Sur les politiques palestiniennes

mercredi 4 janvier 2023.
 

Analyser la politique israélienne concernant les Palestiniens ne présente pas de difficulté majeure : colonisation en expansion permanente, exactions quotidiennes et discriminations multiples pour lesquelles le terme d’apartheid paraît bien faible.

par Philippe Lewandowski

Le site du Centre international des médias du Moyen-Orient1 (IMEMC) permet de suivre au jour le jour les crimes et méfaits d’une politique dont les variations ne diffèrent que fort peu d’un gouvernement à l’autre. Il est en revanche plus complexe d’appréhender la politique des Palestiniens, en raison de la diversité des situations, de la multiplicité des forces à l’œuvre, ainsi que d’une évolution clairement perceptible.

Des organisations divisées et contestées

Le diagnostic de Didier Billion, analyste de l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) est sans ambiguïté : « La direction de l’OLP, et mécaniquement celle de l’Autorité palestinienne, s’est totalement coupée de la population, et n’est plus du tout acceptée. On constate une coupure générationnelle, avec des dirigeants qui avoisinent les 80 ans et une population très jeune. Au mieux, l’organisation laisse indifférents les jeunes, au pire elle suscite chez eux une révolte contre la direction. Ce qui paraît clair, c’est que la classe dirigeante est totalement déconnectée des préoccupations citoyennes. En outre, la corruption qui gangrène l’OLP n’est un secret pour personne et accentue le discrédit à l’égard de la classe politique. Cette organisation, qui a arrimé le sentiment national palestinien, n’est plus que l’ombre d’elle-même puisqu’elle ne représente plus que la défense de ses propres intérêts. »

Et pour lui, « aujourd’hui, il n’y a pas de relève politique en tant que telle. Les partis traditionnellement opposés à la ligne de coopération de l’OLP avec Israël (Front démocratique et Front populaire pour la libération de la Palestine) sont groupusculaires et n’ont que peu d’influence dans les institutions palestiniennes ». Il n’est pas plus tendre avec le Hamas : « Ce qui est à mon sens critiquable dans le fonctionnement de l’Autorité palestinienne peut, en large partie, s’appliquer aux dirigeants du Hamas. Ils ne sont pas exemptés de problèmes de corruption et de discrédits politiques. Si des élections s’organisaient, il n’est pas impossible que le Hamas en sorte renforcé. Mais il ne faut pas s’illusionner. À l’instar de l’OLP, bien que les trajectoires politiques et les référents identitaires diffèrent, le Hamas est perçu par la jeunesse palestinienne comme une structure éloignée des réalités quotidiennes »2.

Lutter contre la division des organisations politiques reste néanmoins d’autant plus une préoccupation qu’elle n’est pas perçue comme une fatalité par ceux qui se souviennent du Document des prisonniers de 2006, rédigé et signé par des militants de l’ensemble des organisations palestiniennes (Fatah, FPLP, FDLP, Hamas, Jihad islamique). Mais depuis ce temps, les actions communes brillent par leur absence.

Des chercheurs du Think Tank palestinien Al Shabaka s’interrogent sur les moyens de sortir de cette impasse : ainsi Belal Shobaki se demande « Quelle place pour le Hamas et le Jihad islamique dans la reconstruction de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ? »3 ; un débat réunissant Leila Farsakh, Ahmad Samih Khalidi, et Nadim Bawalsa, se tient le 19 octobre de cette année et porte sur le thème : « Succession palestinienne : crise ou opportunité ? ».

Sur le terrain cependant, de nouveaux acteurs font leur apparition.

L’entrée en scène de nouvelles générations

En 2021 surgit ce qu’on a pu appeler « l’intifada de l’Unité », « un mouvement populaire inédit, qui a projeté sur le devant de la scène une jeunesse organisée en dehors des factions traditionnelles et mue par la volonté commune de transcender le morcellement géographique, juridique et politique conçu pour étouffer ses aspirations. À l’occupation qui veut les contenir dans au moins quatre réalités séparées les unes des autres, Palestiniens de Jérusalem, de l’intérieur, de Gaza ou encore de Cisjordanie – sans compter les communautés de réfugiés dans les pays limitrophes – ont voulu faire la démonstration de leur unité par-delà les lignes de démarcation, reliant la question des expropriations à Jérusalem à celle du blocus de Gaza, ou encore de l’occupation et de la colonisation en Cisjordanie. À celle également des discriminations systémiques qui frappent de plein fouet les citoyens palestiniens d’Israël, nommés par l’État hébreu “Arabes israéliens” »4.

Plus récemment, les opérations menées par de jeunes Palestiniens contre Tsahal, notamment à Naplouse et à Jénine, dénotent, ainsi que l’analyse Muiz Karaja, une « recristallisation de la résistance en Cisjordanie et son développement entre les mains d’une nouvelle génération de jeunes, à l’ombre d’un système politique faible et dépourvu de base populaire. […] Cette évolution se manifeste dans la nature de la résistance qui se concentre à Jénine et à Naplouse. Elle commence à former une entité nationale supra-partisane, avec ses propres jeunes leaders et ses propres figures symboliques, qui ont fait leurs preuves sur le terrain »5.

Certains commentateurs estiment que « le régime israélien est incapable de démanteler la résistance en attaquant les groupes armés, car il s’agit d’un soulèvement populaire, armé et décentralisé. […] Cette Intifada vient du peuple, tout comme la première Intifada en 1987, mais il n’y aura bientôt plus personne pour intervenir et négocier la fin du soulèvement »6. Il serait cependant hasardeux de considérer les jeux comme étant faits : il ne faut en effet pas sous-estimer les ressources des appareils politiques établis, ni les capacités de répression de l’armée israélienne, qui, début avril, a lancé l’opération Break the wave (« Casser la vague ») : « Depuis, pas un jour ne passe sans raids, arrestations et liquidations physiques dans les territoires occupés ».

La relève politique palestinienne est certes à l’ordre du jour, mais n’a pas (encore ?) gagné la partie. Comment transformer une révolte légitime en perspective politique véritable ? Et ce, dans une situation où, comme le rappelle Didier Billion, « il ne peut y avoir une solution à deux États ». Selon lui, « le véritable combat à mener est celui de l’égalité des droits et de la libération des territoires annexés par l’occupant israélien », autrement dit la fin de la colonisation. Sans oublier le droit au retour, principe adopté dans la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Philippe Lewandowski (décembre 2022)

1. https://imemc.org.

2. « L’organisation de libération de la Palestine n’est plus que l’ombre d’elle-même », interview de Didier Billion parue dans La Marseillaise, www.iris-france.org, 8 février 2022.

3. https://al-shabaka.org/commentaries....

4. Soulayma Mardam Bey, « Intifada palestinienne de l’unité un an après », www.lorientlejour.com, 6 mai 2022.

5. Muiz Karaja, « Palestine : une nouvelle résistance qui enterre les accords d’Oslo », https://orientxxi.info, 27 septembre 2022.

6. Robert Inlakesh, « La résistance armée en Palestine devient irrésistible », www.chroniquepalestine.com, 14 octobre 2022.


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