Victoire ! L’Organisation internationale du Travail a ajouté le droit à un environnement sûr et salubre à la liste des principes et droits fondamentaux au travail.
Invisibilisée ou dépréciée pendant plus d’un siècle, il aura fallu attendre la pandémie de la Covid19 et ses conséquences désastreuses pour faire avancer au niveau international la cause de la santé et de la sécurité au travail. Au temps des « direct live » et autres « stories » sur les réseaux sociaux, les travailleurs et travailleuses, notamment du secteur de la santé, ont réussi le coup de force, de rendre visible l’invisible. Les images des personnels soignants en première ligne dans les hôpitaux, sans masque, avec des sacs poubelle en guise de blouse ont en effet choqué l’opinion publique. Ils seront, selon l’OMS, plus de 115 000 professionnels de la santé à décéder du Covid entre janvier 2020 et mai 2021. Malheureusement ce que beaucoup ont découvert avec la Covid n’est qu’une infime partie de la totalité des risques auxquels font face au quotidien les travailleurs et travailleuses dans des établissements publics ou privés, industriels, commerciaux, administratifs, sur les chantiers ou dans les champs, sur les infrastructures routières ou portuaires.
Ce sont au total plus de 360 millions d’accidents du travail recensés chaque année dans le monde et plus de 3 millions de personnes qui meurent des conséquences de ces accidents ou de maladies y étant directement liées. Des chiffres alarmants et pourtant encore en dessous de la réalité du terrain considérant que 60% des travailleurs sont dans le secteur informel par conséquent sous les radars des recensements nationaux. Les risques au travail sont en effet nombreux. Ils peuvent être liés à l’équipement (véhicule, machine), aux substances toxiques (produits chimiques, biologiques, amiante), aux méthodes de travail (travail en hauteur, gestes répétitifs), à l’énergie utilisée (air compressé, hydraulique, nucléaire) ou à l’organisation du travail (travail de nuit, extérieur, isolé), il est difficile d’en établir une liste exhaustive tant les situations dans le monde du travail sont diverses. Par ailleurs, la tertiarisation de l’économie quant à elle ajoute aussi de nouvelles contraintes psychologiques qui se substituent progressivement aux astreintes physiques traditionnelles mais dont les maladies en résultant ne sont toujours pas reconnues.
Dans ce contexte, la décision des représentants des 187 États membres de l’Organisation internationale du Travail (OIT) d’adopter le 10 juin 2022 lors de leur Conférence annuelle une résolution élevant au rang de droit fondamental le principe d’un « milieu de travail sûr et salubre » est une excellente nouvelle et une grande victoire pour les travailleuses et les travailleurs du monde entier, qui n’avaient pas obtenu une telle avancée dans leurs droits fondamentaux depuis un quart de siècle. Jusqu’à présent, il existait uniquement 4 grands principes dits fondamentaux au travail : la liberté de former des syndicats et la reconnaissance du droit de négociation collective ; l’élimination du travail forcé ou obligatoire ; l’abolition du travail des enfants et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Une décision importante car les gouvernements peinent à prendre les mesures adéquates pour garantir un environnement de travail sain et sûr pour toutes et tous. Et cela n’est pas faute de normes existant déjà en la matière : de nombreux textes de l’OMS ou de l’OIT ont déjà été adoptés à ce sujet. Appliqués, ils permettraient de réduire considérablement les décès, blessures et maladies professionnelles des travailleuses et des travailleurs. Nombre de ces normes manquent encore d’effets contraignants, soit par un manque de surveillance et de contraintes pesant sur les États qui se sont engagés à les respecter, soit car certains États décident simplement de ne pas se soumettre à celles-ci. En effet, à l’issue des négociations visant à adopter des conventions internationales, il est fréquent que certains d’entre eux ne les signent pas lorsque le résultat final entre en trop grande contradiction avec leurs intérêts. Ou alors, puisqu’il faut que les conventions soient signées puis ratifiées (c’est-à-dire adoptées par les organes politiques nationaux compétents), beaucoup d’États se contentent d’un engagement de principe par la signature, sans qu’il n’y ait de ratification ensuite. Pour que les États membres de l’OIT soient juridiquement obligés de garantir le droit à la santé et à la sécurité au travail, il était efficace d’en passer par la modification de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et aux droits fondamentaux. La 110e Conférence internationale du Travail (CIT) a ainsi rendu obligatoire ce droit à tous les membres de l’OIT par l’inscription de ce dernier dans ce texte, lequel s’applique à tous les États membres, qu’ils aient ou non ratifiées les conventions en la matière. Les conventions 155 et 187 ont été également élevées au rang fondamental puisqu’elles viennent préciser les contours de ce nouveau droit fondamental.
L’élévation de la santé et de la sécurité au travail en droit fondamental est un véritable atout juridique pour les organisations syndicales qui pourront, dès l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, s’appuyer sur ce principe pour défendre les meilleures conditions de travail face à leurs employeurs ou pour contraindre les États à faire respecter ce droit. Ce levier considérable devra en outre être largement accompagné d’une démarche d’encouragement des législateurs et des exécutifs nationaux afin qu’ils rendent effectif ce droit pour chacune et chacun. Lois, décrets, mais aussi intervention auprès des entreprises pour obliger à modifier plus favorablement les conventions collectives. Le patronat doit aussi prendre sa part, en particulier en fournissant une couverture universelle aux travailleuses et aux travailleurs afin de protéger leur santé et afin d’améliorer leur sécurité au travail. Si le chemin à parcourir reste long, cette victoire nous montre toutefois que la lutte finit par payer !
La mobilisation ne doit pas faiblir sur le droit à un environnement sain et sûr ainsi que sur l’ensemble des droits au travail car comme le mentionnait l’OIT dans sa Constitution de 1919, la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger par des conditions de travail indignes et la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays. En s’opposant au système néolibéral de compétition généralisée, il est temps d’avancer uni autour de ces enjeux clés du monde du travail. Au quatre coin du monde, les travailleurs et travailleuses sont concernés par la santé et la sécurité au travail, ceci offre une possibilité unique de faire converger nos luttes mondialement : faisons-le !
Marina Mesure
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