs ont comparé les émissions de gaz à effet de serre du diesel et du biodiesel, tout le long de leur cycle de vie, depuis leur production jusqu’à leur combustion dans les moteurs (production, transport, transformation, distribution). Les résultats, publiés dans le journal "Chemistry & Industry", montrent que le biocarburant à base d’huile de colza cultivé dans des champs dédiés émet à peu près autant de gaz à effet de serre que le carburant diesel conventionnel (à base de pétrole, NDLR).

Or, selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et le ministère de l’Industrie qui ont fait réaliser une étude de l’analyse du cycle de vie (ACV) des différents carburants en 2002, la filière EMVH/Diester produirait 3,5 fois moins de gaz à effet de serre avec un rendement énergétique 3,3 fois supérieur par rapport à la filière gazole.

L’étude américaine souligne que si le sol utilisé pour cultiver le colza servait à faire pousser des arbres, les émissions en GES calculées en équivalent CO2 seraient alors trois fois plus faibles pour le diesel pétrolier que pour le biodiesel : les arbres fixant le carbone le temps de leur croissance.

Le diesel d’origine pétrolière émet 85 pour cent de ses gaz à effet de serre au moment où il est consommé dans un moteur. Au contraire, les chercheurs constatent que les deux tiers des émissions de GES par le biocarburant au colza se produisent au cours de la pousse, le colza émettant de l’oxyde nitreux qui est environ 300 fois plus actif (du point de vue de l’effet de serre) que le CO2. Pourtant, l’ADEME concluait il y a quelques mois que l’utilisation des biocarburants a des effets globalement positifs sur l’air et le climat tout en précisant qu’il fallait veiller à ce que le mode de production soit respectueux de l’environnement : mode de culture, usage de pesticide, irrigation, méthode de raffinage...

Si le mode de production américain reste sans doute plus intensif que celui que l’on trouve en Europe, et donc plus polluant, force est de constater que le bilan relatif aux émissions en gaz à effet de serre n’est pas aussi clair qu’il n’y paraît.

Au final, avec la multiplication des études qui révèlent les maux engendrés par les biocarburants, ceux-ci apparaissent de moins en moins comme une solution écologique, mais plutôt purement énergétique...


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