Aux sources de l’économie politique Platon, Aristote, Sénèque...

mercredi 4 janvier 2023.
 

Les philosophes grecs et romains de l’Antiquité ont-ils eu une réflexion sur l’économie ? Si oui, celle-ci a-t-elle eu des effets sur l’histoire de l’économie et a-t-elle encore une actualité 25 siècles plus tard ?, La réponse est oui comme le montrent les documents suivants.

L’économie selon les penseurs de l’Antiquité.

Source : France Culture. Entendez-vous l’éco ? Tiphaine de Rocquigny.

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Les textes suivants sont les présentations des émissions sur le site de France Culture.

Le lecteur peut s’informer sur la composition des équipes productrices en utilisant les liens indiqués.

Cette émission « Entendez-vous l’éco ? » De de Tiphaine de Rocquigny sur France Culture du lundi au vendredi entre 14 h et 15 h et toujours de très bonne tenue.

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Épisode 1 : Platon le marchand et le philosophe.

21/11/2022 le lien pour écouter l’émission :

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Chez Platon, c’est la politique qui est centrale dans la cité car elle est l’œuvre de la raison et de l’entendement et permet, de ce fait, la poursuite du plus grand Bien. Mais quelle est alors la place accordée à l’économie, à la fois productrice et destructrice du lien social ?

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Avec Etienne Helmer Philosophe, spécialiste de philosophie ancienne.

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Si Platon est surtout connu pour sa philosophie métaphysique ou politique, les thèmes économiques ne sont pas totalement en reste dans ses écrits. Champ de la vie sociale et cœur du fonctionnement de la cité, Platon s’attache à décrire l’échange, la production, l’enrichissement, la division sociale des tâches… Autant de thématiques qui, sans faire l’objet d’une théorie économique à proprement parler, sont développées tout au long de son œuvre.

La position ambivalente de l’économie dans la cité platonicienne Platon, loin de reléguer les questions économiques à la sphère domestique (celle de l’oikos) comme d’autres philosophes de son temps, va montrer qu’elles ont une pertinence sur le plan politique, c’est-à-dire à l’échelle de la cité. Les hommes s’associent parce qu’ils ont besoin de subvenir à leurs appétits matériels. Nous ne sommes pas autosuffisants et devons échanger avec les autres, ainsi le lien social est-il d’abord un lien économique. Mais cette même économie, tout autant qu’elle a un rôle fondateur dans la cité, est capable de la détruire. Comme l’explique Etienne Helmer : "Platon estime que les échanges et les activités économiques sont à l’origine du lien social et que, par conséquent, à partir d’elles, vont s’élaborer d’autres formes de relation - et en particulier des relations politiques. Mais la façon dont ces relations politiques apparaissent est aussi le résultat d’un danger qui est lui-même porté par ces mêmes relations économiques. Pourquoi ? Parce que Platon estime que nous n’arrivons pas à limiter nos besoins qui, au contraire, ont un peu tendance à toujours passer la mesure. Ils donnent lieu à une forme de compétition, de violence, de rivalité, dont l’expression la plus paradigmatique dans La République, c’est la guerre. Et cette guerre, justement, appelle la nécessite de la politique pour nous protéger". Quand l’économie ne se limite pas à la fonction qui lui est assignée, c’est-à-dire à celle de pourvoir à nos besoins, elle est une menace pour tous les régimes. C’est le rôle du politique de contenir ce caractère destructeur de l’activité économique.

Comment faire en sorte que l’économie participe à la cité juste ?

Tout l’enjeu pour Platon est de parvenir à placer l’économie sous le signe de la tempérance, alors même que l’être humain se prête plutôt à la démesure. Il préconise ainsi un certain nombre de mesures pour limiter la tendance de nos appétits à courir vers l’excès et organiser l’économie de manière à préserver la concorde et la justice. Dans Les Lois, il propose par exemple une règle consistant à ne pas outrepasser, dans une cité, un écart de un à quatre entre la fortune des plus riches et celle des plus pauvres. Pour Etienne Helmer : "Cet écart de un à quatre est un éventail faible, qui a l’avantage de rendre représentables les écarts de richesse. Par cette espèce de mathématisation de l’unité (qui était encore très large dans La République), n’importe quel citoyen peut se représenter le niveau de vie des autres sans que cela donne lieu à quelque chose d’inimaginable. Dans nos sociétés quelque part, ces écarts sont absolument colossaux, on n’en a plus idée. Les extrêmes de la distribution ne peuvent pas avoir conscience l’un de l’autre, alors que chez Platon, si. Et donc il y a toujours cette idée que nous appartenons finalement à un tout, à un même ensemble". C’est à la sphère politique d’apporter à l’économie une certaine rationalité, de lui poser des limites.

Bibliographie Etienne Helmer, La part du bronze, Platon et l’économie, Vrin, 2010

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Références sonores

Lecture d’un extrait de Platon, La République , livre I

Lecture d’un extrait de Platon, La République, livre VIII

Lecture d’un extrait de Platon, Les Lois, livre IX

Extrait du film La bataille de Corinthe de Mario Costa, sorti en 1961

Extrait du documentaire L’Abécédaire de Gilles Deleuze, produit par Pierre-

André Boutang et tourné entre 1988 et 1898 : "H comme histoire de la philosophie"

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Références musicales

"Heureux qui comme Ulysse", par Georges Brassens

"Zouh", par Chilla

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Épisode 2 : Aristote. Une éthique de l’acquisition.

2/11/2022

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Avec Aristote, l’économie est placée sous le signe de l’éthique. Pensant aussi bien la nécessité de l’échange que les dangers de la chrématistique, le philosophe porte un regard critique sur le commerce et sur l’argent, qui est encore d’une grande actualité.

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Avec

Patrick Mardellat Professeur des universités et directeur des relations internationales à l’IEP de Lille

Charlotte Murgier maîtresse de conférences en philosophie ancienne à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne

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Aristote (384-322 av. J.-C.) mène une vie bien éloignée de la tranquillité d’un philosophe pleinement consacré à l’écriture et à la pensée. Marqué par l’exil et la disparition des cités grecques autonomes, peu à peu absorbées par l’extension de l’empire d’Alexandre le Grand, il développe une philosophie pratique, moins idéelle que celle de son célèbre maître Platon. Il l’enseigne notamment au Lycée, l’école philosophique qu’il crée à Athènes sur le modèle de l’Académie platonicienne, célèbre pour son promenoir qui servait souvent de cadre à des cours déambulatoires. Le premier, Aristote prend au sérieux l’économie en tant que savoir, et en propose une philosophie qui a inspiré les pères de l’économie politique, d’Adam Smith à Karl Marx.

L’économie : un savoir toujours subordonné aux enjeux éthiques

Pour Aristote, l’économie appartient à la sphère privée et se rattache à la vie domestique. Comme l’explique Patrick Mardellat : "L’économie peut être définie chez Aristote à partir du rapprochement de deux termes grecs. D’abord l’oikos, qui renvoie à la famille, à la maison, au lieu de vie, et ensuite le nomos, qui renvoie à l’idée de règle ou de convention. Chez Aristote, l’économie est donc un rassemblement de personnes formant une unité familiale autour d’un principe qui les unit en vue d’une certaine finalité : de bien vivre. Dans les langues modernes, le terme qui traduit le mieux cette idée est probablement celui de household en anglais. C’est ce qui tient une maison ensemble". Cette organisation familiale de l’économie est au fondement de la vie en cité et donc de la possibilité pour l’homme de se réaliser en tant qu’"animal politique". Charlotte Murgier explique : "Loikos est une communauté pré-politique, dont le but est d’assurer le vivre. Vient ensuite le village qui est un rassemblement de familles, puis enfin la cité, qui représente réellement l’entrée au stade politique. Il ne s’agit alors plus seulement d’assurer le vivre mais le bien vivre, la vie heureuse. Ces stades pré-politiques sont indispensables pour procurer à la cité l’autarcie, l’autosuffisance qui permettra de développer le bien vivre à travers des vertus morales et intellectuelles. Donc c’est indispensable, mais on n’est pas encore dans le politique : l’économie a un statut qui demeure subordonné à la politique". Si Aristote propose une pensée de l’économie, elle n’est donc pas développée pour elle-même mais immédiatement placée sous l’éthique et la politique. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce soit dans La Politique et dans L’Ethique à Nicomaque qu’on en trouve les éléments majeurs.

Du commerce naturel aux dangers de la chrématistique

Aristote forge le terme de "chrématistique" à partir du terme grec chrémata (l’argent, la richesse) pour désigner l’art d’acquérir des richesses. Cet art se déploie néanmoins sous deux formes. D’abord, lorsqu’ils sont placés sous leur fin naturelle, c’est-à-dire sous la fin du bien vivre, l’échange et le commerce sont conformes à la nature. Patrick Mardellat : "A la différence de Platon, chez qui l’économie nous aspire immédiatement dans la démesure et le malheur, Aristote admet qu’il y a deux formes de l’économie. Il existe une bonne forme de l’économie, qui est inscrite dans les limites de la fin naturelle de l’existence humaine. Et donc, chez Aristote, il y a un intérêt pour le savoir économique, c’est-à-dire pour les distinctions notionnelles, qui nous permettent d’éviter de sombrer dans le malheur de la mauvaise économie". Contre son maître, Aristote défend ainsi la propriété privée, qui peut permettre aux citoyens de cultiver certaines vertus. C’est ce qu’explique Charlotte Murgier : "Aristote critique la communauté des femmes, des enfants et des biens mise en place par Platon dans La République, au motif que, sous prétexte d’améliorer l’homme moralement en déracinant les intérêts privés et en enlevant les causes d’injustices, Platon aurait en fait appauvri moralement l’homme. Il l’a appauvri en le privant de la possibilité d’être libéral, c’est-à-dire d’accomplir des actions généreuses, de donner à ses amis. On ne peut donner que si l’on possède quelque chose à donner. Donc, sans propriété privée, on ne pourra pas mettre en application la vertu de libéralité".*

Pour Aristote, il existe néanmoins une forme perverse de la chrématistique, qui s’extirpe de la sphère économique à proprement parler et est en ce sens contre-nature. Comme l’expose Patrick Mardellat, le philosophe est marqué par la transformation du monde économique antique : "Aristote est contemporain d’un développement des échanges au loin - ce qu’on pourrait appeler le commerce extérieur - au détriment des échanges locaux. Cela entraîne un recours de plus en plus marqué à la monnaie. Or, à l’occasion du développement de ces échanges monétaires, il y a une perversion de l’échange, de la chrématistique. Des professions se développent autour de la recherche et du désir de l’argent et non plus simplement de la satisfaction des besoins". Pour Charlotte Murgier : "Aristote pointe à plusieurs reprises la perversion de la richesse illimitée, qui transforme le moyen en fin. L’argent étant par définition sans limite, quand on en a, on en veut toujours plus". Cette approche influence fortement la pensée scolastique de Thomas d’Aquin au Moyen-Âge, ou encore l’analyse que Marx propose de la monnaie et de la marchandise dans Le Capital (1867). Aujourd’hui encore, on en retrouve les traces dans les nombreuses critiques portées au modèle capitaliste et à la mondialisation des échanges.

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Références sonores

Un extrait du film Le Prénom, co-realisé par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte et sorti en 2012

Lecture d’un extrait d’Aristote, La Politique, Livre I Archive - Un extrait de la comédie radiophonique Les déboires de Midas de Ferny Besson, diffusée en 1970 dans l’émission "Premières Répliques" sur France Inter

Lecture d’un extrait de Karl Marx, Le Capital (1867), livre I

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Références musicales

"Aristoteles lo dijo" par Paco Ibáñez

"Palomino", par First Aid Kit

Petit commentaire HD

voici comment Marx formalise l’idée de perversion de l’échange chez Aristote.

Lorsque l’argentA est un simple moyen d’échange entre deux marchandises M et M’, on a le cycle : M –A –M’. C’est le bon usage de l’argent lié à la valeur d’usage des produits pour satisfaire les besoins.

Si l’argent A n’est pas un moyen d’échange entre les marchandises mais un moyen de s’enrichir, une fin en soi, Marx définit le cycle : A –M –A’ , avec A’ =A + profit.

Le profit est obtenu en revendant la marchandise M plus cher que son acquisition avec l’argent A c’est ce qu’Aristote nomme la perversion de l’échange qui peut aboutir à un désir sans fin d’accumulation d’argent s’il n’existe pas de régulation éthique et politique.

En fait, le premier cycle correspond à l’économie de marché en général ; le second cycle correspond à l’économie capitaliste et la synthèse des deux cycles correspond à l’économie de marché capitaliste.

Cette petite formalisation permet de comprendre beaucoup de choses !

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Épisode 3 Sénèque et le stoïcisme. Les troubles de la fortune.

23/11/2022

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* Comment Sénèque développe-t-il une philosophie de l’argent fondée sur l’indifférence ? Dans quelle mesure Sénèque élabore-t-il un rapport moral à la richesse fondé non seulement sur le détachement mais sur le don et une générosité bien comprise ?

* Avec

Sandrine Alexandre Agrégée et docteure en philosophie, rattachée à l’IRePh de Nanterre, spécialiste de philosophie ancienne.

Juliette Dross maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, UFR de latin

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Sénèque est un philosophe romain (4 av. J.-C.-65 apr.) né à Cordoue en Espagne. Il est l’une des figures du stoïcisme romain, doctrine philosophique importée du monde grec ayant vu le jour au IVème siècle avant J.-C. Habile politicien et penseur de renom, il parvient à se créer une réputation et un nom et devient le précepteur puis l’éminence grise du sanguinaire Néron, ce qui fait de lui un homme riche et puissant. Sa richesse démesurée a jeté un discrédit sur ses théories philosophiques et notamment sur les développements qu’il tient à propos de l’argent, de la pauvreté et des honneurs. Si Sénèque ne traite jamais directement de questions économiques, il développe toutefois une philosophie morale dont l’un des piliers majeurs est le rapport à l’argent et à la matérialité. Sénèque et l’horizon stoïcien de l’indifférence

Sénèque est indissociable du stoïcisme, une philosophie grecque apparue au IVème siècle avant J.C, importée dans le monde romain notamment grâce à Cicéron. Ce que propose le stoïcisme, c’est de poser un regard d’indifférence sur la richesse. Il faut être indifférent vis-à-vis de l’argent car richesse et pauvreté sont soumises aux aléas du hasard. Juliette Dross explique : "L’idée que développe Sénèque, qui est dans la droite ligne stoïcienne, c’est que l’argent n’a pas d’importance : le sage peut être sage qu’il soit riche ou pauvre." En même temps, la richesse est ce que Sénèque appelle un "préférable" : "s’il a le choix, le sage choisira plutôt la richesse car dans la richesse, il pourra davantage développer certaines vertus, notamment la libéralité, la générosité, le sens de la tempérance...". Sandrine Alexandre relève l’ambiguïté de la pensée de Sénèque : "Il nous dit qu’il est plus facile d’être heureux quand on est pauvre car on va peut-être moins craindre de perdre sa richesse. Mais quand on est pauvre, on ne peut pas user de cette vertu de libéralité, donc la position de Sénèque est ambivalente et fluctue au cours des traités. Ce n’est pas une critique contre sa cohérence, mais sa pensée est faite de tensions, ce qui est intéressant."

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Sénèque préconise de s’exercer à la pauvreté, car la richesse comporte aussi un risque de tomber dans le vice. Sandrine Alexandre revient sur ces exercices issus de la pensée stoïcienne : "C’était une pratique extrêmement importante pour les Stoïciens, ce que peut-être l’époque contemporaine a gardé du stoïcisme. Il existe une quantité de types d’exercices, qui sont essentiels pour s’incorporer le dogme stoïcien (…) grâce à ces stages de pauvreté fictifs, on se rend compte qu’on est tout à fait capables de faire face à une situation un peu rude, et donc on apprend à ne plus craindre". Mais Sénèque était aussi l’un des hommes les plus riches de son temps, ce qui a suscité de vives critiques, comme le souligne Juliette Dross : « On lui reprochait de dire et de ne pas faire. Un de ses ennemis lui a même intenté un procès."

Du bon usage de la richesse

Il faut distinguer la condition, par exemple le fait d’être riche, et l’usage que l’on fait de cette richesse. Sandrine Alexandre précise : "Que ce soit la richesse ou la pauvreté, il s’agit toujours d’en user, donc les événements qui nous adviennent sont considérés comme des matières dont il nous faut toujours faire bon usage, c’est-à-dire les considérer comme des indifférents, et réussir ensuite à s’en accommoder." Sénèque a écrit Des bienfaits, traité de philosophie du don. Juliette Dross revient sur l’idée développée par le penseur dans cet écrit : "Ce qui est assez remarquable dans le traité de Sénèque, c’est qu’il part d’une morale sociale et qu’il essaye de lui donner un fondement éthique, avec l’idée que le bienfait, au sens plein du terme, est moins dans la manifestation matérielle de ce que je donne – par exemple, je donne une maison ou un terrain – que dans l’état d’esprit du bienfaiteur lorsqu’il donne. Et le bienfaiteur lorsqu’il donne doit prendre en compte l’intérêt de celui à qui il donne et non pas le sien".

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Références sonores

Le film Caligula de Tinto Brass (1979)

Lettre 18 des Lettres à Lucilius de Sénèque

Chapitre 32 du livre II des Essais de Montaigne

Des bienfaits (De beneficiis) de Sénèque

Quo Vadis de Mervyn LeRoy (1951)

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Références musicales

A Satisfied Mind de Johnny Cash

What Are the Odds de Death Valley Girls

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Bibliographie

Le philosophe dans la cité : Sénèque et l’otium philosophique, Juliette Dross (Brepols, 2022)

Philosophie

ie du tir à l’arc. Essai sur la conception stoïcienne de la valeur, Sandrine Alexandre (ENS Éditions, 2022)

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Annexe

Les Épicuriens ou la sagesse de l’économie

Étienne Helmer

Dans Revue du MAUSS 2011/2 (n° 38), pages 445 à 465 https://www.cairn.info/revue-du-mau...

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Histoire de la pensée économique dans la Chine ancienne. Wikipédia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histo...

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Hervé Debonrivage


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