Comment la police des mœurs traque « l’immoralité » en Iran

mercredi 19 octobre 2022.
 

Ces patrouilles aux méthodes brutales, chargées de faire respecter le code de conduite islamique dans le pays, sont une nouvelle fois largement contestées depuis la mort de Mahsa Amini.

Porter un pantalon serré, mettre trop de maquillage, découvrir ses cheveux, et même promener son chien. Ces pratiques sont si banalisées dans les démocraties occidentales que personne, ou presque, n’y prête attention. En République islamique d’Iran, une simple mèche de cheveux rebelle qui dépasse d’un foulard peut conduire à la mort. Mahsa Amini, 22 ans, est décédée le 16 septembre dans un hôpital de Téhéran, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs (Gasht-e Ershad) pour ne pas avoir porté « correctement » son hijab.

La version des autorités, selon laquelle la jeune femme serait décédée d’une crise cardiaque, a été contestée par de nombreux témoins. Ils affirment que Mahsa a perdu la vie après avoir été frappée et torturée par la police religieuse lors de son transfert dans un centre de détention de la capitale. Selon son frère, avec qui elle se trouvait, elle devait y recevoir un « enseignement » visant à « réformer » le comportement des Iraniennes qui violent le code vestimentaire islamique.

« Qui sont-ils pour parler du hijab ? » Cette législation ultrastricte est à l’origine du vent de révolte qui souffle sur le pays depuis près d’un mois. Choquées par la mort brutale de Mahsa Amini, les Iraniennes n’hésitent plus à descendre dans la rue et à retirer leur voile – voire à le brûler – pour montrer leur opposition à des lois qu’elles considèrent comme archaïques et patriarcales.

« Qui sont-ils pour parler du hijab ? Les femmes sont libres de choisir comment elles s’habillent. Si le foulard a le malheur de tomber sur mes épaules, je serai rappelée à l’ordre. Mais, ça ne regarde personne d’autre que moi », s’agace Shiraz (1), une Iranienne de 25 ans, qui participe au gigantesque mouvement de protestation à Téhéran. « Je déteste le voile mais on m’a obligée à le porter pendant mes quatre années à l’université, confie pour sa part Marzieh (1), une jeune graphiste originaire de la capitale, qui laisse ses cheveux à l’air depuis que Mahsa Amini a été tuée. Le slogan scandé par les manifestantes et manifestants résume leurs aspirations : « Femme, vie, liberté. »

Si elles osent sortir de chez elles sans avoir pris soin d’attacher correctement leur foulard, les 40 millions de femmes et les filles de plus de 7 ans du pays risquent une peine de prison, une amende ou des coups de fouet. « Ils les arrêtent au hasard dans la rue, ils les insultent, ils les menacent, ils leur ordonnent de remonter leur foulard ou leur donnent des mouchoirs en papier pour essuyer leur maquillage. Ils les agressent physiquement, ils les giflent, ils les frappent à coups de matraque, ils les menottent et les poussent sans ménagement dans des fourgons de police », décrit Amnesty International à propos des membres de la police des mœurs, voire de simples citoyens.

« Capes noires de la tête aux pieds » La lutte contre le « mauvais hijab » est aussi ancienne que la révolution islamique de 1979, qui marque la prise de pouvoir de l’ayatollah Khomeini et l’obligation de porter le voile dans l’espace public. « Chaque fois que, dans un autobus, un corps féminin frôle un corps masculin, une secousse fait vaciller l’édifice de notre révolution », déclare alors le Guide suprême.

L’Iran a depuis eu diverses formes de « police des mœurs ». Depuis 2005, les membres de Gasht-e Ershad (« patrouilles d’orientation », en persan) sont chargées de faire respecter le code de conduite islamique. Rattachées aux forces de l’ordre, elles sont souvent composées et appuyées des membres des Bassidji, force paramilitaire mobilisée pour combattre dans la guerre Iran-Irak dans les années 80. Généralement, une camionnette ou un équipage mixte d’hommes et de femmes patrouillent dans les espaces publics très fréquentés (centres commerciaux, restaurants, stations de métro, universités…) pour surveiller le comportement ou la tenue vestimentaire considérés comme inappropriés. Ces brigades ont accru leur présence sous l’administration ultra-conservatrice d’Ebrahim Raisi.

« On peut les voir, vêtus d’uniformes verts ou, dans le cas des femmes, de capes noires de la tête aux pieds, patrouiller dans les rues à la recherche de l’immoralité : des mèches de cheveux tombant de voiles défaits, des couples se tenant la main, des jeunes jouant de la musique forte dans leur voiture tout en parlant, riant ou échangeant des textes dans les embouteillages », décrit l’universitaire Pardis Mahdavi dans une tribune au Washington Post. Dans ce cas, les accusés (surtout les femmes) peuvent être appréhendés, voire amenés à un poste de police où on leur rappelle les codes de bonne conduite.

« Femmes giflées » « Il existe d’innombrables récits de femmes giflées par la police des mœurs ou rouées de coups de matraque et jetées dans des fourgons », poursuit Amnesty, qui appelle les autorités à supprimer la police des mœurs, chargée de l’application des lois « abusives et discriminatoires ». Depuis la mort de Mahsa Amini, les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont annoncé des sanctions contre cette brigade, accusée de réprimer les manifestations en Iran.

La police des mœurs fait l’objet de contestations croissantes ces dernières années. En 2016, une application, Gershad, a été créée pour identifier les points de contrôles des différentes patrouilles de manière anonyme – sur le même principe que l’application de navigation Waze.

Deux ans plus tôt, la journaliste américaine d’origine iranienne Masih Alinejad avait lancé le mouvement « My Stealthy Freedom » (« Ma liberté furtive ») sur les réseaux sociaux, incitant les Iraniennes à se photographier sans leur hijab : « L’Iran est pour ma mère et moi. Ma mère veut porter un voile. Je ne veux pas porter de voile. L’Iran devrait être là pour nous deux. »

Note :

(1) Les prénoms ont été modifiés


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