Le climat a changé. Les famines se déchaînent

samedi 5 novembre 2022.
 

L’actualité climatique est plus sombre que jamais. Malgré les ambitions affichées de la communauté internationale, les pays du monde n’ont réduit que de 1% leurs émissions de gaz à effet de serre, selon un nouveau rapport des Nations unies. Ce piètre résultat place la planète sur la voie d’un réchauffement de 2,4 degrés

Celsius d’ici la fin du siècle [l’élévation pourrait même atteindre 2,8 degrés si la politique actuelle est poursuivie], ce qui est en deçà des plus grandes craintes des observateurs du climat, mais toujours au-delà du seuil de sécurité fixé à 1,5 degré Celsius. Cela préfigure un avenir dangereux fait de conditions météorologiques extrêmes, d’élévation du niveau des mers et de « souffrances sans fin », selon les termes mêmes des Nations unies.

Deux autres rapports publiés cette semaine par des agences des Nations unies ont indiqué une aggravation de ces maux. Une analyse de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques [CCNUCC, une des trois conventions adoptées lors du Sommet de la terre de 1992, conjointement à la Convention sur la diversité biologique et à celle sur la lutte contre la désertification] a révélé que peu de pays avaient atteint leurs engagements en matière de climat depuis la grande conférence des Nations unies sur le climat qui s’est tenue l’année dernière [COP26 du 1er au 13 novembre] à Glasgow, en Ecosse. La conférence de cette année doit se tenir en Egypte le mois prochain [du 5 au 18 novembre à Charm-El-Cheikh : COP27]. Une autre étude de l’Organisation météorologique mondiale a révélé que les émissions de méthane augmentent plus rapidement que jamais. Ces données soulèvent « des questions quant à la capacité de l’humanité à limiter à court terme ce gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone », rapportent d’autres observateurs.

Des progrès ont été réalisés : le monde se détourne du charbon [1], tandis que les gouvernements des principaux émetteurs, l’Australie et les Etats-Unis, ont récemment adopté des lois importantes pour réduire les émissions. Mais les choses ne vont pas assez vite. « Les engagements mondiaux et nationaux en matière de climat sont lamentablement insuffisants », a déclaré le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, dans un message vidéo cette semaine. « Nous devons combler le fossé des émissions avant que la catastrophe climatique ne se referme sur nous tous. »

Malgré les appels constants d’António Guterres, l’urgence politique nécessaire ne se manifeste pas dans la plupart des pays du monde. Même les gouvernements ayant des programmes climatiques bien conçus ont vu leur attention détournée par la guerre en Ukraine, le bilan de la pandémie et la volatilité des prix de l’énergie et l’inflation qui secouent l’économie mondiale. Comme l’écrivent Steven Mufson et Sarah Kaplan, le 26 octobre dans The Washington Post : « Le monde se dirige vers un avenir fait de chaleur insupportable, des catastrophes météorologiques de plus en plus fréquentes, d’écosystèmes qui s’effondrent, de faim et de maladies. »

Dans certains endroits, cet avenir est déjà là. La Corne de l’Afrique et de nombreuses régions d’Afrique de l’Est sont au cœur d’une sécheresse dévastatrice. Pour la cinquième année consécutive, l’absence de pluie a été enregistrée. Les analystes s’attendent à ce que la sixième – qui débutera en mars prochain – soit également une saison « sans pluie ». Alors que les champs sont en jachère et que des millions de têtes de bétail meurent de soif, les pays de la région connaissent une situation d’insécurité alimentaire et humanitaire sans précédent. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, quelque 22 millions de personnes en Ethiopie, en Somalie et au Kenya risquent de mourir de faim.

En Somalie, en particulier, les organisations d’entraide et les observateurs internationaux mettent en garde contre l’apparition imminente d’une famine. Les conditions semblent pires qu’en 2011, la dernière fois que la famine a été déclarée dans ce pays ravagé par la guerre, où quelque 260 000 personnes sont mortes. « A chaque minute de chaque jour, un enfant somalien est admis dans un établissement de santé pour y être traité de malnutrition aiguë sévère », a déclaré un porte-parole de l’agence des Nations unies pour l’enfance (Unicef) mi-octobre. Il existe des récits poignants de mères et de familles qui traversent péniblement des terrains arides à la recherche d’une assistance médicale pour leurs bébés malades. Des milliers de personnes sont peut-être déjà mortes [2].

Près de 8 millions de personnes, soit environ la moitié de la population du pays, ont été touchées par la sécheresse. Jusqu’à 6,7 millions de personnes pourraient être affectées par l’insécurité alimentaire d’ici la fin de l’année. La défaillance successive des cycles de récolte a coïncidé avec les pressions inflationnistes créées par la pandémie et la guerre en Ukraine, ainsi qu’avec l’instabilité actuelle en Somalie, où un gouvernement fragile fait face à l’insurrection bien implantée du groupe extrémiste islamiste al-Shabab.

« Nous ne savons pas où se trouve la fin », m’a confié Michael Dunford, directeur régional du PAM pour l’Afrique de l’Est, en mettant en garde la communauté internationale contre la crise actuelle, mais aussi contre les futurs cycles de sécheresse et de souffrance à venir. En effet, les effets du réchauffement climatique ont un impact disproportionné sur des régions comme la Corne de l’Afrique. « Il ne s’agit pas du changement de climat – le climat a changé. Et nous ne reviendrons pas en arrière, même une fois que les pluies auront commencé », a-t-il déclaré. « Nous sommes bel et bien au milieu de la crise et je ne sais pas où se trouve le fond. »

La situation est d’autant plus tragique que ces communautés les plus menacées n’ont joué qu’un rôle minime, voire nul, dans la création des conditions qui alimentent le réchauffement climatique actuel. Il s’agit « d’une population qui, de manière importante, ne s’est pas infligé cette situation », a déclaré Michael Dunford. « Ce qui se passe aujourd’hui […] dans la région a un impact sur une population vulnérable qui n’a pas contribué aux gaz à effet de serre. »

« Les Somaliens sont les victimes de notre comportement, les victimes de nos habitudes – pas des leurs », a déclaré cette semaine Martin Griffiths, secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU. « Et pourtant, nous n’avons même pas réussi à leur faire parvenir l’argent que nous avons promis de manière louable il y a quelque temps pour exactement ce genre d’objectif ! »

Les agences des Nations unies ont indiqué que la Somalie, à elle seule, a besoin de quelque 2 milliards de dollars d’aide pour éviter les pires extrémités. Le PAM, qui a été largement financé par les Etats-Unis, fournit à plus de 4 millions de Somaliens une aide alimentaire et en espèces « vitale ». Mais il a besoin de plus de fonds à un moment où les gouvernements nationaux naviguent dans leurs propres vents contraires économiques.

« Nous n’avons jamais vu un tel niveau d’exigence », a déclaré Michael Dunford, faisant allusion aux 345 millions de personnes dans le monde qui souffrent actuellement de faim aiguë. C’est deux fois plus qu’avant le début de la pandémie. Mais le rôle persistant du changement climatique dans la catastrophe en cours, a-t-il ajouté, signifie qu’il y a « un besoin d’équité » sur la scène mondiale. Michael Dunford a souligné la responsabilité du « monde industrialisé, des Etats du Golfe et d’autres pays, qui doivent s’engager et apporter les contributions nécessaires ».

La gravité de la crise n’était pas inattendue, mais le système humanitaire international a été contraint de rattraper son retard. « La guerre en Ukraine est arrivée à un moment très inopportun », a déclaré Michael Dunford. Il a ajouté qu’ils avaient constaté que la situation en Somalie continuait à se détériorer et qu’ils avaient commencé à plaider pour les besoins du pays. « Et puis l’attention de tous a été détournée vers l’Europe. Nous avons donc perdu du temps et de l’attention », a-t-il déclaré. « Le financement est arrivé tardivement… et cela signifie que nous commençons plus tardivement dans notre réponse que nous le souhaitions. » Ce retard se mesurera en vies humaines. (Article publié dans le The Washington Post, le 28 octobre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] Cette formule doit être atténuée… L’Agence internationale de l’énergie (AIE), en juillet dernier, annonçait une croissance à l’échelle internationale de 0,7% de la consommation de charbon. En 2021, elle avait déjà rebondi d’environ 5,8% pour atteindre 7947 millions de tonnes, selon l’AIE. Outre la relance post-Covid, alors, une hausse du prix du gaz naturel avait favorisé le passage au charbon dans certains pays, dont l’Inde, qui ne compte pas pour peu. En résumé : la demande de charbon, selon l’AIE, pourrait atteindre un record en 2022 tel qu’enregistré il y a près de dix ans.

En Europe, en 2022, des pays comme les Pays-Bas ont annoncé, en juin, la relance de centrales électriques au charbon. La Pologne est en bonne place : elle est responsable de près d’un cinquième de la production totale de charbon dans l’UE et l’extraction n’a fait qu’augmenter en 2022, pour atteindre un record par rapport au pic de 2018. L’Allemagne a de même relancé sa consommation de charbon, ce qui a été médiatiquement très diffusé, surtout par les médias français moins diserts sur leurs succès du dispositif nucléaire. La République tchèque a étendu l’extraction de charbon et ne l’a pas réduite comme prévu.

Quant à la Chine, elle va produire plus de charbon en 2022. Le premier ministre l’a annoncé en avril. La hausse se situe à 8% par rapport à 2021, année durant laquelle 4 milliards de tonnes avaient été produites, ce qui constituait un record historique. Pour assurer cette hausse, non seulement les mines existantes sont mises à profit, mais de nouvelles mines sont ouvertes en Mongolie intérieure, vaste région où les réserves sont estimées à 2 milliard de tonnes. Pour l’heure, le mix énergétique chinois dépend à 60% du charbon. Les nombreuses annonces sur la capture de CO2 sont à mettre en relation avec cette dynamique. L’extraction est certainement plus « sûre » que la « capture » de CO2.

Glencore, le géant des matières premières, dont le siège se situe à Zoug (Suisse), annonce le 28 octobre une hausse de ses transactions sur le charbon (+7%) ; certes, en comparaison, ses opérations sur le cobalt ont bondi de 41% ! (Réd. A l’Encontre)

[2] Selon le porte-parole de l’Unicef, James Elder, « les enfants souffrant de malnutrition sévère ont jusqu’à 11 fois plus de risques de mourir de diarrhée ou de rougeole que les enfants bien nourris. Avec de tels taux, la Somalie est au bord d’une tragédie d’une ampleur jamais vue depuis des décennies. Bien sûr, les enfants qui se cachent derrière ces statistiques stupéfiantes et effroyables sont ceux qui parviennent à atteindre un centre de traitement. » ONU Genève, 18 octobre 2022. (Réd. A l’Encontre)


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