Rencontre avec Luigi de Magistris, le Mélenchon Italien

dimanche 17 juillet 2022.
 

Alors que la gauche italienne fut l’une des plus brillantes et puissantes d’Europe, elle a petit à petit disparue de la représentation parlementaire du pays.

Lors des élections générales de 2018, 5 formations politiques du centre à l’extrême droite ont obtenu l’essentiel des député.es (600 sur 630) : le mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio totalisait 228 député.es, l’extrême droite 157 (125 pour la ligue du Nord de Matteo Salvini, 32 pour les frères d’Italie), le centre du Parti Démocrate 111, et la droite Forza Italia de Silvio Berlusconi 104.

Depuis, la ligue du Nord et le mouvement 5 étoiles connaissent une chute de popularité, au profit d’un autre mouvement d’extrême droite "Les frères d’Italie ", héritier du Mouvement Social Italien (MSI), un parti fasciste dont le logo (la flamme tricolore) avait inspiré Jean-Marie Le Pen lors de la fondation du Front National.

L’issue des élections générales qui auront lieu en juin 2023 pour toute l’Italie est plus qu’incertaine. Le Parti Démocrate et les frères d’Italie se retrouvant au coude à coude autour de 20% selon les enquêtes d’opinion, pendant que la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles continuent de s’effondrer sous la barre des 15%.

Dans ce contexte, l’enjeu pour la gauche italienne est de parvenir à faire élire des parlementaires - sur le modèle de ce qu’a pu faire la France Insoumise – pour pouvoir porter une voix populaire écologique et sociale au Parlement, s’adresser au pays et gagner en crédibilité pour proposer une alternative capable de gouverner l’Italie.

Qui est De Magistris le renouveau de la gauche italienne ?

Ancien magistrat italien, connu pour sa lutte contre la mafia et la corruption, Luigi de Magistris s’est engagé en politique en 2009. Il est alors élu député européen. En 2011, il devient maire de Naples, la 3éme ville du pays.

Reconnu pour avoir mis fin à la crise des déchets à Naples, il a mené durant ses deux mandats de 2011 à 2021, une politique de relance de l’activité touristique tout en développant les services publics ainsi que des projets sociaux et culturels. Maire populaire, il est réélu en 2015 avec la liste "Naples en commun à gauche " recueillant 42,82% des voix au premier tour, puis 66,85% au second.

En 2021, il conduit la liste "Démocratie et autonomie " aux élections régionales de 2021 en Calabre et recueille à la surprise générale un score de 16,17% des voix.

Nous avons rencontré Luigi de Magistris dans les locaux de son mouvement à Naples. S’inspirant de la NUPES et de la stratégie de l’Union Populaire, l’homme de 54 ans travaille actuellement avec le mouvement de gauche Potere al Popolo à la construction d’une « coalition populaire d’esprit pacifiste, environnementaliste et constitutionnel » pour les élections générales de juin 2023. Un premier rendez-vous aura ainsi lieu le samedi 9 juillet 2022 à Rome pour lancer cette nouvelle union populaire italienne.

Anthony Brondel : Certains observateurs disent que la gauche a disparu en Italie, qu’en pensez-vous ?

Luigi de Magistris : En réalité ce que nous avons autrefois qualifié de gauche en Italie ou en Europe ne l’est plus. C’est le cas du Parti Démocratique en Italie que l’on qualifie encore dans les médias de centre gauche, mais qui a tourné le dos aux aspirations populaires et qui par conséquent n’a plus rien de gauche.

Ici le mot gauche a été totalement vidé de sa substance puisqu’il est assimilé au Parti Démocratique qui a mené une politique de droite. Il existe des petits partis de gauche en Italie qui se référent à la faucille et au marteau et qui vont présenter des candidatures de témoignages. Ils ne sont pas dans une stratégie à dimension majoritaire contrairement à nous, qui nous mettons dans la perspective de gouverner le pays.

Mais il ne serait pas juste de dire qu’il n’y a plus de gauche en Italie. Elle existe au sein de la société civile, à travers les idées qui sont partagées par un grand nombre de nos compatriotes, mais elles ne trouvent pas encore de débouché politique institutionnel

Il existe des expériences de politiques de gauche organisées au sein du milieu associatif ou dans certaines collectivités, comme à Naples. Ces radicalités concrètes ont été mises en place à une petite échelle. Cela manque encore de crédibilité pour une mise en place à l’échelle du pays.

A.B. : Avant de commencer cet entretien, vous m’avez dit vouloir vous inspirer de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. Quelle leçon vous tirez sa campagne de 2022 ?

L.D.M. : Nous avons suivi les élections présidentielles en France, et les travaux de la France Insoumise en général depuis 2017. Nous pensons que le message de radicalité proposé par Jean-Luc Mélenchon correspond au moment politique dans lequel nous sommes. Cette radicalité parle plus aux gens que le discours de la gauche traditionnelle.

Ce qui me plaît chez Mélenchon c’est qu’il a su adapter son discours pour s’adresser directement au peuple, bien au-delà de la gauche traditionnelle, en s’adressant notamment à la jeunesse.

Nous partageons les orientations programmatiques de Jean-Luc Mélenchon, sur les questions telles que la justice sociale, la hausse des salaires, une meilleure répartition des richesses, la bifurcation écologique ou encore le pacifisme.

Ce qui nous manque par rapport à la France Insoumise, c’est plus d’organisation. Nous avons un leader, des gens qui sont avec nous, crédibles, incorruptibles et qui travaillent sérieusement, mais nous n’avons pas de structure suffisamment forte comme peut l’être la France Insoumise.

Pour pouvoir se présenter aux élections générales italiennes nous devons recueillir environs 80 000 parrainages citoyens. Cela suppose de pouvoir s’appuyer sur une organisation structurée sur l’ensemble du territoire. Ce sera là l’un de nos objectifs de ces prochains mois.

A B. : Comment rassembler au-delà de la gauche traditionnelle ?

L.D.M. : Quand j’étais maire de Naples, j’ai parlé des problèmes concrets des gens, sans utiliser les symboles ou la rhétorique de la gauche traditionnelle. À la suite d’un referendum national organisé en 2011, nous avons ici à Naples été les seuls à respecter le mandat populaire en municipalisant l’eau. Voici comment nous avons su rassembler au-delà du camp traditionnel de la gauche.

Au vu de la crise environnementale et sociale, les conséquences du réchauffement climatique, la concentration des richesses entre les mains de quelques-uns et la paupérisation qui s’accélère, nous devons prendre des mesures radicales qui changeront la vie des gens. Pour moi la radicalité, ce n’est pas s’enfermer dans une symbolique qui ne parle à personne, c’est avant tout refuser tout compromis sur les valeurs.

Nous devons aussi trouver des gens qui ont une crédibilité, pour ce qu’ils ont fait et non pour ce qu’ils veulent faire, y compris au nord du pays.

Le discours de la ligue du nord et du mouvement 5 étoiles n’est plus crédible car ils étaient tous ensemble au sein du gouvernement de Mario Draghi [actuel président du conseil des ministres italiens et ancien président de la banque Centrale Européenne de 2011 à 2019]. Sur les questions liées au travail, à l’environnement, à la santé et aux services publics, ils ont mené la même politique que le Parti Démocrate ou que les partis de droite et de centre-droit.

Aujourd’hui il n’y a plus de réelle opposition au sein du Parlement puisqu’ils sont tous d’accord pour mener la politique libérale de l’Union Européenne.

Quand j’étais maire de Naples, j’ai dû gouverner avec comme opposition l’ensemble des partis du système : le PD, le M5E, la ligue du Nord, etc. Nous avons réussi à mettre en place un gouvernement populaire au sein de la 3éme ville d’Italie.

C’est un signal qui parle aux gens, sur lequel je compte m’appuyer. Même les gens modérés politiquement, mais qui apportent une importance aux valeurs démocratiques, de probité et humanistes ont voté pour moi, car ils ont vu dans ma candidature un moyen de défendre leurs valeurs. Mes uniques alliés étaient les organisations de gauche radicale et surtout le mouvement citoyen. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous appuyer sur le peuple si l’on veut mener une politique transformatrice.

A.B. Avez-vous des alliés de poids sur lequel vous appuyer ?

L.D.M. : Je travaille à ça pour avoir des candidatures qui peuvent donner une image crédible du mouvement, avec des intellectuels, des artistes etc. Les électeurs veulent voter pour des gens crédibles. Ils ne croient plus dans les partis politiques, mais plus dans les personnalités.

A.B. Quel est votre place dans ce projet de coalition ?

L.D.M. : C’est une grande responsabilité personnelle. Mon rôle est avant tout de rassembler des gens qui sont différents mais d’accord sur les valeurs fondamentales. La démonstration que je ne fais pas partie du système est déjà faite aux yeux du plus grand nombre, Je suis en capacité de réaliser ce rassemblement.

A.B. : Vous parlez beaucoup des valeurs. Pourquoi est-ce si important ?

L.D.M. : Je parle beaucoup de valeurs, parce que dans mon histoire personnelle, avant de m’engager en politique, j’ai été magistrat et j’ai combattu la mafia dans le sud de l’Italie comme au sein des grandes entreprises du nord de l’Italie. J’ai révélé des liaisons et la présence de la mafia au sein même de l’appareil d’État. Les italiens ne veulent plus de la corruption car ils en subissent les conséquences au quotidien.

Je dénonce ce système. Ce système me considère comme un ennemi. La mafia qui est présente dans l’appareil d’État et dans la finance, c’est un problème démocratique. La problématique ne se limite pas au sud de l’Italie. La probité et la vertu sont des qualités politiques attendues par le peuple italien.

A.B.. : Quelles sont les propositions que vous comptez mettre en avant ?

L.D.M : Comme l’a révélé la pandémie du Coronavirus, le système de santé doit être reconstruit car il a été démantelé. Nous devons revenir sur la privatisation des services publics essentiels organisée par les gouvernements successifs. Pour nous, les personnes sont plus importantes que le profit.

En Italie, nous avons un grand problème de redistribution des richesses, avec des riches de plus en plus riches, des pauvres de plus en plus pauvres et une paupérisation des classes moyennes. Nous sommes confrontés à une augmentation du coût de la vie comme cela ne s’est pas produit depuis des années. Pourtant, les salaires sont toujours les mêmes, les droits sont remis en cause et le gouvernement applique des politiques qui contribuent à creuser les inégalités, alimentant le risque de graves conflits sociaux.

Il faut en finir avec la politique de privatisation qui dure en Italie depuis une trentaine d’années et remettre au centre du discours l’idée que nous avons des biens communs, qui ne se limitent pas seulement aux biens publics, mais à des choses plus grandes, comme l’espace, l’eau, l’air, les ressources naturelles qui sont à dispositions de tous. Quand j’étais maire de Naples , j’ai mené des politiques de requalification de l’eau et de l’air comme biens communs.

La préservation de l’environnement est aussi un enjeu : lutter contre la privatisation et la destruction de l’environnement, arrêter avec les énergies fossiles... La bifurcatiom énergétique a une place centrale dans notre projet. Dans le sud de la Méditerranée, nous avons le soleil, le vent et la mer, nous avons un territoire propice aux développement des énergies renouvelables. Si on fait ce type d’investissement public, on pourra créer des milliers d’emplois et nous libérer à la fois d’une dépendance des multinationales qui possèdent et distribuent les énergies fossiles. Nous devons protéger nos forêts et nos montagnes. Il faut également relocaliser notre économie. Le système capitaliste libéralisé est par essence prédateur sur la nature et les ressources naturelles. Il faut non seulement changer de modèle politique mais surtout de modèle économique et revoir notre manière de produire et de consommer.

Il y a en Italie, une concentration du pouvoir toujours plus forte et les pratiques politiques en Italie sont de plus en plus autoritaires. Pour moi, le peuple ne doit pas seulement être écouté, il doit décider et être acteur, c’est fondamental. Sans m’appuyer sur le peuple je n’aurais jamais pu mener des politiques de transformation sociale à la ville de Naples.

A.B. : Pourquoi ne pas proposer une constituante ?

L.D.M. : Nous avons une grande différence entre la France et l’Italie, ici notre Constitution est progressiste. Elle reprend un certain nombre de valeurs qui permettent le vivre-ensemble.

Certaines parties du texte sont vidées de leur contenu dans la mise en application des politiques par les gouvernements successifs, mais l’enjeu est de revenir à l’esprit initial du texte fondamental et de l’appliquer pleinement. N’oublions pas que la Constitution italienne est née de la lutte contre le fascisme et donc de la résistance communiste. C’est un manifeste très actuel. À titre d’exemple, l’article 41 de la Constitution prévoit que la propriété privée peut être mise en discussion et remise en cause si l’intérêt général le nécessite.

A.B. : Quelle politique européenne défendez-vous ?

L.D.M. :Quand j’étais élu au Parlement européen, je me suis rendu compte que ce qu’il comptait, ce sont les traités. Dans les traités européens on ne parle pas des choses les plus importantes de la vie, ou on en parle dans le but de défendre des intérêts privés précis.

L’Union Européenne c’est avant tout la monnaie commune et la libre circulation des marchandises, ce qui a renforcé les mafias ici. Même la libre circulation des gens n’est pas protégée, car ceux qui n’ont pas la nationalité européenne ne peuvent pas bénéficier de la liberté de circuler. Quand j’étais maire de Naples, j’ai été durement attaqué par le gouvernement italien pour avoir accueilli dignement des réfugiés d’origine subsaharienne.

Cette Europe est celle de la finance. Elle ne s’intéresse pas aux droits des gens.

Je ne reculerai pas face à de possibles pressions de la part de l’UE pour appliquer mon programme. Quand j’étais maire de Naples, le gouvernement italien voulait m’obliger à vendre le patrimoine de la ville pour éponger des dettes conclues par ceux qui gouvernaient avant moi. On nous a privé de recettes de la part l’État italien, dont nous n’avions pourtant besoin à Naples, mais nous n’avons pas cédé. Céder c’est capituler et après ils t’écrasent. Ils ont voulu monter le peuple de Naples contre moi, mais celui-ci a bien compris ce qui se passait. Comme je le disais, l’appui du peuple est fondamental. Il ne faut pas avoir peur de rentrer en conflit avec l’Europe, c’est à eux de céder. Nous avons la légitimité démocratique de notre côté.

Nous devons arrêter avec ces logiques de soumission comme ce que nous avons pu voir en Grèce vis à vis de l’Allemagne.

Je défends la construction d’une Europe des peuples, une Europe qui se donne comme objectif une politique de défense, la paix, l’écologie, la santé et la lutte contre les mafias. Il faut travailler sur l’esprit de solidarité, et à des mécanismes de réciprocité et de coopération pour créer une Europe plus riche et diverse plutôt qu’une Europe de blocs, de division et du nationalisme. Nous devons aussi regarder plus loin, au-delà de nos frontières, et s’intéresser à ce qu’il se passe au Moyen-Orient et en Afrique.

Il nous faut pour cela construire un mouvement européen de gauche fort car je pense qu’il y a des problèmes que nous ne pouvons pas régler à l’échelle nationale. Á titre d’exemple, sur les questions liées à la guerre ou à l’environnement, nous devons avoir une stratégie commune.

A.B. : Comment envisagez-vous les élections générales de juin 2023 ?

L.D.M. : Il faut faire le tour de l’Italie, partout et rencontrer les italiens, dans les villes, les petits villages y compris les lieux les moins accessibles. Nous allons faire passer notre message de rupture avec l’ancienne vie politique italienne, de radicalité dans les valeurs et prouver notre capacité à gouverner. Les sondages ne sont pas en notre faveur. Nous ferons le maximum et nous verrons. « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. » Nous n’avons pas d’autres choix.

A.B. : Comment résumer votre projet en une phrase ?

L.D.M. : L’humanité au pouvoir !


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