LA SOBRIÉTÉ POUR SAUVER LA PLANÈTE  ?

vendredi 23 septembre 2022.
 

La sobriété est à la mode  ; c’est même elle qui va permettre de lutter contre les dérèglements climatiques, permettre la réduction des rejets de gaz à effet de serre et arriver à la neutralité carbone en 2050. Le terme est utilisé aussi bien par le gouvernement, les grands patrons et banquiers, des universitaires, les partis politiques que par la plupart des associations et ONG se réclamant de l’écologie, de la lutte pour l’environnement, la biodiversité ou contre les dérèglements climatiques ainsi qu’une bonne partie de la presse qui s’en fait un vecteur zélé. Après la résilience, nous sommes devant un nouveau mot-valise qui semble nous offrir la solution aux crises produites par un système d’exploitation sans limites, mais qui, comme souvent, «  noie le poisson  », car les responsabilités y sont diluées, ni explicitées, ni hiérarchisées  ; ce qui permet de gloser, de faire accroire que la solution est accessible sans jamais aborder le problème au fond et donc de maintenir le système de production capitaliste en place.

L’emprise idéologique sobriété

Les prêtres de la sobriété

Prenons quelques exemples de ces appels à la sobriété. Le mercredi 29 juin 2022, les ministres Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et Stéphane Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, ont annoncé le lancement d’un plan sobriété dans l’administration pour diminuer de 10 % les rejets de gaz à effet de serre et la consommation énergétique et la création d’un groupe de travail avec les syndicats. Dans son interview du 14 juillet dernier, Emmanuel Macron appelle les Français à « entrer collectivement dans une logique de sobriété  », avec comme objectifs faire la chasse aux gaspillages et «  réduire la consommation énergétique de 10 % d’ici deux ans par rapport à 2019  ». Il évoque pour cela les conséquences de la guerre en Ukraine et, afin de ne plus dépendre des énergies carbonées venant de Russie, il affirme «  la première chose, c’est la sobriété, la deuxième, c’est développer le renouvelable  ». Pour ce faire, il annonce un « plan de sobriété énergétique  » et «  dès cet été, nous allons passer une loi d’urgence pour réduire les délais  » de réalisation des projets pour les énergies renouvelables, notamment les éoliennes.

Mais le gouvernement n’est pas le seul politiquement à revendiquer la sobriété, pratiquement toutes les formations y font référence, voire le proposent comme solution. La députée LFI-Nupes Alma Dufour dénonce le plan «  sobriété énergétique  » du gouvernement : «  ce plan n’a rien à voir avec une sobriété choisie et planifiée  » affirme-t-elle et elle ajoute : «  il s’agit de mesures assez drastiques visant à gérer une situation de pénurie, même si l’on sait que le gouvernement fera tout pour ne pas en arriver là. En réalité, on a l’impression que la crise écologique rattrape un chef de l’État qui n’a jamais voulu prendre l’impératif de sobriété au sérieux  ». Dans le Journal du dimanche du 26 juin 2022, les trois dirigeants des trois principaux groupes énergétiques du pays, TotalEnergies, EDF et Engie appelaient les Français à réduire «  immédiatement  » leur consommation de carburant, pétrole, électricité et gaz face à la flambée des prix qui menaceraient la cohésion sociale l’hiver prochain.

Dans une chronique au journal Le Monde, Dominique Méda, professeure de sociologie, directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales et grande prêtresse des idées qui ne dérangent pas, intitulait celle-ci dans Le Monde de dimanche 27 — lundi 28 mars 2022 «  L’heure de la sobriété est venue  » sans d’ailleurs traiter la question. Toujours dans Le Monde du dimanche 20-lundi 21 février 2022, journal de la bonne bourgeoisie bien pensante donneuse de leçons, Jean-Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien, président du «  groupe de réflexion  »  ! «  The Schift Project  »[1] qui « ramasse » toutes les solutions dans l’air du temps nous dit à propos du travail de The Schift Project : «  Nous sommes partis des flux physiques et nous avons regardé à quelle vitesse maximale nous pouvions déployer tout ce qui est du ressort de l’amélioration technique afin de décarboner. Sans faire de pari sur des technologies de rupture qui n’existeraient pas encore à l’état de prototype  », ce qui donne une coloration scientifique à la démarche, et il en déduit : «  Une fois qu’on a fait cela, qu’on a poussé au maximum les améliorations technologiques, on se rend compte qu’en général, ça ne suffit pas pour atteindre la neutralité carbone dans la deuxième moitié du siècle. (ce qui est probablement vrai) Il faut donc avoir recours à la sobriété  » et il ajoute un peu plus loin : «  Il faut probablement concilier sobriété et capitalisme. Pour moi, le capitalisme, c’est accepter la propriété privée des moyens de production et la propriété du patrimoine  » la bonne question étant : «  Où met-on le curseur entre ce qui relève de la collectivité et qui contraint, et ce qui relève du privé et où l’on fait ce que l’on veut  ?  » Au moins cela a l’avantage de la franchise. Quant aux associations et ONG, la liste serait trop longue du «  Réseau action climat  » (RAC), à Négawatt en passant par Les Colibris qui se réclament de la sobriété, pour pouvoir les citer toutes.

Pour la presse, un journal comme Le Monde, en plus des interviews et chroniques, s’appuyant sur le discours d’Emmanuel Macron à Belfort le 10 février 2022 y a consacré du 31 mai au 4 juin une série de cinq articles (deux pages chacun tout de même) intitulés «  URGENCE CLIMATIQUE Le DÉFI DE LA SOBRIÉTÉ  » annoncée par un immense placard en page une du journal le 31 mai. Les auteurs de l’article[2] justifiant cette série affirment : «  En reprenant le mot à son compte, Emmanuel Macron envoie un signal à un électorat de gauche et aux écologistes  ». Au-delà de cette vision électorale de la politique, les électeurs des classes populaires qui vivent avec les minimums sociaux ou le SMIC n’ont pas dû comprendre le message (ou peut-être ce message ne s’adressait-il pas à eux) au vu du taux d’abstention dans ces populations lors des élections présidentielles et législatives qui ont suivi. Mais les auteurs poursuivent : «  Mais, plus largement, cet emprunt révèle la façon dont cette notion ancienne a fini par s’imposer dans le débat public. De la “sobriété heureuse” de Pierre Rabhi (1938-2021) à la première encyclique papale sur l’écologie, en 2015, des travaux de l’Agence internationale de l’énergie (AEI) à ceux des climatologues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la sobriété semble de plus en plus incontournable, tout en restant éminemment clivante. Synonyme, pour les uns, de levier puissant et enthousiasmant pour inventer un modèle plus respectueux de l’environnement, elle fait figure de repoussoir absolu pour les autres qui craignent la fin du progrès et de la croissance. Souhaitée ou redoutée, elle interroge, en tout cas, les fondements et l’organisation mêmes de notre société.  »

Certes, la sobriété interroge l’organisation de nos sociétés, mais quelle sobriété  ? Citant plus loin Marie-Claire Cailletaud, représentante CGT au Conseil économique, social et environnemental, la question n’est-elle pas avant tout une question de répartition des richesses créées  ? «  La question de la justice sociale doit se trouver au cœur des débats  » dit M.C. Cailletaud, toute mesure pour aller vers «  un modèle plus respectueux de l’environnement  » ne doit-elle pas être à la fois une mesure qui traite le social et l’environnement qui sont en fait le même problème. En effet, les 10 % de Français les plus riches (et nous ne parlons pas des procès de production, de vente et consommation, et du mode de vie des grands patrons et financiers donné en exemple dans la presse dite «  people ») ont émis 24,7 tonnes de CO2 (dioxine de carbone premier gaz à effet de serre) par habitant en 2019, cinq fois plus que la moitié la moins aisée de la population. Il y a bien un rapport de classe dans les émissions de gaz à effet de serre, les dérèglements climatiques, pertes de la biodiversité et consommation en général.

La définition de la sobriété d’après le dictionnaire est : «  Tempérance dans le boire et le manger  ; retenue  ; modération  » (Petit Larousse 1935)  ; «  tempérance dans le boire et dans le manger. … Fig. discrétion, retenue, modération.  » (Maurice La Châtre-1865-1870). L’utilisation de ce terme signifie donc une tempérance dans les rejets de gaz à effet de serre, dans l’utilisation de l’énergie sous toutes ses sources et formes, dans la disparition de la biodiversité. Moins de gaz ou de pétrole pour tous, moins de viande pour tous, moins de déplacements pour tous. Mais que comprend ce moins selon sa fortune et sa position sociale ? Une tempérance, mais pas un changement de régime.

Le Club de Rome 1972

En 1972 le rapport du Club de Rome «  Les limites de la croissance  » avertissait de l’incompatibilité entre croissance illimitée et ressources limitées de la Terre. Dans une interview au journal Le Monde, Dennis Meadows[3], principal rédacteur du rapport du club de Rome en 1972 «  Les limites à la croissance  » revient sur la question de la croissance infinie comme soubassement de nos sociétés et du devenir de notre civilisation droguée au court terme, à cette croissance infinie au profit de certains. Il affirme que «  l’élément majeur (de la dynamique des sociétés), c’est que la promesse de croissance infinie est devenue la base du consensus politique  » et donc que : «  Beaucoup de gens tirent de l’argent et du pouvoir à court terme grâce à la croissance, donc résistent au fait de la ralentir  »  ; et plus loin que : «  Le problème ne vient pas de la technologie, mais de nos objectifs et valeurs. Si les objectifs implicites d’une société sont d’exploiter la nature, d’enrichir les élites et de faire fi du long terme, alors elle développe des technologies dans ce sens  ». Pour lui nos sociétés ne produisent plus de véritable richesse et nous ne «  pouvons pas avoir de croissance physique sans entraîner des dégâts à la planète  », le coût des ressources devient si élevé que leur utilisation en grande quantité n’est plus possible. L’énergie est la clef du développement, le nucléaire n’étant pas une solution, car trop dangereux et laissant aux générations futures une gestion des déchets pendant plusieurs millénaires, dit-il : «  l’énergie renouvelable est formidable, mais il n’y a aucune chance qu’elle nous procure autant d’énergie que ce que nous obtenons actuellement des fossiles. Il n’y a pas de solution sans une réduction drastique de nos besoins en énergie.  », le niveau de vie moyen va donc baisser, la mortalité augmenter ou la natalité être réduite.

Sans utiliser le terme de sobriété, il est bien question de baisse du niveau de vie, de limitation et de ralentir la croissance. Dennis Meadows ajoute dans son interview au Monde que, si encore en 1972, il était possible «  de ralentir ce processus, et de garder la démographie et la consommation à des niveaux soutenables  », ce n’est plus possible aujourd’hui. Les changements climatiques, l’épuisement des ressources, la pollution de l’eau et son manque dans de plus en plus de régions et de pays vont entraîner des désordres et des catastrophes, et si «  les gens doivent choisir entre l’ordre et la liberté, ils abandonneront la seconde pour le premier. Je pense que nous allons assister à une dérive vers des formes de gouvernement autoritaires ou dictatoriales  ».

Le rapport fut fortement critiqué à l’époque notamment parce qu’issu d’une commission constituée essentiellement de représentants du capital transnational. Sicco Mansholt[4], commissaire européen, après avoir lu le rapport du club de Rome écrivit une lettre au Président de la Commission européenne prônant la mise place d’une «  économie de la pénurie  » fondée sur la décroissance, combattue à l’époque par les économistes et les responsables politiques dans leur grande majorité, ainsi que par les syndicats de salariés qui y voyaient la mise en place d’une politique d’austérité perpétuelle.

La réponse à ce dilemme fut apportée une douzaine d’années plus tard, en 1986 avec le rapport Brundtland au nom des Nations Unies avec la notion de «  développement soutenable  » ou «  développement durable », notions abondamment utilisées aussi bien par les organisations de la société civile que par les gouvernements et institutions sans conséquence concrète et sans politiques effectivement efficaces pour lutter contre les rejets de gaz à effet de serre dont certains contestaient la réalité.

La sobriété heureuse  !

La «  sobriété heureuse  » de Pierre Rabhi mérite aussi un petit commentaire. «  La source du problème est en nous. Si nous ne changeons pas notre être, la société ne peut pas changer  », affirme P. Rabhi lors de ses conférences facturées plus d’un millier d’euros et comme le Colibri il invite chacun à «  faire sa part  »[5]. Pierre Rabhi, un modèle pour le gouvernement macroniste d’Édouard Philippe qui le cite lors de la présentation de son «  plan antigaspillage » (23 avril 2018)  ; et qui fait l’admiration de son éditrice alors ministre de la culture Françoise Nyssen «  Cet homme est arrivé comme une véritable lumière dans ma vie  » et de Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire «  Pierre a permis à ma conscience de s’épanouir et de se préciser. Il l’a instruite et il l’a nourrie. Quelque part, il a été son révélateur  », qui, comme le colibri, ont tous fait leur part en matière d’écologie, une part «  sobre  » en somme qui explique le peu d’action en ce domaine du premier quinquennat Macron  ! René Dumont, un des pères de l’écologie politique en France, candidat à l’élection présidentielle de 1974, dénonçait le manque de rigueur des thèses de Pierre Rabhi : «  Pierre Rabhi a présenté le compost comme une sorte de “potion magique” et jeté l’anathème sur les engrais chimiques, et même sur les fumiers et purins. Il enseignait encore que les vibrations des astres et les phases de la Lune jouaient un rôle essentiel en agriculture et propageait les thèses antiscientifiques de Steiner, tout en condamnant [Louis] Pasteur.  »[6]. Pierre Rabhi fonde les Colibris en 2006. Adepte des idées de Steiner, de l’anthroposophie et de la biodynamique, ayant flirté avec les idées vichyssoises et l’Algérie française, convaincu que la prise en compte du divin est indissociable d’un modèle agricole viable, ayant des accointances avec le Medef, porté par les médias dominants, Pierre Rabhi en prônant le retrait du monde, une ascèse intime, se garde bien de remettre en cause les structures du pouvoir tant politique qu’économique. Nous retrouvons la notion de «  sobriété heureuse  » dans l’encyclique du Pape François «  Laudato-si  ».

L’encyclique «  Laudato-si  » du Pape François, 2015

De même, l’encyclique «  Laudato-si  » («  Loué sois-tu  »), de mai 2015 dans laquelle le Pape François propose «  une écologie intégrale  » mérite aussi un commentaire du point de vue de la sobriété qui, de fait, la traverse intégralement  ; ce qui est logique, le péché d’orgueil étant le péché le plus grave pour l’Église catholique. Dès l’introduction, le pape François se référant au «  cher Patriarche Œcuménique Bartholomée  » qui dit que «  dans la mesure où tous nous causons de petits préjudices écologiques  », nous sommes appelés à reconnaître «  notre contribution – petite ou grande – à la défiguration et à la destruction de la création  »[6] nous devons «  passer de la consommation au sacrifice, de l’avidité à la générosité, du gaspillage à la capacité de partage dans une ascèse qui signifie apprendre à donner, et non simplement à renoncer. C’est une manière d’aimer, de passer progressivement de ce que je veux à ce dont le monde de Dieu a besoin. C’est la libération de la peur, de l’avidité, de la dépendance  ». Dans l’encyclique le pape dénonce souvent avec force les excès du capitalisme financier : «  il est certain que l’actuel système mondial est insoutenable  » (point 78), ainsi que les inégalités : «  Mais les énormes inégalités qui existent entre nous devraient nous exaspérer particulièrement, parce que nous continuons à tolérer que les uns se considèrent plus dignes que les autres. Nous ne nous rendons plus compte que certains croupissent dans une misère dégradante, sans réelle possibilité d’en sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi faire de ce qu’ils possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant supériorité, et laissent derrière eux un niveau de gaspillage qu’il serait impossible de généraliser sans anéantir la planète  ». Mais, s’il dénonce l’exploitation de la nature et sa dégradation par l’homme, il n’en revendique pas moins le rapport à la foi pour préserver la nature et en finir avec le mythe du progrès matériel sans limites et revendique une ‘saine sobriété (dans) notre relation au monde’.

Il affirme à propos du travail monastique qu’il donne en exemple (point 126) : «  Cette introduction du travail manuel, imprégné de sens spirituel, était révolutionnaire. On a appris à chercher la maturation et la sanctification dans la compénétration du recueillement et du travail. Cette manière de vivre le travail nous rend plus attentifs et plus respectueux de l’environnement, elle imprègne de saine sobriété notre relation au monde.  »  ; et plus loin il affirme (point 193) : «  Nous savons que le comportement de ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties.  »

Enfin il termine avec sa conception de la sobriété : «  La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie, mais tout le contraire  ; car, en réalité ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir des choses les plus simples. Ils ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et sont moins fatigués et moins tourmentés.  » (point 223) et affirme : «  Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété heureuse, sans être en paix avec elle-même. La juste compréhension de la spiritualité consiste en partie à amplifier ce que nous entendons par paix, qui est beaucoup plus que l’absence de guerre. La paix intérieure des personnes tient, dans une large mesure, de la préservation de l’écologie et du bien commun, parce que, authentiquement vécue, elle se révèle dans un style de vie équilibré joint à une capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la vie. La nature est pleine de mots d’amour…  » ou encore : «  Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété heureuse, sans être en paix avec elle-même  ».

Une sobriété acceptée, revendiquée, spirituelle, vécue de manière consciente, libératrice, heureuse et en paix avec soi-même, créée par le lien donc transférée dans une fraternité universelle.

Sobriété et capitalisme

Sobriété ou frugalité pour les uns, sans remettre en cause les fondements du système économique capitaliste dont la recherche du profit maximum le plus rapidement possible implique structurellement l’exploitation sans frein de la nature, des humains et du vivant dans son ensemble. La croissance infinie est jusqu’à ce jour consubstantielle au système lui-même, car il y va du maintien du taux de profit. Sur le long terme, c’est la croissance sous tous ses aspects qui a élevé le niveau de vie dans les pays capitalistes dits développés même si cela s’est fait sur une exploitation éhontée des êtres humains et de la nature par le pillage des ressources naturelles au bénéfice d’une petite minorité possédants les moyens de production. Cela s’est fait dans la violence extrême souvent (colonialisme, guerres quasi constantes, violence sociale, inégalités…). Mais le capitalisme peut aussi s’accommoder, surtout si certaines ressources se font rares, d’une «  décroissance  », les périodes d’austérité pour les populations, ou les récessions économiques le démontrent même si ces périodes sont temporaires, ce sont toujours les populations notamment les plus fragiles (les classes populaires, les pauvres) qui en supportent l’essentiel. Y compris pendant ces périodes de récession les capitalistes font des profits, certains disparaissent ruinés, mais le système résiste bien et s’adapte et de nouveaux capitalistes profiteurs de guerre apparaissent, de nouveaux secteurs industriels apparaissent.

C’est toujours une faute de croire que le système capitaliste ne pourra pas supporter une décroissance dans certains domaines et de croire qu’il ne retrouvera pas des «  formes de croissance différentes  » pour assurer ses profits. La financiarisation de l’économie à partir des années 1970, suite à la décision du Président des USA de désindexer le dollar de l’or, le démontre, le capitalisme a une souplesse d’adaptation extraordinaire. Cette politique économique «  néolibérale  » s’est traduite par une déréglementation généralisée ou plus exactement une nouvelle réglementation faite pour le capital au niveau mondial, européen et national, avec la «  libéralisation  », la mise sur le marché et la mise en concurrence de tous les services publics jusqu’à la privatisation des tâches dites régaliennes y compris la guerre, la police, la fabrication de la loi (voir notre article précédent : https://www.gaucherepublicaine.org/...). Il s’agit de «  libérer  » la croissance en agissant sur l’offre via l’allégement des réglementations et des contraintes (notamment fiscales) pesant sur les entreprises et les investisseurs. La déréglementation financière, la mise en place de réformes structurelles portant sur le coût, la durée et l’organisation du travail, la «  maîtrise des dépenses publiques  » (ces dépenses qui pèsent sur les «  charges  » des entreprises et nuisent à leur compétitivité) forment l’arsenal des outils utilisés.

L’ubérisation du travail, le télétravail, la numérisation de l’économie et des modes de vie, « l’innovation  », les tripatouillages monétaires, les spéculations sur les monnaies « virtuelles » (le bitcoin entre autres), comme les shadow banks ou l’extension des mafias notamment font partie de la recherche d’adaptation du système capitaliste. Cette recherche est multiforme et multidirectionnelle et toujours présentée comme un progrès. Le système capitaliste est présenté comme lui-même «  naturel  », irremplaçable parce que justement naturel, son évolution est donc conforme à ce naturel et inéluctable, ce qui rend toute contestation dérisoire, illégitime, absurde.

Aujourd’hui les plus grandes sources de revenus (de profits) pour les capitalistes se trouvent dans le numérique, les grandes entreprises de ce secteur investissent toutes sans exception dans ce qu’elles estiment les futures sources de profits que sont la «  dématérialisation  » avec le tout numérique, le métavers, le transhumanisme, l’espace, etc. S’il y a une part d’illusion et d’utopie dans cette démarche, car une société dématérialisée n’existera jamais et nous ne quitterons pas cette planète, pour des raisons de physique, l’avenir n’est jamais écrit. Il dépend de l’affrontement de classe pour l’essentiel (les découvertes scientifiques et leurs applications, faisant évidemment partie de cet affrontement), des évolutions démographiques planétaires, des capacités «  du génie capitaliste  » à faire front aux dérèglements climatiques, perte de la biodiversité, etc.

La décroissance

Le Pape avance l’idée d’«  une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties  ». D’autres avancent la «  décroissance  » comme solution unique et définitive, parce que dans le système économique de la croissance, la création de valeur dépend directement de la destruction de la nature, est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation du vivant puisque dépendante de la croissance de la consommation de matières et d’énergie et in fine d’émissions de gaz à effet de serre.

Une croissance infinie dans un monde fini est physiquement impossible, la décroissance est donc inévitable puisque l’humanité consomme déjà beaucoup plus que ce que «  la planète  » peut offrir et renouveler (il faut les ressources de trois planètes pour assurer le niveau de vie des Français et cinq pour assurer celui des États-uniens d’Amérique, en moyenne, sans tenir compte des inégalités et sans distinction entre riches et pauvres dans ces pays). Dans une interview à Libération du samedi 24 et dimanche 25 février 2007, Jean-Claude Besson-Girard, directeur de la revue «  Entropia – Revue d’étude théorique et politique de la décroissance  »[7] explicitait les raisons de cette notion : «  La décroissance est d’abord une expression provocante. Elle s’oppose directement au dogme quasi religieux de la croissance. Mais, pour commencer à comprendre le sens de cette provocation, il faut aussitôt affirmer que la décroissance n’est pas une idée économique, mais relève d’une représentation du monde où l’économie n’aurait plus le dernier mot.  » Une provocation donc tournée vers une «  science  » hégémonique qui est avant tout une représentation idéologique du monde tel que les « sachants  » nous le décrivent. Et il ajoute : «  Il s’agit de passer d’une société de croissance à une société de décroissance. Pourquoi  ? Parce que nous pensons que le mythe de la croissance sans limites sur une planète aux ressources limitées est responsable des cinq crises majeures que rencontre l’humanité. La crise énergétique, liée à l’épuisement et au renchérissement des ressources fossiles et au consumérisme exponentiel  ; la crise climatique parallèle à la réduction de la biodiversité, à la privatisation du vivant et des ressources naturelles  ; la crise sociale, inhérente au mode capitaliste de production et de croissance, exacerbée par la mondialisation libérale génératrice d’exclusion au Nord et plus encore au Sud  ; la crise culturelle des repères et des valeurs, dont les conséquences psychologiques et sociétales sont visibles en tout domaine  ; la crise démographique enfin, qui, se choquant aux quatre autres précédentes, contribue à ajouter un paramètre complexe à ce qui constitue désormais une crise anthropologique sans précédent.  »

Certes, ces crises sont bien réelles, mais elles ne se superposent pas, car elles sont toutes le résultat d’un même type de développement basé sur un seul objectif, le profit pour les actionnaires, le plus possible, le plus vite possible  ; ce qui implique exploitation et aliénation du plus grand nombre possible et extraction maximum des ressources de la planète sans retenue et sans se soucier des conséquences. La croissance est toujours évoquée comme seule solution aux crises sociales, elle est nécessaire pour diminuer les inégalités, car nous dit-on pour redistribuer il faut bien produire[8]. «  Après moi le déluge  » comme aurait dit Louis XV. Dans ces conditions, la décroissance apparaît comme un chiffon rouge qu’on agite devant le peuple, un leurre pour continuer comme avant. Vue ainsi la décroissance relève de l’incantation ou de la pensée magique et reste un slogan provocateur.

Le GIEC, l’IBPES, le HCC, l’autorité environnementale… les institutions

Tous les rapports, toutes les études nous avertissent sur l’urgence d’agir et de diminuer les rejets de gaz à effet de serre, nous invitent à préserver la biodiversité et mettent en cause l’activité humaine à l’origine des dégradations de l’environnement qui remet en cause les conditions de vie de l’espèce humaine sur Terre si nous poursuivons la trajectoire actuelle malgré tous ces avertissements. Il est évident que si nous prenons au sérieux ces rapports et avertissements (ce que nous faisons à ReSPUBLICA), l’urgence d’agir implique certes la mise en œuvre d’une série de mesures largement décrites dans les propositions des associations, de la Convention Macron sur le climat, et même dans les programmes de partis politiques et plans, lois et réglementions sur le climat adoptés au plan européen, national ou local  ; chaque niveau institutionnel se revendiquant comme essentiel et indispensable dans cette lutte. Alors pourquoi sommes-nous toujours en retard sur les réalisations des objectifs définis et formellement acceptés, pourquoi les évolutions du climat vont plus vite que les dispositions que les pouvoirs publics et la majorité des individus disent vouloir mettre en œuvre, alors que la conscience de l’urgence est vive dans les populations  ? Il ne suffit pas d’aligner une liste à la Prévert déclinée sectoriellement pour faire une politique écologique, il ne suffit pas de positions dogmatiques sur l’énergie renouvelable versus nucléaire, ou d’appeler à la sobriété pour faire une politique énergétique (voir à ce sujet nos deux articles : https://www.gaucherepublicaine.org/... et https://www.gaucherepublicaine.org/...).

Tant que les inégalités sociales, économiques, environnementales ne seront pas au cœur des questions écologiques  ; tant que la publicité incitera à consommer des produits dont nous n’avons pas forcément besoin  ; tant que la spéculation sur les matières premières sera à la base de l’économie et aujourd’hui facteur d’inflation  ; tant que la spéculation financière sera au cœur de l’économie et des bénéfices des consortiums multinationaux  ; tant que les moyens de production seront la propriété d’une minorité, propriété qui justifie l’accaparement de la valeur ajoutée  ; tant que le modèle de réussite sociale sera celui de ces grands patrons et que leur mode de vie sera donné en modèle par les médias, la littérature pour une grande part et les enseignements dans les écoles notamment de management  ; tant que l’on fera rêver les populations avec des voyages dans l’espace  ; tant que le gaspillage des ressources sera source de profits exorbitants et faciles  ; tant que les services publics, l’école, la recherche, la santé, l’énergie qui est à la base du développement de toutes les sociétés, seront sources de profits accaparés par une oligarchie  ; tant que les solutions préconisées seront une sorte de fuite en avant comme la voiture électrique  ; tant que les classes dominantes prêcheront que la technologie seule permettra de résoudre les crises écologiques qui se profilent  ; tant que les multinationales avec l’appui des gouvernements détruiront les habitats des autres espèces vivantes pour réaliser toujours plus de profits  ; bref tant que l’économie et les institutions seront au service d’une minorité oligarchique au plan mondial, national ou local, la lutte contre les dérèglements climatiques se résumera en dernier ressort à une adaptation de ce système prédateur, il ne sera pas possible de bâtir une société qui habitera cette planète sans détruire les équilibres écologiques qui la rende vivable pour les humains et les autres espèces vivantes.

Il ne faut pas sous-estimer les capacités d’adaptation et d’imagination de la classe bourgeoise pour préserver ses acquis, sa position sociale et les privilèges qu’ils lui procurent. Il devient de plus en plus évident que la mesure la plus urgente du point de vue écologique et environnemental est la justice sociale et économique, la réduction drastique des inégalités. C’est ce que disaient en fait les «  gilets jaunes  »  ; c’est ce que ne veulent pas comprendre les gouvernements et institutions. C’est ce que la bourgeoisie en tant que classe se refuse de prendre en compte et combattra de toutes ses forces par tous les moyens possibles et la propagande, l’utilisation des mots en font partie. La lutte contre les dérèglements climatiques, la perte de la biodiversité relève bien de la lutte des classes et ne se résoudra pas par une addition de problèmes dits sociétaux même s’il ne faut pas les négliger, ils relèvent aussi de la lutte de classe.

Dans son 6e rapport d’évaluation sur le climat publié au printemps 2022, le GIEC[9] rappelle que les dérèglements climatiques sont dus à l’activité humaine. Il souligne l’urgence d’agir pour éviter de dépasser les objectifs des accords de Paris de 2015, soit une augmentation de température moyenne de 1,5° à 2° Celsius maximum et il détaille les conséquences de ces hausses en plusieurs scénarios prévisibles selon le niveau de hausse des températures. Nous renvoyons les lecteurs de ReSPUBLICA à l’article que nous avons consacré à ce rapport en son temps (https://www.gaucherepublicaine.org/..., https://www.gaucherepublicaine.org/...).

L’IBPES[10] vient de publier le résumé de son rapport «  des services De l’évaluation mondiale de la Biodiversité et des services écosystémiques  » à l’intention des décideurs. L’IBPES est l’équivalent du GIEC pour la biodiversité. Sa création est plus récente que celle du GIEC et ses travaux moins connus et moins médiatisés, pourtant ils n’en sont pas moins essentiels pour comprendre les évolutions des conditions de vie sur cette planète et les actions à entreprendre.

Ce rapport décrit l’évolution du vivant dans la planète en raison des «  activités humaines  ». Climat, biodiversité, activités humaines sont en interactivité, l’analyse de nos modes de production économiques, culturels, sociaux ne peut se détacher des travaux conjoints de ces deux organismes dans la mesure où les évolutions climatiques et la dégradation de la biodiversité sont d’origine anthropique. L’approche de la nature (de la biosphère) que nous avons est donc fondamentale pour l’avenir des conditions de vie aussi bien pour les générations actuelles que futures. Dès le début du rapport, l’IBPES rappelle à quel point nous sommes dépendants de la nature (quelle que soit la définition que nous lui donnions) : «  La biosphère, dont l’humanité tout entière dépend, est altérée dans une mesure inégalée à toutes les échelles spatiales. La biodiversité — la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes s’appauvrit plus rapidement que jamais dans l’histoire de l’humanité.  »

Les activés économiques ont des conséquences souvent contradictoires, voire antinomiques vis-à-vis de la nature. Si elles enrichissent les sociétés à court terme, elles dégradent à moyen et long terme amputant ainsi le potentiel y compris économique de l’humanité, ainsi que le souligne le rapport : «  Depuis 1970, la production a augmenté dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des bioénergies et des industries extractives tandis que 14 catégories de contributions parmi les 18 analysées ont décliné, pour l’essentiel, les fonctions de régulation et les apports autres que matériels. La production agricole a presque triplé en valeur depuis 1970 (atteignant 2 600 milliards de dollars en 2016) et la production de bois brut a augmenté de 45 % pour atteindre quelque 4 milliards de mètres cubes en 2017, permettant au secteur forestier d’employer près de 13,2 millions de personnes. Cependant, les indicateurs des contributions associées à la régulation des écosystèmes, tels que le carbone organique des sols ou la diversité des pollinisateurs, ont décliné, ce qui indique que la hausse des contributions matérielles n’est souvent pas viable à long terme. La dégradation des terres a, par exemple, entraîné une réduction de la productivité agricole sur 23 % de la surface terrestre et des déficits de récolte d’une valeur comprise entre 235 et 577 milliards de dollars risquent de survenir chaque année par suite de la disparition de pollinisateurs. De surcroît, la perte d’habitats côtiers et de récifs coralliens diminue la protection du littoral, qui est ainsi davantage exposé aux inondations et aux ouragans, posant des risques accrus pour la vie et la propriété des 100 à 300 millions de personnes qui vivent dans des zones côtières inondables selon le niveau de crue centennale.  » Au final cela se traduit par des dégradations souvent irrémédiables avec une accélération. En cinquante ans, un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction, les populations de vertébrés ont décliné en moyenne de 68 %. Au total, 75 % des surfaces terrestres sont altérées, 85 % des zones humides ont été détruites, 66 % des océans subissent des incidences cumulatives de plus en plus importantes, dues à «  l’activité humaine  » (plus exactement à la surexploitation, la recherche de rendements toujours plus grands en utilisant des techniques dites modernes, la déforestation, etc., car il y a des pratiques humaines respectueuses des sols).

L’IBPES conclut le chapitre «  Principaux messages  » par :

«  L’évolution des systèmes financiers et économiques mondiaux en vue de la création d’une économie mondiale durable s’écartant de l’actuel paradigme, limité, de la croissance économique est un élément incontournable du développement durable. Cela implique d’intégrer la réduction des inégalités aux voies de développement, de réduire la surconsommation et le gaspillage et de lutter contre les impacts environnementaux, tels que les aspects externes des activités économiques, du niveau local au niveau mondial.  »

Le rapport souligne l’importance des interactions entre la nature et l’humanité, alors que très peu d’études se sont penchées sur ces liens pourtant essentiels. L’humanité n’a jamais autant puisé dans les ressources de la planète ni produit autant de déchets. Pour autant, à l’échelle mondiale, le changement d’utilisation des terres est le facteur direct qui a le plus fort impact relatif sur les écosystèmes terrestres et d’eau douce, tandis que l’exploitation directe des poissons et des fruits de mer a le plus grand impact relatif sur les océans. Il en résulte une utilisation non durable des ressources de la planète «  sous tendue  » par un ensemble de facteurs démographiques (la population mondiale a quasi doublé en cinquante ans, passant depuis 1970 de 3,7 milliards d’individus à 7,6 milliards), économiques et commerciaux qui s’étendent toujours plus. «  Des régions comme le Groenland, la toundra, la taïga qui n’étaient guère menacées par l’homme jusqu’à présent sont concernées par le changement climatique  », nous dit l’IBPES.

Si quelques mesures prises sous la pression de la société civile, et si de nombreuses initiatives locales toujours initiées par la société civile visent à infléchir les modes de production et de consommation et les prélèvements sur la nature, la logique du système capitaliste est toujours ultra-dominante, subventions aux industries extractives, transferts financiers et crédits subventionnés vers l’industrie productiviste, dégrèvement fiscal en leur faveur, pression sur les salaires des travailleurs, prix masquant les coûts environnementaux pour les produits de base et les biens industriels, spéculation sur toutes les ressources naturelles, alimentation comprise, sont toujours les pratiques courantes, développées et enseignées partout.

Ce n’est pas avec une sobriété heureuse, choisie et planifiée que le colibri renversera la tendance. Il convient de regarder l’ampleur de la question à un autre niveau. C’est tout le système qu’il faut revoir (renverser). Pour cela une approche laïque (c’est-à-dire exempte autant que possible de tout dogmatisme) du réel doit prévaloir. Il s’agit de faire réellement de la politique et non de lancer des slogans sans contenu, de s’auto-déclarer écologiste pour l’être et proposer une politique adéquate.

Le HCC[11] a intitulé le résumé exécutif de son rapport 2022 : «  Dépasser les constats-Mettre en œuvre les solutions  ». Il commence aussi par la responsabilité humaine au réchauffement climatique : «  Les impacts du changement climatique dus à l’influence humaine s’aggravent en France comme dans chaque région du monde, avec une intensification d’effets chroniques et aigus, et des conséquences humaines, matérielles et financières importantes. La réponse de la France au réchauffement climatique progresse, mais reste insuffisante et les politiques d’adaptation souffrent d’un manque d’objectifs stratégiques, de moyens et de suivi.  »  ; et il fait le constat que dans les trois quarts des secteurs les mesures prises ne permettent d’atteindre ni les objectifs pour la France qui découlent de l’accord de Paris, ni les objectifs qu’elle s’est fixés dans la Stratégie nationale bas carbone révisée (SNCB2). Les objectifs du SNCB sont alignés sur les objectifs définis en commun dans les instances de l’Union européenne qui ont été relevés pour atteindre une diminution des rejets de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Le HCC en déduit que : «  La loi européenne sur le climat et le paquet “Ajustement à l’objectif 55”, en cours de discussion, imposent une accélération sans précédent de la baisse des émissions dans tous les secteurs  ». Cependant, la présidente du HCC, Corinne Le Quéré estime selon Le Monde, que : «  Les mesures mises en place aujourd’hui ne suffisent pas à nous mettre sur la bonne trajectoire  ». Certes, le nouveau gouvernement a pris des dispositions pour théoriquement pallier au manque de stratégie sur l’écologie. «  La gouvernance climatique est désormais sous la responsabilité du Premier ministre qui doit piloter sa déclinaison pour chaque ministère et sa mise en œuvre interministérielle et à l’échelle des territoires, en lien avec la nouvelle stratégie française climatique (SFEC)[12] et en intégrant l’adaptation.  » Un Secrétariat général du gouvernement vient d’être créé à cet effet. Il ne faut préjuger de rien, mais de quels moyens disposera ce «  Secrétariat général pour la planification écologique  » et quels seront son fonctionnement et sa pratique[13]  ? Le nouveau secrétariat aura-t-il les moyens et la capacité d’impulser une politique globale sur l’écologie, de faire en sorte que tous les ministères intègrent pleinement les questions climatiques et écologiques qui touchent tous les aspects de la politique dans leurs politiques publiques et leur pratique quotidienne  ?

Enfin pour conclure ce chapitre, il convient de prendre conscience que depuis une bonne quarantaine d’années, entre la décentralisation jacobine, la loi organique relative aux lois des finances (LOLF), les méthodes modernes de gestion puis le new-public management, la révision générale des politiques publiques (RGPP,) la modernisation de l’administration publique (MAP), l’administration électronique et la numérisation à outrance des administrations, la loi de réforme de la fonction publique, les diminutions de personnels et de moyens techniques, la création d’agences dites indépendantes qui travaillent en silo et doublent les administrations classiques (plus de 1250 agences), le recours systématique à des bureaux de consultants tous plus ou moins incompétents, toute l’administration du pays, à tous les niveaux territoriaux a été déstructurée, dé-professionnalisée. Notre pays n’a pas (n’a plus) l’administration compétente capable de faire face aux défis climatiques, écologiques et environnementaux. Comme pour l’ensemble des services publics il y a urgence à ouvrir une nouvelle ère administrative (lire à ce sujet notre article https://www.gaucherepublicaine.org/...).

Les dérèglements climatiques à cause du cerveau humain Après l’hypothèse Gaïa et la terre mère, être vivant qu’il faut protéger et à qui il faut donner des droits opposables, voici la théorie de l’humanité comme considérée comme un «  être (ensemble) vivant  » psychopathe, dépourvu de «  cortex frontal  », donc incapable d’empathie envers la planète, ce qui explique toutes les destructions environnementales et climatiques que nous (les humains) lui faisons subir. Les huit milliards d’individus sont pris comme «  un essaim humain  », être vivant autonome.

Deux auteurs viennent de publier deux livres[14] au début de cette année 2022 et y développent cette thèse. Ils soutiennent que notre «  cerveau n’est pas programmé pour s’autonomiser  » et que «  Nous, les humains, sommes une espèce invasive d’une grande île qui s’appelle la Terre. Or, l’évolution qui nous a aussi programmés[15] pour croître est aveugle : elle ignore la finitude de la planète. D’où cette aporie : croître indéfiniment dans un monde fini. Heureusement, nous avons des connaissances et une conscience de ces limites. Nous sommes ainsi soumis à deux tensions contradictoires : celle issue de forces évolutives archaïques nous incitant à croître et celle issue de la partie la plus évoluée de notre cerveau nous enjoignant de prendre en compte les limites de la planète. Notre avenir sur Terre dépendra de l’issue de ce conflit  »[16]. Autrement dit, plus de conflits sociaux, plus d’intérêts contradictoires entre classes sociales, ni entre pays, plus de politique ni de géopolitique tout va dépendre du conflit interne au cerveau de chacun, les archaïques d’un côté qui céderont à la partie la plus archaïque de leur cerveau (comment, pour quoi, sans doute en raison de la programmation par l’évolution [sic] de leur cerveau) et ceux qui seront capables (toujours grâce à une programmation plus moderne sans doute, toujours par l’évolution) de choisir la bonne solution pour prendre en compte les limites de la planète (re sic). Une vision bien mécaniste du cerveau humain assimilé à une machine programmée (ce qui laisse entendre un objectif initial, une sorte de «  dessein intelligent  »), assimilation courante dans cette période par commodité langagière et paresse intellectuelle souvent, mais pas seulement et qui a des conséquences sur la façon de voir nos sociétés et leur évolution. Régression par rapport aux Lumières, approche scientiste des sciences cognitives, bien loin de la formule de Rabelais «  sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme  ». Nous sommes également à l’opposé de la conception darwinienne de l’évolution.

Pour soutenir sa thèse, Sébastien Bohler décrit sa méthode de travail page 25 de son livre : « Ce livre postule[17] que l’humanité est une entité qui se développe, qui agit et qui “pense” de manière autonome  ». S’agissant d’un postulat[18] par définition non démontré, la suite du raisonnement selon les principes de la géométrie devrait aboutir à une démonstration, or c’est loin d’être le cas et les postulats s’enchaînent. En effet S. Bohler poursuit «  Son fonctionnement est potentiellement très différent de celui des individus humains  » (nouvelle affirmation péremptoire).

«  La question est de savoir comment. Pour y arriver, nous devons nous efforcer de considérer cet objet d’un point de vue extérieur, comme un entomologiste observerait les déplacements de la fourmilière et son action sur son environnement. Quelles sont les motivations de cette chose  ? Comment agit-elle, que ressent-elle  ?  », après la machine, la comparaison avec une fourmilière, un animal certes social, mais somme toute assez différent de l’homme  ; pourquoi pas les marmottes qui sont aussi des animaux sociaux avec des comportements encore différents  ? La référence à un entomologiste a pour but de laisser à penser que la démarche a un caractère scientifique  ; ce qui est loin d’être le cas. Un entomologiste conséquent décrirait certes le comportement des fourmis et essaierait de saisir leur organisation sociale, ses observations l’amèneraient sans doute à conclure que chaque espèce de fourmis a sa propre organisation et que toute généralisation est abusive même si des caractéristiques communes se retrouvent dans chaque société.

Puis il poursuit : «  J’ai donc postulé (encore un postulat indémontrable) que l’humanité possède un psychisme. Qu’elle a des émotions, un langage, une vie mentale et déploie un certain nombre de comportements qui lui sont propres. Que, même si elle est immense et éparse, elle fonctionne comme un être à part entière qui poursuit délibérément ses propres intérêts  ». Avec de tels postulats de départ qui comprennent les conclusions de ce qu’on veut démontrer, tous les arguments utilisés tendent vers la confirmation du (des) postulat. L’utilisation des «  sciences cognitives  » donne un caractère scientifique et sérieux aux argumentations.

Donc «  Analyser un tel être relève d’une démarche de clinicien. Selon cette démarche, j’ai passé au crible les quatre aspects que l’on peut observer et tester chez un patient : son langage, sa cognition (sa vie mentale), ses émotions et son comportement. C’est en suivant ce procédé que j’ai vu émerger quatre grandes caractéristiques qui définissent la structure psychique fondamentale de l’humanité. Et cette structure va conditionner tous nos rapports avec la planète et le vivant.  » Et, après examen de ces quatre «  aspects  », «  ce que dessine sous nos yeux ce tableau clinique, c’est le portrait exact d’un psychopathe  ».

Notre cerveau, sous l’influence d’une partie de cortex orbitofrontal, le striatum, agit comme un drogué : «  Dans notre cerveau profond, des cellules nerveuses localisées dans notre striatum sont programmées (encore) pour la croissance. On leur donne un bout de sucre, une information, du statut social… elles régissent en libérant de la dopamine, génératrice de plaisir. Puis, très vite, se lassent. Le seul moyen de les forcer à donner de nouveau de la dopamine, c’est d’augmenter les doses. Il y a un principe de croissance neurochimique dans notre cerveau, et nous avons construit un monde social, économique, financier, technique, fondé sur la croissance pour alimenter ce principe.  »[19] Et voilà pourquoi toutes luttes sociales, toutes références à des intérêts de classe sont superflues. Marx a tout faux, ce n’est pas la lutte des classes qui est le moteur de l’histoire, mais la dopamine  ! Le « superorganisme  » que constitue l’humanité est psychopathe, car il n’a pas de cortex frontal, donc pas de striatum contrairement aux individus pris séparément, ce qui le rend indifférent à la nature, aux autres vivants, à la planète, comme un psychopathe est indifférent aux souffrances qu’il inflige à ses victimes.

Nous sommes donc vraiment mal partis, car individuellement notre striatum nous incite à toujours plus et collectivement nous sommes indifférents et détruisons la planète. La conclusion logique de ce dilemme Sébastien Bohler nous la livre en fin d’ouvrage : « Démonter le complexe de supériorité de l’humanité suppose d’écrire la vérité, à savoir que l’humanité n’est pas l’espèce la plus merveilleuse de la planète, mais la pire  », «  L’humanité est une plaie pour la planète  » et donc, «  Scientifiquement, c’est simple : l’humanité est indéfendable  » en raison «  de sa prétendue supériorité intellectuelle  ». Noter bien le « scientifiquement  ».

Cette thèse vient s’ajouter dans le débat sur l’écologie à de nombreuses autres dont la sobriété, la frugalité, la résilience, Gaïa et la terre mère qui toutes prétendent responsabiliser chaque individu sur les dérèglements climatiques, les pertes accélérées de biodiversité, la nécessité d’agir (vite) par des gestes quotidiens sans jamais examiner ni remettre en cause les rapports de classes, en les passant sous silence voire les niant. Elle est apparue dans les débats idéologiques suffisamment intéressante pour la bourgeoisie pour que «  les chiens de garde  » du capitalisme s’en emparent, Le Monde y a consacré quatre pages, des médias et radios tels France culture y ont consacré plusieurs émissions.

Les solutions envisagées par les «  sobriétistes  », les décroissants, ou les tenants du striatum et de la dopamine. Les propositions de tous ces «  travaux  » et de tous ces réseaux remettent en cause la démocratie sans jamais remettre en cause les fondements du système économique et social qui a abouti à la situation que décrivent le GIEC et le l’IBPES. Il s’agit toujours de contraintes pour les peuples afin de dégager des solutions qui maintiennent le système capitaliste en place en le transformant à la marge au besoin, préservant les situations sociales et de richesses de la bourgeoisie, comme s’il n’est même pas envisageable de le supplanter. Tous proposent des systèmes de «  gouvernance  » technocratiques, surplombant les institutions et les élections afin que celles-ci ne puissent pas remettre en cause les processus de contraintes, en réclamant des régimes autoritaires et le contrôle des sociétés et des individus par des algorithmes.

Sébastien Bohler prévient dans son interview du Monde du 5 juin : «  Préserver la planète aura une dimension nécessairement liberticide  ». «  Nous savons aujourd’hui quantifier les limites de la planète. Sachant que nous sommes à peu près 8 milliards, la logique serait que chaque humain ne puisse consommer au-delà de ce qu’une répartition équitable permet d’accorder à chacun afin de ne pas transgresser ces limites  »  ; et il met en avant l’idée de «  note de citoyenneté  », «  l’idée de note de citoyenneté m’a été inspirée par l’exemple de la Chine, mais elle est inconcevable pour nos sociétés libérales occidentales. Elle passe par l’observation des comportements des uns et des autres dans la façon de respecter les règles sociales, puis par l’accès à des droits en fonction d’une note obtenue sur de bons comportements  ». Sommes-nous sûrs qu’une telle solution «  est inconcevable pour nos sociétés libérales occidentales  » quand les évolutions de toutes ces sociétés occidentales tendent vers des régimes, certes conservant l’apparence de la démocratie, mais restreignant partout les libertés individuelles et collectives, quand pouvoirs publics et multinationales du numérique, chacun pour soi et en complicité et complémentarité, emmagasinent des milliers de données sur chaque individu et interagissent déjà sur nos comportements. Sébastien Bohler ajoute : «  Une telle proposition conduit à une véritable révolution anthropologique qui ne paraît utopique qu’en raison de notre accoutumance à un modèle de société pourtant sans avenir  », accoutumance qui peut donc se modifier, qui est en cours de modification, mais pas forcément dans l’intérêt des peuples.

Plusieurs propositions[20] consistent à donner des quotas «  carbone  » ou «  carbone/matière » à chaque personne, à mettre en place «  une comptabilité matière/énergie  », avec possibilité d’un marché de ces quotas. En clair, ces propositions consistent à mettre en place des quotas individuels de carbone, avec réduction de 5 à 6 % par an pendant 30 ans, avec une «  bourse carbone  » pour échanger des parts de carbone, créant ainsi «  une deuxième monnaie carbone  », afin de passer de 11 000 tonnes de carbone émises par chaque Français en 2019 à 2000 tonnes en 2050 pour obtenir la neutralité carbone, objectif fixé arbitrairement par les instances communautaires. Les restrictions de la demande se feraient automatiquement chaque année «  sous la responsabilité des citoyens, la seule possible face aux urgences sur le climat  », mais avec une «  gouvernance  » technocratique européenne, afin d’éviter que les alternances politiques puissent remettre en cause le processus. La neutralité carbone atteinte, les restrictions et les quotas devront subsister pour que les rejets ne repartent pas à la hausse.

Certes, l’attribution de quotas individuels règle en apparence les inégalités de rejets de C02. Par exemple pour ne s’en tenir qu’aux rejets de CO2, donc à l’utilisation de l’énergie, d’après Thomas Piketty (Le Monde du dimanche 14-lundi 15 novembre 2021), «  En France, 50 % les plus pauvres ont une empreinte carbone d’à peine 5 tonnes par habitant[21], contre 25 tonnes pour les 10 % les plus riches et 79 tonnes pour les 1 % les plus riches  »  ; autrement dit les 1 % les plus riches – soit 670 000 personnes – ont une empreinte carbone seize fois plus forte que les plus pauvres, soit l’équivalent de 670 000 x16 = 10 720 000 pauvres. Créer un marché de ces quotas, c’est permettre aux classes dominantes d’acheter aux pauvres des parts de quotas, de maintenir, voire accentuer les inégalités, c’est introduire les fraudes et toutes les dérives délictueuses qu’induit inévitablement tout marché. La diminution de 5 %/an du niveau de quota de chacun par an entraînera un contrôle social quasi total.

De plus et c’est essentiel, se focaliser uniquement sur le climat (les rejets de gaz à effet de serre) ne résout pas tous les problèmes liés au mode de développement dominant. Si nous continuons à détruire les habitats des autres espèces vivantes pour notre propre extension, les pertes de biodiversité (sixième extinction massive de la vie sur terre), les pandémies… perdureront. Si la surexploitation des ressources et leur gaspillage se poursuivent, même sans réchauffement climatique nous courrons à la catastrophe, à la guerre de tous contre tous.

Résumons-nous Alors que la presse reprenant les calculs annuels de l’ONG Global Footprint network et du WWF, annonce le 28 juillet le jour du dépassement, jour où l’humanité a utilisé les ressources pour l’année de la planète, va «  vivre à crédit  » et «  augmenter la dette climatique  » (notions purement comptables), en mettant en avant comme solution quasi magique de manger moins de viande, car l’alimentation prend 55 % de la biodiversité terrestre pour nous nourrir, il n’est pas question de nier la limitation des ressources planétaires, ni l’ampleur des questions qui sont posées à l’humanité en raison du développement d’un système économique et social prédateur, en quête de profits sans limites. Cependant, ce n’est pas «  la sobriété  » prônée à la cantonade, quels que soient les adjectifs qu’on lui accole qui va répondre à la hauteur des enjeux.

La rupture ne peut découler de mesures sectorielles sans cohérence, dans un mode de production et de consommation toujours orienté vers le profit, le lucre, l’enrichissement personnel, avec comme modèle de vie celui des plus riches en incitant par des publicités toujours plus aliénantes à des consommations futiles, voire inutiles. Sans s’attaquer aux sources des inégalités sociales et environnementales, il n’y aura pas de rupture permettant à la fois un respect des limites des ressources de toutes natures de la planète et un développement humain harmonieux.

La rupture ne peut découler de mesures sectorielles sans cohérence, dans un mode de production et de consommation toujours orienté vers le profit, le lucre, l’enrichissement personnel, avec comme modèle de vie celui des plus riches en incitant par des publicités toujours plus aliénantes à des consommations futiles, voire inutiles. Sans s’attaquer aux sources des inégalités sociales et environnementales, il n’y aura pas de rupture permettant à la fois un respect des limites des ressources de toutes natures de la planète et un développement humain harmonieux. La question de la démographie dans un contexte de vieillissement, de déclin dans certaines régions du monde (souvent les plus riches) et de progression dans d’autres (essentiellement l’Afrique) ne peut continuer à être abordée seulement en termes d’immigration vers les régions riches alors que les dérèglements climatiques vont redistribuer les lieux et conditions de vie des populations. Les questions climatiques, de biodiversité, d’environnement, de système économique, de système social, de démographie, de démocratie doivent être appréhendées de façon globale, articulée, interdépendante et pas de façon séparée.

Notre civilisation est confrontée à plusieurs réalités qui sont subsumées par un système économique absurde et destructeur, dont les objectifs ne sont pas de satisfaire les besoins de l’humanité, mais d’assurer le plus de gains possible au capital investi dans toutes les activités humaines, au profit d’une minorité en soumettant l’immense majorité de l’humanité à ses objectifs sous prétexte qu’elle possède les moyens de production (le capital). Il n’est plus question aujourd’hui de nier la pression qu’exerce l’humanité sur les ressources naturelles, mais s’il est possible de nourrir 10 à 12 milliards de personnes, avec quelles conséquences pour la biodiversité, les habitats des autres espèces vivantes, les dérèglements climatiques toujours plus graves  ? Pas plus qu’une croissance infinie n’est possible sur une planète aux ressources limitées la croissance démographique sans limites.

Le mode de vie des Français et des Européens dans leur ensemble exige les ressources de deux planètes, celui des Etats-uniens de quatre. Ces modes de vie issus du système économico-social capitaliste ne sont évidemment pas soutenables à moyen et long terme. Les transformations sont déjà en cours même si les politiques se cachent les yeux pour ne pas voir. La «  disparition des classes moyennes  » dans le monde dit occidental développé mise en avant pour justifier la crise de la démocratie qui les traverse tous, n’est-elle pas aussi, et peut-être d’abord, les conséquences des «  crises  » climatiques, environnementales, de la biodiversité, de la course des puissances capitalistes dominantes aux ressources naturelles et de la manifestation de l’impossibilité d’une croissance illimitée dans un monde aux ressources limitées  ? La «  classe moyenne  » a été laminée partout par les politiques publiques d’austérité mises en œuvre par les instances internationales du FMI, de l’OCDE, des G7et 20, de la Banque mondiale ou des banques centrales et des gouvernements dans leur quasi-totalité à travers le monde. Cette «  disparition  » est d’autant plus brusque et rapide que les classes bourgeoises dominantes réussissent à poursuivre leur enrichissement et maintenir leur position et statut sociaux ainsi que leur pouvoir au détriment conjoint du reste de l’humanité et des ressources naturelles qu’elles continuent à piller. Pour elles, il s’agit de poursuivre le scénario en cours et il est illusoire de croire que la transition écologique est en cours, les conditions d’habitabilité de la planète continuent à se dégrader (voire il y a accélération de cette dégradation). C’est ce que confirment encore les rapports du GIEC et l’IBPES.

Il faut être bien conscient que, contrairement à ce que laissent entendre les charlatans de la science, il n’y a pas d’alternative à notre planète, pas échappatoire vers d’autres horizons planétaires. Alors la sobriété n’est qu’une façon d’annoncer en douceur l’austérité accentuée pour tous, sauf pour les plus riches, la bourgeoisie en tant que classe. Un cache-sexe de l’austérité.

NOTES

[1] «  THE SHIFT PROJECT — Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française  », Avant-propos de Jean-Marc Jancovici, Odile Jacob, février 2022.

[2] Béatrice Madeline, Perrine Mouterde et Adrien Pécout

[3] Le Monde, samedi 9 avril 2022.

[4] Sicco Mansholt (1908-1995), homme d’État néerlandais, résistant durant la Seconde Guerre mondiale, membre du «  parti travailliste (PvdA) fédéraliste européen convaincu, ministre de l’Agriculture puis commissaire européen chargé de l’agriculture du 1er janvier 1958 au 22 mars 1972, date à laquelle il prend la présidence de la Commission européenne, père de la politique agricole commune (PAC).

[5] Lors d’un incendie de forêt, alors que les animaux terrifiés contemplent le désastre, impuissants, le petit colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour conjurer les flammes. «  Colibri, tu n’es pas fou  ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu éteindras le feu  !  », lui dit le tatou. «  Je le sais, mais je fais ma part  », répond le volatile.

[6] Le Monde diplomatique août 2018 : «  Le système Pierre Rabhi — frugalité et marketing  » article de Jean-Baptiste Malet

[7] Le premier numéro de la revue Entropia est paru en novembre 2006, la revue a disparu après la parution du n° 16 en 2015.

[8] Encore Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, déclarait dans ses réponses aux interventions des députés lors du débat sur la loi sur le pouvoir d’achat le 18 juillet dernier : “La vérité économique est qu’il faut créer les richesses avant de les redistribuer”.

[9] GIEC : Groupe d’expert intergouvernemental pour l’évolution du climat.

[10] IBPES : Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité.

[11] HCC : Haut Conseil pour le Climat.

[12] SFEC : Stratégie française énergie climat.

[13] Il existe déjà plusieurs secrétariats du gouvernement, le Secrétariat Général du gouvernement (SGG) chargé de la coordination du fonctionnement du gouvernement, le Secrétariat Général pour les Affaires Européennes (SGAE) chargé de coordonner, arbitrer entre ministères et rédiger les instructions à l’ambassadeur auprès de l’Union européenne. Leur rôle est plus un rôle de coordination que d’impulsion d’une politique commune, y compris pour le SGAE.

[14] Sébastien Bohler HUMA PSYCHO- Comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse de la planète, Bouquins, janvier 2022 et Thierry Ripoll : Pourquoi détruit-on la planète  ? Le cerveau d’Homo sapiens est-il capable de préserver la terre, Le bord de l’eau.

[15] Souligné par nous.

[16] Le Monde Science et Médecine, mercredi 15 juin 2022.

[17] Postuler : «  Demander avec insistance  » selon le Petit Larousse.

[18] Postulat : «  (du lat postulatum, chose demandée). Principe premier qui n’est ni un axiome ni une hypothèse, mais que l’on admet comme vérité pour établir une démonstration en lui conservant son caractère hypothétique parce qu’elle est indémontrable.3 d’après le Petit Larousse.

[19] Interview Le Monde, mercredi 15 juin 2022.

[20] Mesure 4 du livre de Dominique Bourg, Gauthier Chapelle, Johan Chapoutot, Philippe Desbrosses, Xavier Richard Lanata, Pablo Servigne, Sophie Swaton : Retour sur Terre — 35 propositions, PUF, mai 2020 et proposition du réseau en 2021 «  Les assises du climat  » autour de la Fondation pour le progrès de l’homme  » (FPH) étude avec la participation d’institutions telles l’ADEME ou la Commission européenne.

[21] Soit, deux fois et demie le maximum individuel pour la neutralité carbone.


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