Mort de Shireen Abu Akleh : comment l’armée israélienne a sciemment exécuté une journaliste

samedi 24 septembre 2022.
 

Une reconstitution vidéo dévoile que la reporter américano-palestinienne, abattue en mai par un soldat israélien en Cisjordanie occupée, a été explicitement ciblée, bien qu’étant identifiable en tant que journaliste. La famille de la victime a déposé plainte devant la Cour pénale internationale.

C’étaitC’était le 11 mai 2022. Shireen Abu Akleh, vedette de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazeera, accompagnée d’un groupe de cinq autres journalistes palestiniens, arrive au petit matin à Jénine, en Cisjordanie, pour rendre compte d’un raid des forces d’occupation israéliennes sur un camp de réfugié·es.

Les reporters portent des gilets siglés « press » bien visibles et s’approchent à petits pas de la position israélienne pour s’identifier auprès des militaires, conformément au protocole. Ceux-ci sont campés dans la même rue, à environ 200 mètres en contrebas, au sein d’un convoi de cinq véhicules blindés à l’arrêt.

À 6 h 31, un soldat d’élite israélien tire une première rafale de six balles, en direction du groupe de journalistes, depuis un véhicule stationné à l’avant du convoi. L’un de ces tirs touche le journaliste Ali al-Samoudi à l’épaule.

Huit secondes plus tard, alors que les journalistes tentent de se mettre à l’abri, le tireur d’élite israélien enclenche une seconde salve composée de sept autres coups de feu distincts, ciblant à nouveau les journalistes. L’une de ces balles atteint Shireen Abu Akleh à la tête, la blessant mortellement.

Deux minutes plus tard, un civil non armé, Sharif al-Azab, tente de prodiguer les premiers soins à la journaliste américano-palestinienne et reçoit lui aussi trois coups de feu alors qu’il s’avance vers elle.

Le collectif britannique Forensic Architecture, spécialisé dans les contre-enquêtes sur les crimes et mensonges d’État, et l’organisation palestinienne de défense des droits humains Al-Haq ont analysé et synchronisé toutes les images disponibles de l’incident, dont certaines sont inédites, afin de construire une chronologie précise des faits et de démontrer l’origine des coups de feu, ainsi que l’objectif recherché par les militaires.

Des journalistes pris pour cible à plusieurs reprises Cette enquête établit que Shireen Abu Akleh et ses collègues étaient clairement identifiables en tant que journalistes lorsqu’on leur a tiré dessus. La reconstitution, basée notamment sur une modélisation numérique et une analyse optique, démontre que les journalistes ont bien suivi les protocoles standards d’auto-identification et que leurs insignes « press » étaient nettement visibles depuis la position du tireur des forces israéliennes.

Shireen Abu Akleh et ses collègues ont été délibérément et à plusieurs reprises pris pour cible, dans le but de les tuer. Forensic Architecture et Al-Haq ont identifié la balle récupérée dans le crâne de la journaliste américano-palestinienne comme étant un type de munition utilisée par les tireurs d’élite israéliens, dont les armes sont généralement équipées d’une lunette optique (fabriquée par la société américaine Trijicon) qui grossit leur vision de quatre fois, rendant leurs cibles nettement perceptibles.

La reconstruction de la chronologie des événements révèle que le tireur disposait d’au moins 20 secondes pour jauger visuellement les journalistes avant de tirer la première salve, et huit secondes pour les examiner entre la première et la seconde salve.

L’analyse de la trajectoire des coups de feu révèle une ligne de tir claire depuis la position des forces d’occupation israéliennes vers le groupe de journalistes, une proximité étroite entre les points d’impact des coups de feu, qui suggère un objectif précis, et le positionnement constant de ces points d’impact au-dessus des épaules, indiquant l’intention de tuer.

Une analyse simulant le champ de vision depuis la lunette optique du soldat révèle que des coups de feu n’ont été tirés que lorsque des journalistes, et plus tard un civil, se trouvaient dans la ligne de mire du tireur. La synchronisation vidéo révèle que les coups de feu se sont poursuivis alors que les journalistes tentaient de se mettre à l’abri.

Au cours de la seconde salve, les tirs se sont probablement poursuivis jusqu’à ce que Shireen Abu Akleh soit touchée, ce qui accrédite l’hypothèse selon laquelle la reporter était la cible de cette salve.

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Ces conclusions contredisent le contenu du rapport de l’armée israélienne sur l’incident, qui affirmait qu’il y avait eu « des tirs généralisés et aveugles » d’« hommes armés palestiniens » présents « au moment et dans la zone où [Shireen Abu Akleh] a été tuée ».

L’analyse vidéo et les témoignages recueillis confirment qu’il n’y avait aucune autre personne présente entre les journalistes et le convoi militaire au moment de l’incident. L’analyse sonore atteste que les seuls coups de feu tirés dans les trois minutes précédant la fusillade provenaient de la position israélienne et qu’aucun autre coup de feu, dans les images analysées, ne provenait des parages des journalistes.

L’analyse des mouvements des journalistes suggère qu’ils se sont d’abord sentis suffisamment en sécurité pour marcher lentement vers les véhicules militaires, élément corroboré par le témoignage de la journaliste Shatha Hanaysha. La localisation de l’emplacement du tireur indique que celui-ci a fait feu depuis un véhicule blindé, ce qui signifie que sa vie n’était pas en danger au moment du tir, ni dans les instants qui l’ont précédé.

Après avoir été abattue, Shireen Abu Akleh n’a pu bénéficier d’aucune aide médicale. L’analyse vidéo, audio et spatiale démontre qu’en tentant de secourir la journaliste, un civil a été la cible de tirs à chaque fois qu’il a cherché à se rendre auprès d’elle et est entré dans la ligne de mire du tireur.

Cette enquête et ses conclusions ont été versées à la plainte déposée par la famille de la défunte auprès de la Cour pénale internationale, à La Haye (Pays-Bas), mardi 20 septembre.


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