Extrême droite (France) : la semaine de toutes les compromissions

dimanche 3 juillet 2022.
 

Une semaine. Il aura fallu une semaine, pas plus, pour que l’extrême droite s’installe confortablement aux postes clés de l’Assemblée nationale, avec l’appui des droites au pouvoir et d’opposition. Une situation rendue possible par un savant mélange de tractations partisanes, de lâchetés politiques et de comptes d’apothicaire qui a permis au Rassemblement national (RN) d’obtenir, pour la première fois de son histoire, non pas une, mais deux vice-présidences au Palais-Bourbon.

Il faut prendre la mesure de la scène qui s’est déroulée, mercredi 29 juin, dans les salons qui jouxtent la salle des séances de l’Assemblée. C’est ici que des dizaines et des dizaines d’élu·es de la majorité présidentielle ont choisi de glisser dans l’urne un bulletin « extrême droite », afin de respecter, ont-ils argué, le règlement interne de l’institution et l’accord validé le matin même entre les différents partis – accord dénoncé dans la foulée par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).

Un « grand moment de démocratie », s’est félicitée la députée RN Hélène Laporte, élue avec 284 voix dès le premier tour du scrutin, comme son collègue Sébastien Chenu (290 voix). Un grand moment de dépolitisation, surtout, durant lequel l’arithmétique a remplacé les principes. Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance, a souligné que la majorité n’avait pas « à choisir ses oppositions » et qu’elle devait « faire respecter la volonté des Français » qui ont fait entrer 89 député·es RN à l’Assemblée.

Il ne s’agit pas, comme voudraient le faire croire certains, de balayer l’élection de ces élu·es. Encore moins de nier le fait politique que représente leur présence désormais massive dans l’hémicycle. Mais la palette est large entre leur ostracisation et leur notabilisation. « Aucune voix ne doit manquer à la République », avait lancé Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours des législatives. Celles de ses troupes ont contribué à propulser l’extrême droite au sommet de la hiérarchie parlementaire.

Le parti antirépublicain de Marine Le Pen, dont le sinistre projet s’articule autour de la « priorité nationale », s’est ainsi offert une belle place au sein de sa représentation. Fort de cette légitimation, il a dénoncé la « trahison » que constitue, à ses yeux, l’élection du député La France insoumise (LFI) Éric Coquerel à la tête de la commission des finances. Sébastien Chenu, qui s’était visiblement habitué à ce que le compromis devienne compromission, a même parlé de « signal dangereux ». Une inversion des repères déconcertante

Mardi, à l’ouverture de la XVIe législature, le doyen RN de l’Assemblée, José Gonzalez, a profité de la lumière qui lui était accordée pour faire part de sa nostalgie de l’Algérie française et expliquer qu’il n’était « pas là pour juger pour savoir si l’OAS [Organisation armée secrète] a commis des crimes ou pas ». « J’ai trouvé le discours de José Gonzalez plutôt sobre », a commenté, le lendemain, le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli. En matière de « signal dangereux », il y avait pourtant de quoi s’alarmer.

Mais la semaine passée a prouvé que les haussements d’épaules avaient remplacé les froncements de sourcils. Marine Le Pen a accédé au second tour de l’élection présidentielle pour la deuxième fois consécutive. Son parti a réalisé une performance historique aux législatives. Le RN jouit désormais d’un enracinement puissant dans certains territoires. Ses figures écument les plateaux télévisés matin, midi et soir, mais tout va bien : le règlement interne du Palais-Bourbon a été respecté.

Les repères se sont inversés avec une facilité et une rapidité déconcertantes. Le refus de l’élu insoumis Louis Boyard de serrer la main aux députés d’extrême droite et l’accession de la Nupes à certains postes de l’Assemblée ont suscité autant, sinon davantage, de réactions indignées que les victoires du RN. La rhétorique macroniste consistant à renvoyer dos à dos l’extrême droite et la gauche unie, au nom d’un républicanisme de pacotille, a infusé l’ensemble du spectre politique. La responsabilité des droites sarkozyste et macroniste

Certains commentateurs se sont joyeusement engouffrés dans la brèche ouverte par le chef de l’État, à l’instar du politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po, qui a constaté, ébahi, que « dans la vie politique française, il y a deux poids, deux mesures ». « L’antifascisme mobilise plus que l’anti-extrémisme de gauche, a-t-il noté sur Public Sénat. On voit bien qu’en France la culpabilité par rapport à ce que l’on perçoit comme étant le fascisme, ça fonctionne encore très bien. »

La chroniqueuse Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, s’est elle aussi dite très « inquiète » de l’élection d’Éric Coquerel à la présidence de la commission des finances, alors que son adversaire d’extrême droite, le député RN Jean-Philippe Tanguy, lui « semblait compétent ». « C’est Robespierre face aux patrons », s’est-elle exclamée dans Valeurs actuelles. Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy avait créé la polémique en affirmant que Marine Le Pen était « compatible avec la République ». Aujourd’hui, c’est dire le contraire qui fait controverse.

Dans la bouche d’Emmanuel Macron, l’antifascisme est devenu le « politiquement correct ». Certains de ses proches, comme le patron du MoDem François Bayrou, n’arrivent même plus à qualifier le RN d’extrême droite. À force de tortiller sur les mots et les principes, par cynisme ou absence de colonne vertébrale, bon nombre de « responsables politiques » ont fini par sombrer dans l’irresponsabilité démocratique.

Ce qui s’est produit cette semaine à l’Assemblée nationale est un précipité de la dernière décennie qui n’augure rien de bon – à toutes fins utiles, rappelons qu’il y aura une nouvelle élection présidentielle dans cinq petites années. Après avoir banalisé les discours et les obsessions de l’extrême droite, la majorité présidentielle participe activement à son institutionnalisation. Au lieu de combattre le RN, elle compose avec.

Les droites sarkozyste et macroniste endossent une lourde responsabilité dans la légitimation du parti de Marine Le Pen, de ses idées et de ses figures. Leurs manœuvres électoralistes et leurs vaines tentatives de triangulation ont imposé le RN comme un parti ordinaire, au mépris des histoires, des cultures et des réalités politiques. Leurs triturations du front républicain ont pavé la voie à l’extrême droite. Leurs coups de boutoir ont explosé son « plafond de verre ».

Ellen Salvi P.-S.

• Mediapart. 1 juillet 2022 à 17h55 :

étant le fascisme, ça fonctionne encore très bien. » La chroniqueuse Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, s’est elle aussi dite très « inquiète » de l’élection d’Éric Coquerel à la présidence de la commission des finances, alors que son adversaire d’extrême droite, le député RN Jean-Philippe Tanguy, lui « semblait compétent ». « C’est Robespierre face aux patrons », s’est-elle exclamée dans Valeurs actuelles. Il y a dix ans, Nicolas Sarkozy avait créé la polémique en affirmant que Marine Le Pen était « compatible avec la République ». Aujourd’hui, c’est dire le contraire qui fait controverse. Dans la bouche d’Emmanuel Macron, l’antifascisme est devenu le « politiquement correct ». Certains de ses proches, comme le patron du MoDem François Bayrou, n’arrivent même plus à qualifier le RN d’extrême droite. À force de tortiller sur les mots et les principes, par cynisme ou absence de colonne vertébrale, bon nombre de « responsables politiques » ont fini par sombrer dans l’irresponsabilité démocratique. Ce qui s’est produit cette semaine à l’Assemblée nationale est un précipité de la dernière décennie qui n’augure rien de bon – à toutes fins utiles, rappelons qu’il y aura une nouvelle élection présidentielle dans cinq petites années. Après avoir banalisé les discours et les obsessions de l’extrême droite, la majorité présidentielle participe activement à son institutionnalisation. Au lieu de combattre le RN, elle compose avec. Les droites sarkozyste et macroniste endossent une lourde responsabilité dans la légitimation du parti de Marine Le Pen, de ses idées et de ses figures. Leurs manœuvres électoralistes et leurs vaines tentatives de triangulation ont imposé le RN comme un parti ordinaire, au mépris des histoires, des cultures et des réalités politiques. Leurs triturations du front républicain ont pavé la voie à l’extrême droite. Leurs coups de boutoir ont explosé son « plafond de verre ». Ellen Salvi


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