Histoire de lutte : la bataille pour le droit à l’IVG

jeudi 24 novembre 2022.
 

La lutte pour le droit à l’IVG est un des axes centraux du combat pour le droit à disposer de son corps, pour l’autonomie et la dignité de chaque individu, sans discrimination de genre et de sexe. Focus de l’insoumission sur l’histoire de la conquête de ce droit fondamental en France.

Avant 1924, la pratique est interdite mais la répression peu effective. La lutte est alors principalement technique et morale, trouver comment avorter, établir ses fondements moraux. Les poursuites judiciaires s’accentuent fortement entre les deux guerres mondiales, donnant naissance en réponse à un puissant mouvement de lutte. Alors que la présidente insoumise Mathilde Panot va défendre ce jeudi à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour inscrire le droit à l’IVG dans le marbre de la Constitution, retour historique sur cette lutte fondamentale. Notre article.

L’histoire du droit à l’avortement commence aux prémisses de l’humanité et comporte trois dimensions : la technique, la philosophie, le droit. Ici, nous choisissons de concentrer nos efforts d’éclaircissement sur les questions philosophiques et législatives en France. Dans cette optique, il nous semblait pertinent de commencer en 1556 avec la première législation anti-avortement du royaume qui recouvre environ le territoire de la France d’aujourd’hui.

A l’Époque moderne (entre le Moyen-âge et la Révolution Française) la morale et la législation interdisent l’avortement.

La morale chrétienne condamne et à partir de 1556 un édit royal prévoit des peines de mort pour les avorteuses et les avortées. Dans la pratique, les fausses couches sont si nombreuses et la connaissance du corps des femmes si lacunaire (au moins chez les juristes et les puissants, pour celles qui pratiquent le plus souvent les avortements, sorcières et guérisseuses, rien n’est moins sûr) qu’il n’est pas possible de discerner l’avortement d’une fausse couche. Ainsi les condamnations pour cet acte sont donc quasi inexistantes d’après Mathilde Larrère.

XVIIIème siècle, prémices d’une justification éthique de l’avortement. L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert paru en 1751 marque le début d’une nouvelle ère. Le début de la justification morale de l’avortement. Pour la première fois depuis que la religion chrétienne a soumis l’essentielle de la morale à ses dogmes, l’avortement n’est plus associé à un crime.

Voici la définition que proposent ces philosophes.

AVORTEMENT, s’employe en Medecine pour l’accouchement avant terme, d’un fœtus humain imparfait, soit vivant ou mort.

L’encyclopédie poursuit avec une phrase fort curieuse : “Il y a des exemples d’avortemens par la bouche, l’anus, le nombril etc.” Difficile de déterminer le plus étonnant : les trois exemples proposés ou l’absence totale de mention de la partie du corps des femmes largement plus centrale dans la procréation et l’avortement. Le chemin est long… Celles qui ont à l’époque de réelle connaissance sur le sujet n’ont que trop peu accès à l’écriture. Elles ne bénéficient en tout cas pas de la notoriété de nos philosophes bien connus.

Puis, suit une liste de causes de l’avorter. Qu’un esprit malicieux on pourrait également lire comme un manuel déguisé pour avorter. “Les causes ordinaires de l’avortement, sont des évacuations immodérées, des mouvemens violens, des passions soudaines, des frayeurs, &c. les autres causes sont la grosseur & la pesanteur du fœtus, l’irritation de la matrice, le relâchement des ligamens du placenta, la foiblesse & le défaut de nourriture du fœtus ; trop manger, de longs jeûnes ou de longues veilles, l’usage des corps baleinés, les mauvaises odeurs, les violens purgatifs ; & en général tout ce qui tend à provoquer les regles.”

Une première étape philosophique donc, retirer tout jugement moral, pour se concentrer sur l’acte médical.

Deuxième étape : la justification morale à l’interruption volontaire de grossesse.

Celle-ci arrive de l’Italie, en 1764 avec Le Traité des délits et des peines de Beccaria “entre la honte et la mort d’un être incapable d’en ressentir les atteintes, comment ne choisirait-elle pas ce dernier parti, plutôt que d’être exposée avec son malheureux enfant à une misère certaine”

Ainsi apparaît pour la première fois en Europe, ce qui deviendra un des arguments les plus puissants : mieux vaut mettre un terme à une grossesse que de donner naissance à un enfant sans posséder les ressources pour lui offrir une vie digne. En 1971, cela sera le premier argument de Marie-Claire Chevalier pour expliquer son recours à l’avortement.

Ce mouvement des Lumières culmine à la fin du XVIIIème siècle tant sur le plan institutionnel que philosophique avec la grande Révolution. En 1791 : loi pénal sur l’avortement. Celui-ci est interdit mais aucune sanction n’est prévue pour les femmes qui y ont recours. 1795 : Le marquis de Sade écrit ce remarquable plaidoyer pour le droit à l’avortement “Nous sommes toujours les maitresses de ce que nous portons dans notre sein, et nous ne faisons pas plus de mal à détruire cette matière qu’à purger l’autre par des médicaments quand nous en éprouvons le besoin”

Au XIXème siècle, la Restauration restaure aussi la morale réactionnaire et ses incohérences pratiques. Sur le papier, la mort, dans la réalité, la répression de l’avortement reste marginale.

En 1810. Le code pénal napoléonien, extrêmement défavorable aux femmes, criminalise l’avortement. Dans la pratique ce n’est pas ou peu appliqué au moins pour deux raisons. D’abord, les crimes sont jugés aux assises, ce sont donc des citoyens tirés aux sorts, pas habitués à décider du sort d’autres êtres humains qui ont la charge de condamner à mort. Lors du procès, ils apprennent à connaitre la femme, a reconnaitre sa misère, ses raisons et généralement, les jurés l’acquittent. Deuxième raison, le XIXème siècle en France est marqué par la pensée malthusienne dans laquelle le contrôle des naissances est une action morale qui assure un meilleur développement de la Nation.

Seule l’Église continue à condamner moralement mais sa voix compte de moins en moins au fur et à mesure qu’avance le XIXème siècle.

Tout change à partir des grandes guerres et des saignées démographiquement qu’elles entraînent. Situation paradoxale : Alors que l’essor de la presse permet une meilleure circulation des techniques et lieux pour interrompre sa grossesse, la défaite de 1870 marque le début du retournement de l’idéologie des gouvernants qui ont besoin de garnir les nouvelles générations afin de les envoyer se battre contre les allemands. 45 ans plus tard, leur rêve de boucherie de pauvre se réalise.

Entre-deux guerre, durcissement de la répression, émergence de la lutte collective.

Après la 1ère guerre mondiale et ses 1 400 000 soldats français morts auxquels s’ajoutent 400 000 morts de la grippe, la politique nataliste (ou populationniste) devient encore plus agressive : la loi de 1920 interdit toute incitation à l’avortement et la contraception. Alors qu’on trouvait jusqu’alors les adresses des meilleures avorteuses dans les journaux, l’accès à ces informations devient alors un parcours de la combattante. La même année, le premier État socialiste de l’Histoire devient également le premier État à légaliser l’avortement.

Le pire arrive avec la loi du 27 mars 1923. Se rendant compte que les jurés sont indulgents avec les femmes qui ont recours à l’avortement (avorteuse comme avortée), les gouvernants décident la correctionnalisation, passer du crime au délit. Désormais, ce sont des juges (hommes) professionnels qui s’occuperont de ces affaires, et les peines de prison se multiplient. La répression s’accentue jusqu’à atteindre des sommets lors du gouvernement d’extrême-droite, collaborationniste du Maréchal Pétain. En 1942, l’avortement devient crime contre la sûreté de l’État. Cette fois-ci, les hommes de pouvoir sont en roue libre totale, les menaces sont mises à exécution. Trois avorteuses seront guillotinées.

Au même moment de l’entre-deux guerre, les pays anglo-saxons commencent la libre régulation des naissances. Les riches peuvent désormais aller en Angleterre pour avorter, pour les pauvres, c’est la mort ou la prison. D’où ce slogan des mouvements féministes lors du procès de Bobigny.

Le mouvement féministe reste majoritairement à l’écart du courant néomalthusien pour la régulation des naissances et le droit à l’avortement. Cette assertion est défendue par Laurence Klejman et Florence Rochefort, L’Égalité en marché. Le féminisme sous la Troisième République. D’après les autrices, le mouvement féministe de l’entre-deux guerres en France opte majoritairement pour une ligne de conquête de droit pour les mères. L’idéologie nataliste est alors d’une puissance écrasante dans un contexte de peur de revanche de l’Allemagne.

Ce sont donc les anarchistes néomalthusiens qui mènent la lutte pour le droit à l’avortement. Marie Huot avait déjà élaboré le concept de “grève des ventres” à la fin du XIXème siècle contre la bourgeoisie qui somment le peuple de fournir de la chair à canon pour la revanche. Entre deux-guerres, c’est Jeanne Humbert qui dirige, avec son mari, Génération consciente, le collectif qui diffusent la pensée néomalthusienne. Après la loi de 1920, l’incitation à l’avortement est interdit. Jeanne Humbert ira donc en prison pour propagande anticonceptionnelle en 1923.

Nelly Roussel et Madeleine Pelletier, pont entre néomathusianisme et féminisme.

D’après Yvonne Knibiehler, L’éducation sexuelle des filles au XXe siècle, les deux femmes sont les premières en France à militer pour une dissociation entre maternité et sexualité.

Une idée centrale : le libre choix. Le libre choix du mariage (et donc du partenaire sexuel, on est pas encore sur une libération des moeurs et l’amour libre) mais aussi le libre choix d’avoir des enfants et donc, le libre choix de recourir à la contraction ou à l’avortement.

Jusqu’alors, l’idéologie néomalthusienne ne comporte pas d’axe réellement féministe. Il s’agit d’une lutte socialiste, contrôler les naissances pour éviter de perpétuer la misère, de fournir de la main d’œuvre ouvrière massive pour les usines des capitalistes et de la chair à canon pour leurs armées impéralistes. Les deux militantes font partie de la grande famille socialiste. C’est de là qu’elles tirent leur revendication au contrôle des naissances. Cependant, elles vont aussi y voir l’intérêt que peuvent en tirer les femmes spécifiquement et pas seulement lorsqu’elles appartiennent à la classe ouvrière : ne plus être attachées au statut de mère, s’émanciper de l’obligation à la maternité, avoir le choix sur sa vie.

Avec Nelly Roussel et Madeleine Pelletier, le recours à l’IVG et à la contraception devient une revendication centrale du droit des femmes à disposer de leur corps. Elles bâtissent un pont entre le combat socialiste, contre l’accaparement de la richesse et du pouvoir par les propriétaires du capital, et le mouvement féministe qui revendique l’égalité entre tous les humains sans discrimination de sexe et de genre.

C’est sur ce pont que les grands collectifs féministes bâtiront après la seconde guerre mondiale un mouvement de lutte qui obtiendra des victoires triomphantes à la fin des années 1970. La suite au prochain épisode.


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