Ouvrir les yeux sur le fascisme qui vient

vendredi 14 octobre 2022.
 

« Un spectre hante l’Europe », et ce n’est pas précisément celui du communisme. Alors certes, le journal Marianne, jamais en retard pour mettre en lumière avec finesse le grand complot des relous wokistes tendance couscous-végan-sans-gluten, se demande « Pourquoi cette tendance à qualifier de "fasciste" toute personne d’extrême droite ? », et trouve que c’est tout de même un peu abusé d’attribuer ce qualificatif à une meuf sous prétexte que, oui, bon, « elle a pu, par le passé, faire preuve de complaisance envers le fascisme et son leader Benito Mussolini », et que son parti, Fratelli d’Italia, se place sans ambiguïté dans la lignée du parti néofasciste du Mouvement social italien (MSI), dont il garde le fort joli logo en forme de flamme tricolore, qui me rappelle quelque chose.

Il est vrai que nous devons prendre grand soin des termes que nous utilisons. « "fascisme" : nous n’emploierons jamais ce mot à la légère », préviennent ainsi Ludivine Bantigny et Ugo Palheta dès l’introduction, judicieusement titrée Le fascisme n’a pas besoin de chemises brunes, de leur essai Face à la menace fasciste, paru en 2021. Il ajoutent cependant un peu plus loin : « la victoire du projet fasciste et le passage aux méthodes fascistes sont toujours précédés par un ensemble de renoncements à certaines dimensions fondamentales de la démocratie libérale : la marginalisation des arènes parlementaires et le recours à des méthodes de plus en plus autoritaires… C’est sans grande proclamation qu’elles opèrent : quadrillage sécuritaire des quartiers populaires, banalisation des violences policières, manifestations empêchées ou durement réprimées, arrestations préventives arbitraires, jugements expéditifs, licenciements de grévistes… […] Elle s’installe aussi quand une partie de la population est montrée du doigt pour ses origines et/ou sa religion, quand un gouvernement assoit son pouvoir par la division et la logique du bouc-émissaire. »

Si vous avez reconnu la France (qui a eu la bien belle idée de gazer et rétamer les personnes venues exprimer leur soutien aux femmes Iraniennes devant l’ambassade d’Iran, quel magnifique symbole) ou bon nombre d’autres pays d’Europe ou d’ailleurs dans ce descriptif, c’est que vous avez vraiment l’esprit bien mal tourné -je suis sûr que pour vous Jair Bolsonaro, hélas encore loin d’être viré du pouvoir, nostalgique de la dictature militaire et soutenu par le sympathique mouvement B.B.B. -rien à voir avec Brigitte Bardot Bourrée : c’est la Bible, des Bœuf et des Balles, tout un programme- , qui regroupe les représentants des intérêts des églises évangéliques, du secteur de l’agro-business et du lobby des armes, est aussi une sorte de fasciste.

Et pourtant, constatait le New York Time lors de l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, l’Italie « a tourné dimanche une page de l’histoire européenne », tandis que « des partis autrefois tabous et marginalisés, revendiquant des héritages nazis ou fascistes, entrent dans le courant dominant – et remportent des élections – à travers l’Europe ».

Alors, oui, on pourrait longuement tourner autour du pot, ou de la poubelle, et se demander s’il ne faudrait pas plutôt appeler ça de la « droite radicale populiste » ou mon cul sur la commode. Mais le constat est là : ces gens sont nostalgiques de Mussolini. Et pour les plus jeunes qui me lisent (s’il y en a, car après tout nous sommes sur Mediapart), Mussolini, c’est un monsieur italien chauve qui a fait des choses pas top il y a quelques temps, et dont on pourrait qualifier le bilan de pour le moins douteux. L’Italie a cependant décidé de faire un reboot, dans lequel son rôle est joué par une femme (encore un coup des wokes, ils ne reculent donc devant rien), secondée par un Silvio Berlusconi revenu d’entre les morts et au visage désormais officiellement indescriptible, je ne saurai trop dire à quoi ce truc ressemble, une sorte d’orange confite recouverte de poils de brosse à chaussure avant d’être passée au micro-onde.

Et Mussolini, souvenons-nous, c’est des villages entiers rasés afin de couper les résistants du reste de la population. C’est tout les hommes de plus de 16 ans fusillés dans certains endroits. C’est les femmes, les enfants et les vieux déportés dans plus de 200 camps répartis dans tous le pays -sans compter les « lieux de confinement » pour antifascistes. C’est, lors des opérations de « pacification » au printemps et à l’été 42, la destruction de nombreux villages, comme celui de Podhum, le 12 juillet 1942, intégralement démoli au lance-flamme. C’est, lors de l’occupation de l’Éthiopie, de 1936 à 1941, de nombreux crimes de guerre, comme le massacre de Graziani, durant lequel on suppose que 30 000 Éthiopiens ont été tués, et beaucoup d’autres foutus en taule. C’est l’invasion et l’occupation de l’Albanie, et, suite à la tentative d’assassinat du roi Victor-Emmanuel III en visite, l’application d’une méthode subtile et raffinée : destruction des villages abritant les partisans, déportation des civils et pendaisons publiques. C’est l’internement de 40 000 Albanais dans des camps. C’est l’occupation de la Grèce, le pillage de ses ressources, créant une famine meurtrière. C’est, à nouveau, des crimes de masses, comme lors du massacre de Domenikon en représailles à une embuscade de la résistance grecque : les hommes sont séparés du reste du village, et, durant la nuit, 120 d’entre eux sont fusillés, et les les habitations, brûlées. Voici de quoi ces gens sont nostalgiques.

Comment en est-on arrivé là ? Bon nombre des membres du gouvernement et de la majorité, bien trop occupés à nous montrer leurs plus beaux habits d’hiver à base de col roulé moche et de doudoune Quechua tout aussi hideuses, les pires heures du swag, pour tenter de faire croire qu’ils ne passeront pas la saison froide dans leur 300 m² parisiens avec le chauffage à balle, ont également jugé préférable de ne pas allumer leurs neurones au dessus de 19° et ont donc livré une analyse prête-à-l’emploi : c’est la faute à la gauche.

Prenons un crétin choisi au pif : Laurent Saint-Martin, tiens, conseiller régional d’île-de-France, ancien député du Val-de-Marne et rapporteur général du budget, un beau spécimen aux idées aussi creuses et ennuyeuses que ses fonctions. A Clémentine Autain qui affirmait que « les héritiers de Mussolini prennent le pouvoir en Italie. Les politiques néolibérales et la disparition de la gauche ont permis ça. Ici, nous avons tenu bon. Maintenant gagnons la course de vitesse face au RN », ce sémillant abruti n’a rien trouvé de mieux à répondre que, prenez votre souffle et ouvrez les guillemets : « La principale raison pour laquelle « ici, nous avons tenu bon », c’est parce que Emmanuel Macron a été élu à deux reprises Président de la République. Et si l’extrême-droite en France n’a jamais été aussi menaçante, c’est d’abord grâce aux ingénieurs du chaos comme vous ». On croit rêver.

Car c’est bien là le plus inquiétant dans notre si beau pays des Lumières-mais-pas-à-tous-les-étages : c’est que malgré ces dénégations grotesques des disciples de l’autocrate mégalomane censé nous servir de rempart à la peste brune, et j’ai envie de dire lol, les partis de droite, du parti présidentiel au Rassemblement national en passant par les Républicains, sont dès maintenant alliés de fait, et marchent déjà bras-dessus bras-dessous vers des lendemains chantants sans manifestants, sans « marginaux » et sans immigrés : « Un député Renaissance se dit prêt à "travailler main dans la main" avec les élus RN tout en luttant contre LFI », nous apprend ainsi BFMTV aujourd’hui même.

Ce qui n’est pas vraiment surprenant, quand on sait qu’un préfet peut tout à fait déclarer, dans le plus grand des calmes (d’accord, cette publication a été aussitôt retirée, mais sans doute plus par soucis d’éviter un « bad buzz » que par regret) : « Je veux en finir avec la délinquance des SDF étrangers à Montpellier. Depuis le mois d’août, nous en avons arrêté 104, majoritairement des Algériens et des Marocains. Ils sont en grande partie responsables des vols et violences avec armes à Montpellier. Nous serons intraitables avec eux. J’ai donné instruction aux CRS qui patrouillent en ville de ne pas les lâcher. Ces personnes ne sont pas les bienvenues ici. » On n’aurait pas entendu pire dans les années 40.

Et pendant que tous les encravatés gouvernementaux chouinaient leurs larmes de Godzilla pleurant la destruction de Tokyo par Mothra la mite géante alors que lui-même vient d’anéantir New-York, Gérald Darmanin fanfaronnait : « Le budget 2023 du ministère de l’Intérieur est historique, avec une hausse de 1 milliard 250 millions d’euros et plus de 3000 emplois créés, dont 2874 policiers et gendarmes ». Ou comment se lamenter de l’arrivée du fascisme d’un côté des Alpes tout en posant toujours un peu plus les bases d’un régime policier de l’autre.

Bon. Mais tout ça ne veut pas dire que nous, la « gauche », les mouvements d’émancipation, les progressistes, appelez ça comme vous voulez, n’avons pas notre part de responsabilité dans ce merdier. « On le voit comme jamais : afin de mener sa guerre et intensifier l’exploitation, le capital a de plus en plus besoin de traits autoritaires pour imposer ses mesures comme un rouleau compresseur », écrivent encore Bantigny et Palheta. Et le moins qu’on puisse dire et que face à ce rouleau compresseur, nous n’avons pas encore été en mesure d’apporter une riposte radicale, massive, populaire -voire ne serait-ce qu’audible.

Selon l’historien italien Claudio Vercelli, auteur de Neofascismo in grigio. La droite radicale en Italie et en Europe, dans un entretien de décembre 2021 avec la revue le Grand Continent, « certaines thématiques chères au vieux néofascisme européen, et ce depuis au moins trente ans, ont fait leur entrée dans l’agenda politique des partis de la droite populiste et souverainiste actuelle, qui gagne du terrain au sein des parlements nationaux. La lutte contre l’immigration, en tant que soi-disant menace contre l’« Occident » ; la volonté d’incarner les aspirations des couches populaires le plus marginalisées, laissées-pour-compte, via une offre politique à la fois naïve et illusoire ; la proposition d’un anticapitalisme des « pauvres », qui ne questionne en rien la constellation des pouvoirs institutionnels et recherche fantômes et boucs émissaires ; le renvoi à une « identité » locale regroupant des communautés géographiques et territoriales, relue, en termes ethno-racistes, contre la globalisation ». Il ajoute : « Au fond, c’est la force du radicalisme d’utiliser la « question sociale » – autrefois apanage de la gauche – comme levier : et encore plus aujourd’hui, dans un contexte d’insoutenable creusement des inégalités. »

Si on ajoute à ça, comme l’a rappelé Mediapart, que « L’Italie n’a pas tant viré à droite sur le plan électoral que dans une apathie et une dépolitisation dont le post-fascisme a su tirer profit », cela donne une idée assez nette de l’ampleur du chantier à réaliser afin de ne pas laisser les fascistes et leurs alliés en col blanc capitaliser sur une souffrance sociale qui n’ira qu’en s’aggravant, et dès maintenant couplée à une souffrance climatique que cette même lame de fond réactionnaire est d’ores et déjà en train de récupérer, avec l’essor très préoccupant de l’écofascisme, dont plusieurs terroristes ayant commis des tueries de masse se sont revendiqués, et qui consiste en un mélange franchement indigeste, et instable et dangereux, de « grand remplacement », de collapsologie et d’épuration d’un monde supposément sur-peuplé.

Tout ça pour dire que le pire est encore devant nous. Et qu’il est grand temps de se réveiller. Comme le crie Zach de la Rocha, citant Martin Luther King à la fin du chef-d’œuvre de Rage Against the machine, Wake up : « How long ? Not long, ’cause what you reap is what you sow ». On récolte ce qu’on sème. A nous de faire en sorte de ne pas récolter une société fasciste, nous avons déjà bien assez à faire pour que ce monde demeure vivable. Canicule, mégafeux, sécheresse, pénuries et retour des nazis, ça commence à faire beaucoup pour un seul et même film catastrophe : donc, comme le chantait cette-fois Loïc Lantoine, « Il est pas l’heure de la trêve, / On laissera pas nos poings mourir / À l’attaque, à l’attaque / À l’attaque, à l’attaque, à l’attaque ». J’ai une idée de solution : je propose que tout le monde devienne anarchiste.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn,


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