La réduction du temps de travail : histoire de la bataille emblématique du mouvement ouvrier

dimanche 29 janvier 2023.
 

Temps de travail. « Les systèmes de retraite, les régimes spéciaux, ne sont pas des faveurs ou des privilèges. Ils sont le résultat de luttes sociales », déclarait Jean-Luc Mélenchon devant des travailleurs mobilisés contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron en 2019. Les luttes sociales menées par le mouvement ouvrier ont permis à l’ensemble des travailleuses et travailleurs d’arracher la réduction du temps de travail dans la journée, dans la semaine et dans la vie.

Changer notre rapport au travail pour tendre vers une société du temps choisi : voilà l’objectif ultime de ce combat. De l’interdiction du travail des enfants, en passant par la semaine de 40 heures, les congés payés, la retraite à 60 ans, les 35 heures, jusqu’à la bataille à mener en ce début 2023 contre la retraite à 64 ans voulue par Emmanuel Macron, l’insoumission vous raconte la bataille emblématique de l’histoire du mouvement ouvrier : la réduction du temps de travail. Récit.

Première étape : l’interdiction du travail des enfants

Cela peut paraître à la fois fou et très loin de nous. Mais au 19ème siècle, en pleine révolution industrielle, les capitalistes exploitaient aussi les enfants, à des cadences infernales. Avec le même objectif qu’aujourd’hui : engranger toujours plus de profits. Révolté contre le traitement infligé aux enfants, le mouvement ouvrier s’est mobilisé.

La loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants a été la première loi réglementant le travail des mineurs. Elle a interdit le travail des enfants de moins de 8 ans et a fixé pour les autres une durée maximale de travail quotidien : 8 heures jusqu’à 12 ans et 12 heures jusqu’à 16 ans. Le travail de nuit (entre 21 h et 5 h du matin) a été interdit pour les moins de 13 ans. En 1874, une nouvelle loi a limité l’emploi avant 12 ans.

Puis, en 1892, une nouvelle loi est venue limiter à 11 heures par jour le temps de travail des femmes, ainsi que celui des enfants de seize à dix-huit ans. Il faudra attendre jusqu’en… 1958 pour que le travail en dessous de 16 ans soit interdit. Tout ça n’est vraiment pas si loin de nous.

1er mai : la journée symbolique du mouvement ouvrier

D’où vient le 1er mai ? L’histoire de la journée internationale des travailleuses et travailleurs, célébrée le 1er mai, est intimement liée à la lutte pour la réduction du temps de travail. En 1884, des syndicalistes américains engagent la lutte. Ils demandent la limitation du temps de travail quotidien à 8 heures. Ces derniers entament une grève le 1er mai 1886, premier jour de la nouvelle année comptable des entreprises.

À Chicago, la police charge les manifestants et fait un mort et une dizaine de blessés. En 1889, sous l’impulsion de Jules Guesde, la IIème Internationale socialiste décide de faire du 1er mai de chaque année une journée de manifestation avec pour objectif la réduction de la journée de travail à huit heures (soit 48 heures hebdomadaires, le dimanche étant le seul jour de repos). À l’époque, la durée quotidienne de travail est de 10 heures, voire plus dans la plupart des pays industrialisés.

Le 1er mai 1891, un nouveau drame marque la lutte pour la réduction du temps de travail : à Fourmies, dans le Nord de la France, une troupe militaire tire sur la manifestation tuant dix personnes dont deux enfants. La fusillade de Fourmies ancrera la journée du 1er mai comme journée de lutte. En France, la journée de 8 heures sera instaurée en 1919, la même année où le Sénat fera du 1er mai une journée chômée. Depuis 1919, la lutte continue le 1er mai pour réduire la durée de travail.

Semaine de 40 heures, congés payés : les avancées historiques de 1936

« Front populaire, 1936 ». Deux mots, une année, et tellement d’images nous viennent en tête. Léon Blum, les congés payés, les « grèves de la joie », la menace fasciste à l’aube de la Seconde Guerre mondiale… Impossible de ne pas revenir sur ce moment historique qu’a constitué le Front populaire dans la longue Histoire du mouvement ouvrier. La tentative de coup d’état de l’extrême droite le 6 février 1934 est le détonateur : la CGT met un terme à ses divisons, les effectifs syndicaux explosent, « passant en un an de 750 000 à 4 millions d’adhérents » (L’Humanité).

Le 14 juillet 1935, le serment du Front populaire est proclamé. Il constitue une coalition des trois principaux partis de gauche de l’époque : le Parti radical, le Parti Communiste Français et la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). Le Front populaire remporte une large victoire aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936 : il obtient 386 députés sur 608. Le socialiste Léon Blum prend la tête du gouvernement.

La victoire électorale de cette coalition a suscité dans le cœur des salariés un immense espoir. En 1936, la philosophe Simone Weil participe aux premières grèves. Dans la revue La Révolution prolétarienne, elle écrit ces mots : « Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange ».

Un mouvement de grèves et de blocages massifs s’organise dans le pays avant même la formation du nouveau gouvernement. Une mobilisation effrayante pour le patronat, forçant le gouvernement Blum à ne pas décevoir le camp du travail. Un mythe se déconstruit : le Front Populaire n’a pas accordé les congés payés et la semaine de 40 heures de son plein gré.

C’est la mobilisation de masse des salariés qui a obligé le gouvernement du Front Populaire à aller plus loin que ce qu’il avait promis. Les congés payés et la semaine de 40 heures… ne figuraient pas dans son programme durant les élections législatives. Ils vont pourtant être inclus dans les accords de Matignon du 7 juin 1936, signés par la CGT et le patronat.

Un épisode à ne pas oublier dans l’Histoire du mouvement ouvrier. Une preuve solide que la lutte paye, que le rapport de force dans la rue paye. Un épisode dont il est bon de se souvenir en ce début 2023, alors que le camp du capital veut décaler la retraite à 64 ans, sans aucune autre justification que financer 12 milliards de cadeaux supplémentaires au CAC 40.

3ème et 4ème semaines de congés payés : quand les syndicats prennent le pouvoir de vitesse

Dans l’Histoire du mouvement ouvrier, l’instauration des 3ème et 4ème semaines de congés payés est souvent moins connue que la période du Front Populaire. Mais elle fait tout autant partie de cette longue Histoire. Par deux fois, les syndicats ont pris le pouvoir de vitesse

La 3ème semaine de congés payés a été mise en place le 27 mars 1956 sous le gouvernement de Guy Mollet. Le 15 septembre 1955, la Régie Renault accorde à ses salariés une troisième semaine de congés payés suite à d’importantes mobilisations, notamment à Nantes et Saint-Nazaire (grèves, émeutes), etc. En somme, Renault ouvre la brêche. La propagation de la 3ème semaine de congés payés est rapide dans de nombreux secteurs. À la fin de l’année 1955, le président du Conseil Edgar Faure (équivalent du Premier ministre aujourd’hui), dissout l’Assemblée nationale. Faute tactique. Le socialiste Guy Mollet lui succède. Ce dernier généralisera la troisième semaine de congés payés à l’ensemble des salariés.

Concernant la 4ème semaine de congés payés, la Régie Renault (encore elle !), va procéder de la même façon qu’en 1955. En 1962, elle signe un accord instituant quatre semaines de vacances pour tous ses salariés. Le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou, est mis devant le fait accompli.

Le 20 mai 1965, « le CNPF (Conseil National du Patronat Français, ndlr) et la CGT-FO [négocient] l’extension de « la pratique Renault » à tous les salariés relevant d’une branche d’activité dépendant de l’organisation patronale » (Libération). Les PME rejettent cet accord. Le gouvernement n’a d’autre choix que faire voter une loi pour éviter l’installation d’un tel fossé entre les salariés du pays. La loi est votée le 2 mai 68. Mais l’historique mobilisation de 1968 retarde sa publication au 17 mai 1969.

De 1982 à 2000 : la réduction du temps de travail poursuit doucement son chemin

Du mandat de François Mitterrand au gouvernement de Lionel Jospin, la réduction du temps du temps de travail poursuit son chemin. Le 10 mai 1981, François Mitterrand devient le 4ème président de la 5ème République. Un moment historique pour la gauche. Sous son premier septennat, la réduction du temps de travail va progresser de plusieurs manières.

Par l’ordonnance du 16 janvier 1982, le gouvernement de Pierre Mauroy abaisse la durée légale du temps de travail à 39 heures. Cependant, François Mitterrand avait promis un passage… aux 35 heures dans le programme commun de la gauche (proposition 23). Par cette même ordonnance, la 5ème semaine de congés est instaurée pour l’ensemble de la population. Selon une estimation établie en 1985, le passage aux 39 heures a créé 14 000 à 28 000 emplois, dont 10 000 à 20 000 dans l’industrie, et le reste dans le commerce. La droite ne reviendra pas dessus durant les deux alternances (1986-1988 et 1993-1995).

« Le droit à la retraite à taux plein sera ouvert aux hommes à partir de 60 ans et aux femmes à partir de 55 ans. Les retraités auront le droit de siéger dans les instances de la Sécurité sociale et les caisses de retraite » : voilà la promesse faite par François Mitterrand aux Français lors de l’élection présidentielle de 1981 (programme commun, proposition 82). L’abaissement de l’âge légal de départ à la retraite va s’inscrire dans les lois Auroux de 1982.

Elles modifient de façon importante le droit du travail dans notre pays : création des Comités d’Hygiène, de Sécurité, et des Conditions de Travail (CHSCT) et d’un droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail, l’instauration du droit de retraite pour un salarié ou encore l’obligation de négociations annuelles dans l’entreprise sur les salaires, le temps et la durée de travail.

Le 1er avril 1983, après une ordonnance de mars 1982, l’âge légal de départ à la retraite est décalé à 60 ans ave 37,5 annuités. Les femmes, en revanche, sont les oubliées de la réforme. Au nouvel âge légal, la moitié d’entre elles seulement « auront cotisé assez longtemps pour avoir droit à une retraite complète » (L’Express).

Quoi qu’il en soit, il est instauré un « véritable droit au repos que les travailleurs sont fondés à revendiquer en contrepartie des services rendus à la collectivité à l’issue d’une durée de carrière normale » (Ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982). Au moment de la publication de l’ordonnance, les syndicats font la moue. « Ils s’inquiètent de la disparition de la garantie de ressources, qui fait de la retraite à 60 ans une réforme non financée » (Le Monde).

Si elles se félicitent toutes de la réforme en préparation, la CGT, la CFDT et la CFTC mettent la pression au gouvernement socialiste. Après d’âpres négociations, un accord est trouvé. La retraite à 60 ans est financée. « Ce sera une grande date dans notre histoire sociale ! », s’était exclamé Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales de 1982 à 1984 (INA). La retraite à 60 ans est la dernière grande réforme sociale menée par François Mitterrand. Déjà, le « tournant de la rigueur » de 1983 montrait le bout de son nez.

Sous le mandat de Nicolas Sarkozy, l’âge légal de départ à la retraite est ramené à 62 ans. Aujourd’hui, Emmanuel Macron veut continuer à aller contre le sens de l’Histoire et nous faire trimer jusqu’à 64 ans, malgré l’opposition de 80% des Français à sa réforme.

Pour aller plus loin : SONDAGE EXPLOSIF : 80% des Français sont contre la retrait à 64 ans

Les 35 heures, totem de gauche et dernier symbole de la grande bataille pour la réduction du temps de travail En 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale. Une grande erreur politique, le condamnant à cohabiter avec Lionel Jospin (PS) à Matignon, porté par une majorité de députés « Gauche plurielle ». 35 heures de travail hebdomadaires : voilà LA promesse faite par Lionel Jospin au moment des élections législatives anticipées de 1997. Les syndicats et collectifs de chômeurs descendent dans la rue. L’objectif ? Mettre la pression. Que la « gauche plurielle », source d’un grand espoir deux ans après le décès de François Mitterrand, n’oublie pas sa promesse.

Le passage aux 35 heures s’effectue en deux temps, concrétisé par le vote des deux « lois Aubry » (1998 et 1999), du nom de la ministre du Travail de l’époque, Martine Aubry. La seconde loi, promulguée le 19 janvier 2000, rend les 35 heures obligatoires « à compter de février [2000] pour les entreprises de plus de 20 salariés et à partir de 2002 pour les plus petites » (L’Express).

La bataille des 35 heures se fait non sans embûches. Le gouvernement de Lionel Jospin subit tout le long l’ire de la droite et du patronat, vent debout contre cette réforme. Il doit aussi composer avec ses alliés écologistes et communistes, alliés à certains syndicats, craignant une seconde loi trop favorable au patronat. Plus de 20 ans après, personne n’a osé attaqué frontalement ce totem politique, dernier symbole de la grande bataille pour la réduction du temps de travail.

2023 : les macronistes à contre-sens de l’Histoire Le bilan des 35 heures est très positif : cette mesure décriée par les néolibéraux et les grands patrons a pourtant créé 350 000 emplois. Depuis 2002, les lois de casse du code du travail ont fortement affaibli cette mesure, jusqu’à la rendre difficilement applicable dans les entreprises. Résultat : nous travaillons en moyenne plus de 37 heures par semaine en emploi, alors que des millions de chômeurs cherchent un travail.

En stoppant le long chemin de la réduction du temps de travail, les néolibéraux vont à contre-sens de l’Histoire. Obsédés par les pays où l’on travaille plus longtemps que chez nous, ils n’admettent pas que les travailleurs français sont parmi les plus productifs du monde en travaillant 37 heures. Toute évocation d’une nouvelle réduction du temps de travail leur donne des sueurs froides.

En 2023, où en sommes nous ? Lors de la dernière élection présidentielle et comme durant les deux précédentes, Jean-Luc Mélenchon s’est inscrit dans la tradition historique du mouvement ouvrier. Un objectif principal : poursuivre la réduction du temps de travail dans la semaine, dans la journée et dans la vie. Trois mesures emblématiques étaient inscrites dans l’Avenir en commun, le programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon : la retraite à 60 ans avec 40 annuités, la retour effectif aux 35 heures hebdomadaire et l’établissement d’une sixième semaine de congés payés. Cette position a été adoptée par la NUPES, alliance historique de la gauche, en vue des élections législatives de juin 2022.

Pour poursuivre la longue histoire de la réduction du temps de travail, la gauche du rupture avec le capitalisme aurait voulu aller plus loin. Pour les métiers pénibles et le travail de nuit, les 32 heures auraient dues immédiatement devenir la norme. Une conférence nationale sur le partage du temps de travail et l’impact du progrès technologique aurait été organisée. Son objectif ? Discuter des modalités et du calendrier de la transition vers la semaine des 32 heures, ainsi que la possibilité de travailler 4 jours à raison de 8 heures de travail quotidiennes.

Même s’ils les néolibéraux le souhaitent, s’attaquer frontalement à la mesure si symbolique des 35 heures n’est pas aisé politiquement. Dès lors, ils concentrent leurs efforts de destruction des conquis sociaux sur le système des retraites. Le 10 février dernier, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé les contours de la réforme des retraites voulue par le chef de l’État. La mesure emblématique : déclarer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une déclaration de guerre sociale aux 80% des Français s’étant prononcés contre.

Pour aller plus loin : Retraite à 64 ans : travaillez 2 ans de plus pour financer les cadeaux aux assistés d’en haut

De nombreux arguments et chiffres battent en brèche les discours des macronistes, notamment deux refrains ronflants vieux de 30 ans : « Notre système de retraite est en danger, il faut le sauver » et « on vit plus longtemps, ainsi nous devons travailler plus longtemps ». Le retour à la retraite à 60 ans, comme l’ont défendu Jean-Luc Mélenchon et la NUPES, est le sens logique de l’Histoire. Les Français vivent plus longtemps parce qu’ils travaillent moins longtemps. Une meilleure répartition des richesses, par une taxation sur les revenus des extrêmes riches, aiderait à financer un tel progrès social.

« La réduction du temps de travail est consubstantielle à la classe salariée parce que la classe salariée est la seule qui produit toutes les richesses, qui sont si mal réparties aujourd’hui, et elle a droit à la part qui lui revient, parce que c’est elle qui l’a produite. », comme l’expliquait Jean-Luc Mélenchon lors de la mobilisation historique contre la réforme des retraites de 2019. Aujourd’hui, le combat contre la réforme du gouvernement doit continuer. Aussi bien à l’Assemblée nationale que dans la rue. Parce que la lutte paye. Parce que la réduction du temps de travail est le progrès social que les sociétés au service de l’intérêt général humain doivent atteindre.

Par Nadim Février


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message