Portrait : Valérie Labatut, l’inspectrice du travail insoumise

mardi 11 octobre 2022.
 

Valérie Labatut, l’une des plus belles rencontres du tour de France de l’insoumission. L’inspectrice du travail, secrétaire nationale de la CGT, amie d’Anthony Smith et de Gérard Filoche, est de tous les combats pour les travailleuses et travailleurs à travers le pays. Avec un cœur immense, une force incroyable, une énergie rare. L’insoumission est allée à sa rencontre dans l’Oise, où elle vit depuis toujours, et où elle a perdue d’un cheveu face au Rassemblement national. Valérie Labatut nous a raconté une vie extraordinaire, celle d’une insoumise. Portrait.

« Pas d’une famille de gauche »

Valérie Labatut ouvre les yeux le 23 novembre 1974. Depuis ses 1 an et demie, elle vit dans l’Oise. Elle grandit dans le petit village de Fleurines, moins de 2000 habitants, dans la maison de sa grand mère. Milieu social : capital culturel +, capital économique -. Des parents, mais pas d’argent. Le foyer vit avec la pension de retraite de sa grand mère. Ses deux parents ne travaillent pas.

Sa mère était secrétaire jusqu’à sa naissance. Elle quitte l’école à 16 ans puis travaille, de ses 16 à ses 44 ans, en pleine 30 glorieuses. Sa mère à elle, était couturière. Le grand père maternel, ouvrier chez EDF, il faisait les trois 8 avant la guerre. Son père a fait fortune mais a tout perdu. Il était producteur de film. Installé en Suisse, il ne payait pas ses impôts.

« Pas une famille de gauche ». Ça ne parlait pas trop politique à la maison. La mère de Valérie était allé à un meeting en 1974, celui de Giscard. On écoutait les débats à la télé, mais pas d’engagement : « pas le profil élevée par des parents de gauche ». Son père perd tout avec le choc pétrolier de 1973. En 1974 à la naissance de Valérie, il n’a plus rien. C’est le milieu du cinéma, de la boisson, du casino, il fera de la prison pour dette. Le grand père paternel était dans la police de Toulouse, l’origine de son nom. Labatut. Comme faire la battue ? ( Ou ne pas être l’abattu ? On sort ).

Une enfance en se serrant le ceinture

À ses 14 ans, sa grand mère et son père meurent. Sa mère n’a pas encore l’âge de toucher la retraite. Elles vont vivre toutes les deux avec une petite pension. Et se serrer la ceinture. Toujours dans la maison de la grand mère, à la campagne, à 50 kilomètre de Paris. Et sans voiture. La petite Valérie va à l’école en car le matin. Elle reste à l’étude le soir, pour choper le car du retour pour rentrer au village. Pour faire les courses, il faut prendre le car de Fleurines à Aubervilliers, le car qui emmène les travailleurs vivant dans les cités dortoirs de l’Oise vers la capitale. Parfois, des amis de sa mère les emmènent faire les courses avec leur voiture. Humiliation suprême pour Valérie.

Les étés par contre, de la chance : grâce à une tante, direction la mer. Tous les étés en Normandie, dans une maison familiale. « Je ne veux pas faire causette non plus ». Valérie grandit dans un environnement agréable, un grand jardin, une maison de campagne en somme. Sa mère lit beaucoup, notamment de la littérature, et lui transmet son capital culturel. Pierre Bourdieu, sort de ce corps. Un habitus clivé, du capital culturel oui, du capital économique moins : la mère et sa fille vivent sur toutes les économies d’une vie de la grand mère, pas de loyer, pas d’ordi, pas de portable, un potager, une vie simple, boursière, pas d’extras.

À l’école, Valérie est une bonne élève. Un pur produit de « l’École publique Républicaine ». Elle va faire son collège à Pont-Sainte-Maxence, dans l’Oise, encore et toujours. Ses amis à l’École viennent de milieux sociaux plus privilégiés. Des amis l’invitent au ski. La classe moyenne sup’. Valérie le vit mal. « Je souffrais de la différence de statut financier avec mes amis ». Elle se sent stigmatisée économiquement. Le fait de devoir dépendre de la voiture des autres pour faire les courses, est ressentie comme une injustice. De là naît « une grande aspiration : moi plus tard, j’aurais les moyens de l’indépendance ». À l’École, Valérie bosse pour. Elle aime : les matières littéraires, la philosophie, et l’allemand. Avec 20 chats à la maison pour l’épauler. Réussir par l’École, pour se sortir de là. Pas pour gagner de l’argent. Ses parents ne bossaient pas, « ils ne cédaient pas sur l’essentiel : avoir du temps ».

L’École de la République pour devenir indépendante

À la maison, pas trop de règles. Ses amis adorent venir. La liberté. Une mère pas trop strict, et pourtant une enfant sage, comme quoi. Sa mère est dans une situation financière compliquée, Valérie ne veut pas en rajouter. À l’école, elle met les bouchers doubles. Bac littéraire en poche, direction classe prépa. Kagne-hypocagne, littéraire toujours ! La fac normalement ça aurait été à Amiens. Valérie ne veut pas aller à Amiens, mais à Paris. La classe prépa est un moyen d’y aller. Sa mère a gardé un petit trésor : une chambre de bonne de 10m2 à Paris. Elle l’a sous-loué toute son enfance, elle l’a gardé précieusement pour sa fille. Valérie dit avoir sacrément de la chance de faire des études, consciente de la terrible reproduction sociale, des inégalités sociales qui pipent les dés, dès la ligne de départ.

On est en 1992. Valérie a 18 ans. Elle étudie la philosophie et l’allemand pendant 4 ans. Elle va partir 1 an en Allemagne en Erasmus, pour l’équivalent de sa maîtrise. Elle rentre d’Allemagne, fini ses études, et c’est le grand saut dans le monde du travail. Le début d’une longue histoire entre le travail et Valérie Labatut.

Enseignante vacataire de philo pendant 10 ans à courir dans toute l’Île de France, avec un deuxième boulot le soir

Enseignante pendant 10 ans comme vacataire dans toute l’Île de France, Valérie Labatut va avoir pas moins de 30 employeurs. Elle sillonne la région. Lycées privés, sous contrats, hors contrats, tous les lycées y passent. La philo, c’est seulement au lycée.

Le soir, de 18 à 23 heures, une deuxième journée de travail commence. Chez Axa, comme assistante. Il y a fort besoin de faire rentrer de l’oseille. Les cours de philo, ça paye pas. 22 à 23 heures de cours de philo ça fait 1300 à 1600 francs (l’ancêtre de l’euro, pour les plus jeunes insoumis, NDLR). Marketing, serveuse, ménages, Axa pendant 3 ans, Valérie va tout faire pour arrondir ses fins de mois de prof vacataire.

Elle fera 10 ans comme prof à travers toute l’Île de France, de 1994 à 2004. Son dernier poste : Notre Dame des Oiseaux, dans le 16ème. La banlieue, le 16ème, en 10 ans, Valérie a Labatut toute l’Île de France. L’après-midi à Ivry, le matin au Péreux, Valérie passe sa vie dans les transports. Elle aime enseigner la philo. Prof, le seul métier qu’elle connaissait comme élève.

Un soir, la révélation : le documentaire La dernière digue : l’inspection du travail, passe à la télé

Mais un soir, fatiguée, après avoir bossé chez AXA jusqu’à 23 heures, elle rentre du boulot. La prolétaire des profs de philo allume la télé. Tu peux pas dormir tout de suite. Et là, elle tombe sur le documentaire de Richard Blois : La dernière digue : l’inspection du travail. Elle y voit Françoise Rambaud, inspectrice du travail, compagne de Gérard Filoche, elle y voit des gens qui se déplacent dans les entreprises pour défendre les travailleurs. « Révélation ».

Cours du CNED, elle va passer le concours d’inspectrice du travail en candidate libre, c’est parti. Elle décroche le concours du premier coup, en 2004. Après 11 mois comme contrôleuse du travail et 18 mois de formation à Lyon, elle devient inspectrice du travail en 2006. Elle décroche un poste dans les Yvelines, « depuis là, je ne galère plus ».

« Marx a joué dans le fait que je devienne inspectrice du travail » Et depuis lors, le temps de l’engagement. Jusqu’ici, pas le temps. Pas le temps d’être engagée quand tu bosses pour joindre les 2 bouts. Tu es dans un collectif, sans vraiment en être. « J’étais la précaire. J’avais même pas le temps d’être engagée dans ma tête ». Pas d’engagement étudiant pour la même raison, pas le temps, faut étudier.

Mais parmi les philosophes étudiés, une petite préférence tout de même pour un certain Karlito. « J’aimais beaucoup Marx, le concept d’exploitation, d’aliénation. Marx a joué dans le fait que je devienne inspectrice du travail ». C’est les conditions matérielles d’existences qui déterminent la conscience. Une révolution de la pensée. La superstructure de la lutte des classes pour se libérer de l’aliénation du capital. Avec le matérialisme historique, Marx renverse la philosophie hégélienne, renverse la philosophie et la pensée tout court. Avec Karlito et Pierrot, Valérie a les armes pour affronter le capitalisme. Affronter ce qui l’attend en tant qu’inspectrice du travail.

Entre plans de licenciements et délocalisations, la désindustrialisation fracasse la France

« J’ai toujours adoré ce métier ». La toute jeune inspectrice commence pourtant dans le dur. Alcatel, Thalis, Peugeot, des plans sociaux à la pelle. Sa zone d’activité : Vélizy. Tous les ans, des plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce nom si cruel donné par les libéraux pour euphémiser et ne pas nommer la terrible réalité : les licenciements à la chaînes. Les PSE s’enchaînent, beaucoup de travail pour Valérie.

En 2011, leucémie. Valérie Labatut est contrainte de changer de zone d’exercice. Elle est mutée dans les Haut de Seine. Affectation : Nanterre. Secteur de contrôle : Gennevilliers. Rien à voir avec les Yvelines. Encore des usines en activités, notamment les fonderies. On ne s’attend pas forcément à trouver des usines en région parisienne, mais la scène est un bassin d’ouvriers.

C’était la raison initiale de la venue de l’insoumission dans l’Oise : la désindustrialisation. Plus tôt dans la journée, Valérie Labatut est venue me chercher à la gare de Creil, et m’a emmené sur les sites des anciennes usines du bassin creillois. Sur le site des anciennes usines chaussons d’abord, ces usines qui construisaient des pièces automobiles et qui employaient jusqu’à 5000 ouvriers dans la région. Tout le monde connaissait quelqu’un qui travaillait la bas. La dernière usine chausson, celle d’Aubervilliers, ferme ses portes en 2000. Puis elle m’emmène sur le site des anciennes usines Goss-Marinoni, usine de rotative qui imprimait le petit journal illustré et qui a fermé en 2013.

L’incroyable pouvoir de protection de l’inspecteur du travail On est assis en terrasse face à la gare de Montataire, le soleil tape très fort. Valérie Labatut se lève, et demande à un gros 4X4 de couper son moteur ou de s’en aller. Le chauffeur, en pleine discussion avec un homme attablé, s’exécute. Elle revient. On reprend le fil de notre entretien.

Son métier d’inspectrice du travail. Elle aime appréhender les conditions de travail des salariés, qu’on lui explique le travail. Elle a le droit d’aller inspecter partout, de jour comme de nuit. Les inspecteurs du travail ont un droit d’entrée surprise dans les entreprises. Un délit pour l’employeur de refuser. L’inspecteur du travail détient un pouvoir énorme. Ses armes juridiques peuvent lui permettre d’arrêter les outils de production, de soustraire les travailleurs en cas de situation à risque : exposition à l’amiante, risque de chute, risque d’ensevelissement, contact risqué avec la machine, etc.

Chantier interdit au public

« J’aime être sur le terrain, j’aime rencontrer les gens ». Valérie cite un ouvrage qui l’a marquée : Chantier interdit au public. L’enquête du sociologue Nicolas Jounin, terrible immersion parmi les travailleurs du bâtiment. De la grande sociologie / du grand journalisme. Un ouvrage qui m’a marqué aussi, et qu’on recommande vivement aux lecteurs de l’insoumission. Des travailleurs intérimaires pas protégés, abandonnés, victimes de racisme. Des conditions de travail inacceptables, en France. Pour contrôler les entreprises voyous, dans le bâtiment comme ailleurs, pour protéger les salariés, nous avons un besoin vital dans le pays : recruter des inspecteurs du travail.

Le ratio est le suivant : 1 inspecteur du travail pour 10 000 salariés. 20 000 inspecteurs du travail, pour 20 millions de salariés. Un ratio qui ne cesse de s’empirer ! Départs à la retraite pas renouvelés, suppressions de postes, etc. Comme dans l’ensemble de nos services publics, l’austérité néolibérale fait des ravages.

L’engagement syndical, pour recruter des inspecteurs du travail Face à ce constat, Valérie Labatut va s’engager. Première étape de 2006 à 2008, pendant sa formation à Lyon. Elle s’engage à la CGT. En 2017 elle devient secrétaire nationale de la CGT ministère du travail. Elle succède à ses amis et camarades inspecteurs du travail Gérard Filoche et Anthony Smith. Son mandat comme secrétaire nationale est renouvelé. Son combat prioritaire : le manque d’effectif d’inspecteurs du travail. Les chiffres sont sans appels : 30% d’effectif en moins en seulement 10 ans. 16% de postes vacants. Dans ces conditions, on ne gère que les urgences. Et des urgences, il y en a un paquet.

Depuis de longues années, un homme fait un travail on ne peut plus précieux : le recensement des accidents et des morts au travail dans le pays. Cet homme s’appelle Mathieu Lépine, un professeur d’histoire insoumis, dont vous pouvez suivre le travail de salubrité publique en vous abonnant au compte : accident du travail, silence des ouvriers meurent (lire ici l’article de l’insoumission sur son travail).

Ces accidents et ces morts au travail, ces vies dont on ne vous parle jamais Les accidents du travail en France sont invisibilisés, minimisés, sous déclarés. Les chiffres sont bien en deçà de la réalité. Ils reposent bien souvent sur la déclaration de travailleurs eux mêmes, qui, ayant peur de perdre leur travail, restent chez eux sans bénéficier du droit à la protection sociale pour se soigner.

Un livreur à vélo qui a un accident du travail ? Recensé comme un accident de la route ! Ça c’était avant, avant le combat de Leïla Chaibi pour la présomption de salariat des travailleurs des plateformes (que nous avons largement documenté à l’insoumission, voir nos entretiens vidéos avec Leïla Chaibi sur le sujet : notre entretien en 2020, notre entretien en 2021). Combat auquel a participé une certaine Valérie Labatut, que nous avons croisé à Bruxelles lors du forum international des alternatives à l’ubérisation ce 8 septembre 2022.

Valérie Labatut, une passion contagieuse pour son métier

Le temps file, la discussion est passionnante. Des Valérie Labatut, on voudrait en rencontrer dans tout le pays. On commande un deuxième Perrier citron, le soleil de l’Oise continue de taper aussi fort. On croirait que la petite gare de Montataire, juste en face de notre terrasse, est sortie d’une autre époque. Un décor de vieux film. Valérie Labatut checke en vitesse Telegram, l’application qui pourrit la vie à tous les militants politiques, très vites noyés sous les messages dans les innombrables boucles. Il faut dire qu’on en oublierait presque que Valérie Labatut est en campagne. Elle est candidate dans la 4ème circonscription de l’Oise. On est dans la dernière ligne droite, dans la dernière semaine avant le premier tour. Et le RN est redoutable dans le département.

Valérie Labatut rechausse ses lunettes de soleil, on est reparti. Elle nous reparle de son métier qui la passionne tant, une passion contagieuse. À Lyon, à l’École de formation des inspecteurs du travail, Jean-Luc Mélenchon a fait 80% à la présidentielle. Un score soviétique. Elle aime tellement son métier. Pas de chef. Le matin au réveil, « une liberté de folie ». « J’ai une grande chance, il y a tellement de boulots où te fais chier. Je dénonce les dérives du travail. Je prends beaucoup de plaisir à faire ce métier là ». Elle refuse les promotions, elle préfère être sur le terrain, au contact des travailleuses et des travailleurs.

L’engagement politique, l’amitié avec Anthony Smith

Puis vient son engagement politique. Très récent. Il date du printemps 2020. Grâce à Anthony Smith (l’inspecteur du travail suspendu pour avoir réclamé des masques pour protéger des aides à domicile pendant le Covid, lire notre portrait), « un très cher ami ». Valérie Labatut et Anthony Smith, toujours fourrés ensemble. C’est d’ailleurs elle qui organisera le rassemblement de soutien le jour de son procès, ce 21 septembre à Nancy.

Anthony Smith fait parti des gens qui l’ont politisé. Elle raconte le scandale. Anthony muté à 200 kilomètres de chez lui pour avoir osé réclamer des masques pour protéger des salariés. Elle raconte l’incroyable campagne de soutien organisé avec les camarades de LFI, notamment Mathilde Panot et Thomas Portes, et les quelques 160 000 signataires obtenus sur la pétition de soutien à Anthony. Un exemple de lutte qui devrait être victorieuse, puisque le rapporteur public vient de demander ce 21 septembre la levée des sanctions contre Anthony Smith. Désaveux pour Muriel Pénicaud et Élisabeth Borne, les deux ministres du travail successives au moment de l’affaire.

« 22%, c’est une magnifique réussite »

Anthony Smith rejoint le PUPES, le Parlement de l’Union Populaire Écologique et Sociale, nom d’une boisson énergisante, et propose la candidature de Valérie Labatut dans l’Oise début janvier 2022. « J’hallucine d’être candidate ». Toute nouvelle dans le militantisme politique, là voilà bombardée candidate officielle de la NUPES dans la 4ème circonscription de l’Oise. Elle va devoir aplanir les aigreurs et conflits entre les différentes composantes de la gauche locale, désormais réunifiées derrière elle. Sa nouveauté est un atout. Elle rencontre les différents militants de l’Oise grâce à la plate-forme Action populaire. Ils donnent tout.

Le 10 avril 2022, elle est au cirque d’Hiver. Comme tout le peuple de gauche, elle doit sécher ses larmes. « Le combat continue. Faites mieux ! » elle reçoit le message de Jean-Luc Mélenchon. « 22%, c’est une magnifique réussite ». Dès le lundi, au charbon. Elle va poser ses congés toute la durée de la campagne. Elle ne va pas beaucoup voir ses jumeaux de 4 ans.

Il faut labourer la circonscription. Elle est à la fois rurale et urbaine. 42 communes, et une seule Valérie Labatut. La circonscription est fracturée : 38% pour l’extrême droite, 36% pour l’Union populaire, 24% pour LREM + LR, 2% pour Lassalle. Avec une fracture nette, comme presque partout en France : la ruralité vote plus Le Pen, les grandes villes votent plus Mélenchon. Les villes moyennes, qui votaient à 80% pour Mitterrand en 1981, ont basculé à l’extrême droite. Résultat de la trahison et de l’abandon des classes populaires par le PS, théorisé par la note Terra Nova de 2011.

Les fractures de l’Oise

Dans les grandes villes, Méru, Creil, Montataire, Jean-Luc Mélenchon fait des scores staliniens. 56% à Creil sur l’ensemble des bureaux de vote. Le score monte même à 75% dans certains quartiers de Creil. Beaucoup d’« habitants » dorment à Creil dans des cités dortoirs, et vont travailler à Paris. Il suffit de prendre le TER Creil-Paris tôt le matin, ou le TER Paris-Creil en fin d’après-midi, pour s’en apercevoir.

La désindustrialisation a fracassé le département. C’est la raison de notre venue : parler des usines qui ont fermés et des conséquences sur le bassin creillois. Des conséquences terribles. 38% de taux de pauvreté dans le bassin creillois (14% au national, NDLR). Pourtant, pas d’« assistés » ici, pas de « gauche des allocs », Valérie Labatut nous montre un article du Courrier Picard : il y a plus d’emplois à pourvoir dans la région que de gens au chômage. Pourquoi ? Car l’immense majorité des habitants partent travailler à Paris.

À 7,4%, le taux de chômage est même plutôt à la baisse. Pendant que nombre d’habitant de l’Oise vont travailler, souvent de nuit, ou très tôt, à Paris, dans le sens inverse, des travailleurs qualifiés viennent travailler dans le département. Un chassé croisé dans la ligne du TER K10. Valérie Labatut nous décrit des habitants du département qui ont peur du « grand remplacement », alors même qu’ils habitent dans des villages sans étrangers.

L’affaiblissement des services publics, le RN qui cartonne dans l’Oise L’inspectrice du travail insiste sur l’affaiblissement des services publics. Elle alarme sur l’état des hôpitaux du département. Sur les déserts médicaux. Sur le départ de médecins. Le service d’urgence qui ferme à Senlis. La fermeture de la maternité de Creil en 2019. L’état de l’Hôpital de Beaumont sur Oise, la ville du scandale Adama Traoré. Marine Le Pen a su parler à certains oubliés, Jean-Luc Mélenchon à d’autres, réussissant l’exploit de reconquérir le vote du précariat.

Mais aux législatives, l’Oise se partagera entre le RN et les Républicains, 3 députés chacun. Et Éric Woerth (Ensemble ! Minorité présidentielle, ex ministre de François Fillon, passé par les différentes nuances de droite : de l’UMP, à LR pour finir à Renaissance, NDLR). Dans sa circonscription, Valérie Labatut perd d’un cheveu contre le RN (52 à 48). En cas de dissolution, la bataille s’annonce féroce.

Protéger le travail du capital : le cheval de bataille de Valérie Labatut

À l’Assemblée nationale, Valérie Labatut aimerait porter la question du travail. Un sujet brûlant à gauche en cette rentrée. Elle aimerait faire rentrer le combat pour la présomption de salariat mené par l’eurodéputée insoumise Leïla Chaibi au Parlement européen, dans les murs de l’Assemblée nationale. Porter également l’abrogation de la Loi El Khomri. La loi dite « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », ou plus simplement la loi de destruction du droit du travail au service du capital. Loi El Khomri qui a préparé le terrain à un certain Emmanuel Macron, ministre enfanté par François Hollande.

Autre combat que Valérie Labatut souhaiterait porter : l’augmentation du nombre de salariés dans les CA des entreprises. Donner de la voix et du pouvoir aux représentants salariés dans les entreprises. Restaurer les comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT détruits par Macron en 2020. Rétablir les contre-pouvoir dans l’entreprise, détruits par le PS et la macronie. Valérie Labatut souhaiterait participer à la bataille culturelle de fond contre le discours néolibéral, celui du « coût du travail », de la politique de l’offre, de la « flexibilisation », etc. Une inspectrice du travail insoumise, bientôt à l’Assemblée ?

Depuis l’entretien réalisé en juin dernier, on a recroisé Valérie Labatut. À Bruxelles et à Nancy. À chaque fois dans la lutte. À chaque fois pour défendre le droit des salariés. À chaque fois avec le sourire. À chaque fois avec un cœur immense. Si le pays était peuplé de Valérie Labatut, le pays irait bien mieux.

Par Pierre Joigneaux.


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