En Iran, « les femmes sont à l’avant-garde du mouvement social »

lundi 9 janvier 2023.
 

Entretien avec Sahar Salahshoor, cinéaste iranienne, co-autrice du programme de « Femmes d’Iran, devant et derrière la caméra », en 2021 pour le mois du film documentaire.

Quel rôle a joué la mobilisation des femmes dès le début du soulèvement contre le régime de la république islamique ? Quel est le lien avec les revendications exprimées précédemment par les femmes ?

Les mobilisations de femmes pour défendre l’égalité homme-femmes et la place des femmes dans la société en Iran ont existé avant l’arrivée du régime des mollahs en 1979. Elles ont abouti au droit de vote des femmes en 1969 (avant la Suisse !), et ont porté sur le droit des femmes pour la demande de divorce et la garde des enfants. Mais le cadre général de la société restait patriarcal et dominé par la religion. Les femmes ne pouvaient voyager et sortir du pays sans autorisation de leur mari.

Les débuts de la république islamique ont été marqués par une grande mobilisation de 6 jours des femmes en réaction aux déclarations menaçantes de Khomeiny à la veille de la journée internationale des femmes du 6 mars 1979.

Une partie des femmes avaient espéré que le changement politique auquel elles avaient participé allait améliorer le statut des femmes… Cette large mobilisation, durement réprimée, a été la plus importante au cours des 44 dernières années. Elle n’a pas été soutenue par une partie des forces de gauche qui pensait qu’elle menaçait la jeune révolution, anti-impérialiste.

Une nouvelle explosion sociale a commencé avec l’action de Vida Movahed qui a brandi son voile au bout d’un bâton dans la rue de la Révolution à Téhéran en décembre 2017. Cet acte de protestation féministe a été suivi en 2018 et 2019 par un mouvement de révolte des classes défavorisées qui s’est répandu dans le monde rural et a donné lieu à une répression sanglante de la police avec 1500 morts. Ce qui a engendré un sentiment de colère et d’injustice qui porte en germe la nouvelle révolte des femmes de 2023.

Comment analysez-vous la mobilisation actuelle ?

L’assassinat par la police des mœurs d’une jeune kurde de 22 ans, Jina Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, a été l’étincelle qui a déclenché la vaste mobilisation des femmes. De nombreuses vidéos dans les réseaux sociaux avaient montré la violence extrême de la police des mœurs à l’encontre des femmes qui « portaient mal leur voile ».

La mobilisation a été amplifiée par le fait que Jina appartenait à la minorité kurde, largement opprimée par le régime des mollahs. La famille de Jina a osé rendre public ce féminicide d’État, alors que les familles n’avaient pas osé jusqu’ici dévoiler les nombreuses exactions de la police des mœurs.

Les funérailles de Jina ont donné lieu à d’immenses manifestations, exprimant la solidarité du peuple iranien. Le slogan kurde « femmes, vie, liberté » a été repris par tout le mouvement, qui a subi une répression violente, avec 448 morts officiels dont 63 enfants, et plus de 18000 prisonniers.

Les revendications se sont élargies contre la dictature des mollahs, pour la défense des libertés, des droits des femmes, des minorités ethniques et des LGBT. La société iranienne a désormais perdu confiance dans la possibilité d’une réforme de la république islamique qui avait donné lieu au « mouvement vert » au moment de l’élection présidentielle de 2009, avec l’ouverture d’un espace public de débat pour le mouvement social.

Le mouvement actuel rassemble non seulement les femmes qui luttent pour leur émancipation, mais aussi les classes populaires « invisibilisées » victimes du blocage politique et économique causé par le régime des mollahs. En ce sens, le mouvement actuel a une forte dimension antisystème et anticapitaliste. Les couches de la population qui profitent du système actuel, ne participent pas au soulèvement révolutionnaire.

Quels sont les enjeux de la période à venir ?

Ce soulèvement reflète une prise de conscience des effets négatifs du patriarcat pour toute la population. Les femmes sont à l’avant-garde du mouvement social, elles se sont imposées par leur courage face au régime islamique et à la police. Les hommes qui se sont joints au mouvement y participent en se rangeant derrière l’avant-garde féministe.

Ce mouvement va créer une avancée sociale et culturelle en faveur de l’émancipation des femmes dans la famille et la société. L’accélération et l’élargissement des mobilisations depuis 2009 ont affaibli la république islamique.

Il y a un risque de récupération par les féministes de droite et les forces politiques Libérales-nationalistes qui ne défendent pas les minorités kurdes, azéris, baloutches. Ces forces politiques cherchent à montrer, en faisant du lobbysme à l’étranger, qu’elles pourraient constituer une alternative au régime des mollahs. Ces forces sont dangereuses car, minoritaires en Iran, elles sont majoritaires à l’étranger où elles ont établi des liens avec Macron, Biden, …

L’enjeu d’avenir pour nous est de lutter contre cette récupération, et de défendre l’interprétation progressiste et féministe de notre mot d’ordre « femmes, vie, liberté », respectueuse des minorités ethniques et de genre.

Propos recueillis par Dominique Plihon


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