La gauche revient en premier opposant à l’Assemblée

mercredi 29 juin 2022.
 

20 juin 2022 à 01h25

Des hourras, des « V » de la victoire, et quelques sueurs froides. À 20 heures, à l’Élysée-Montmartre, le 19 juin, les partisans de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) hésitent sur l’attitude à adopter à l’annonce des résultats du second tour des élections législatives. Après avoir soufflé de soulagement, certains se passent la main sur le front en voyant l’autre extrémité du spectre politique, cette zone grise qui symbolise le résultat du Rassemblement national (RN), qui obscurcit le tableau de la renaissance de la gauche.

La Nupes est annoncée à environ 150 sièges – loin derrière l’hypothèse d’une majorité relative, tant espérée par les caciques de la coalition. L’annonce de la défaite de Christophe Castaner face à Léo Walter dans les ​​Alpes-de-Haute-Provence coupe court à ce moment de flottement, déclenchant une avalanche de joie. Mais les faits sont là : la gauche unie réussit certes une performance, mais pas de là à envoyer Jean-Luc Mélenchon à Matignon.

Le chef de file de la Nupes a d’ailleurs subtilement révisé ses ambitions - rendre la Nupes majoritaire à l’Assemblée, et de le faire « élire premier ministre ». Dans un discours volontariste, il s’est félicité devant ses soutiens d’avoir « réussi l’objectif politique en moins d’un mois de faire tomber celui qui avec autant d’arrogance a tordu le bras de tout le pays pour être élu sans qu’on sache pour quoi faire ».

Tout en actant que « la déroute du parti présidentiel est totale », l’ancien député des Bouches-du-Rhône – où son dauphin Manuel Bompard a été aisément élu – a toutefois évoqué l’inquiétant résultat du RN. Il en a rendu en partie responsable la Macronie qui a été « incapable de donner une consigne claire dans 52 cas, ce qui les disqualifie à donner des leçons de morale ».

Ce dynamitage du « front républicain » a sans doute amoindri la performance de la Nupes – présente au second tour dans plus de quatre cents circonscriptions. La coalition a en effet perdu la plupart de ses duels face au RN (il y en avait 62), à l’exception notable de François Ruffin, largement réélu dans la Somme ou de Fabien Roussel dans le Nord. Dans certains cas, La République en marche (LREM) s’est même maintenue dans des triangulaires alors qu’elle était derrière la Nupes, contribuant à la victoire du RN (c’est le cas dans la 2e circonscription du Lot-et-Garonne).

Aussi Jean-Luc Mélenchon s’est-il montré optimiste, lorsqu’il a conclu son discours « de combat » par cette prophétie audacieuse : « Demain matin, vous vous réveillerez avec une majorité de la Nupes à l’Assemblée nationale ou avec le premier groupe. Aucun arrangement ne nous privera de cette possibilité. » La Nupes, ce « magnifique outil de combat » et ses « parlementaires, ouvriers, ouvrières, salariés de tous ordres, de toutes les régions de France » qui arrivent par dizaines sur les bancs de l’Assemblée nationale, dixit Jean-Luc Mélenchon, n’est donc pas au bout de ses peines.

La revanche de la présidentielle

Autre raison, plus symbolique, de se réjouir : la défaite de « marcheurs » de la première heure, battus par des candidats de la Nupes parfois inconnus du grand public. À commencer par les deux hommes clés de la Macronie : le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, et l’ancien ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, éliminés respectivement par la socialiste Mélanie Thomin, enseignante de 37 ans, et Léo Walter, directeur d’école.

La ministre Amélie de Montchalin se voit quant à elle laminée par l’ancien député « frondeur » du PS, Jérôme Guedj, à Massy, ville de l’Essonne où Jean-Luc Mélenchon eut son premier poste d’adjoint au maire dans les années 1990. Une victoire que le leader de la Nupes n’a pas manqué de souligner avec gourmandise, se réjouissant de voir éliminé, outre « Blanquer dès le premier tour », « l’éborgneur Castaner et l’injurieuse Montchalin ». Et une revanche d’autant plus savoureuse qu’elle cible d’anciens socialistes devenus marcheurs, à l’instar de Florian Bachelier en Bretagne, lui aussi éliminé par un socialiste.

Si Caroline Mecary a échoué à mettre en déroute le ministre délégué à l’Europe, dans le 7e circonscription de Paris (celui-ci sauve son poste sur le fil, avec 50,7 % des suffrages exprimés), tout comme Noé Gauchard face à Élisabeth Borne (qui sauve son poste en obtenant 53 % dans le Calvados), l’ancien président de l’Union nationale lycéenne (UNL) Louis Boyard inflige pour sa part un camouflet à Laurent Saint-Martin, rapporteur du budget à l’Assemblée nationale.

De nouveaux entrants

La gauche fait aussi une razzia aux Antilles et en Guyane, ou encore en Seine-Saint-Denis, où Jean-Luc Mélenchon avait obtenu des scores stratosphériques à la présidentielle. Si tous les députés LFI sortants sont réélus, Raquel Garrido réussit l’exploit de battre le baron de la droite locale, Jean-Christophe Lagarde. La majorité des députés sortants, socialistes, communistes ou insoumis sont aussi réélus, à l’exception du discret Michel Larive, député insoumis d’Ariège, qui se voit néanmoins ravir son siège par un socialiste dissident, soutenu par Carole Delga.

Bien que ne bénéficiant que de treize élus, le PCF est en bonne voie d’obtenir un groupe grâce au recours des élus ultramarins, de même que les écologistes, qui font leur grand retour à l’Assemblée après cinq ans d’absence. Le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Julien Bayou, l’ancienne porte-parole de Yannick Jadot, Eva Sas, et la militante écoféministe Sandrine Rousseau sont élus à Paris, comme Sandra Regol, la numéro 2 du parti, à Strasbourg. Julien Bayou s’est ainsi félicité de pouvoir envoyer à l’Assemblée « le plus grand groupe de l’histoire de l’écologie politique ». « On peut crier ouf ! », confiait également Jérôme Gleizes, dimanche soir, pensant aussi au remboursement du prêt contracté après la campagne ratée de Yannick Jadot.

La performance de la Nupes va, dans tous les cas, provoquer un renouveau de grande ampleur à l’Assemblée nationale. De nouveaux visages s’apprêtent en effet à peupler les bancs du Palais-Bourbon. Parmi eux, la plupart des cadres de l’Union populaire, à l’instar de Clémence Guetté (Créteil), David Guiraud (Roubaix), Antoine Léaument (Grigny), Paul Vannier (Argenteuil) ou Manuel Bompard (Marseille).

Outre la très symbolique arrivée de la femme de chambre Rachel Keke qui a dédié ses premiers mots aux travailleurs de Monoprix, aux agents de sécurité et aux auxiliaires de vie, insistant sur la nécessité d’augmenter le Smic à 1 500 euros, on trouvera aussi l’activiste du climat, Alma Dufour, le journaliste antispéciste Aymeric Caron, ou encore les « ruffinistes » Damien Maudet et Christophe Bex.

La Nupes peut aussi se targuer d’avoir envoyé à l’Assemblée nationale de très jeunes élus, comme Louis Boyard (dans le Val-de-Marne) et Tematai Le Gayic (en Polynésie française), tous deux âgés de 21 ans.

Le RN, l’ombre au tableau

Seule ombre au tableau, la percée du Rassemblement national (RN), malgré un mode de scrutin défavorable. Même s’« il y a encore une marche, même si l’union de la gauche redonne de l’espoir, la catastrophe, c’est le RN, qui n’a jamais été aussi haut, déplore l’écologiste Jérôme Gleizes. Tout le monde l’avait sous-estimé : non seulement il s’enracine dans ses places fortes, mais il gagne du terrain dans de nouveaux territoires ».

Tombeur du RN dans sa circonscription du Nord, Fabien Roussel a lui aussi noté que si « l’alliance de gauche a permis de gagner un grand nombre de députés, [elle] n’a pas permis d’avoir une majorité, ni d’empêcher l’extrême droite de progresser fortement ». « La gauche n’a pas progressé en nombre de voix, il va falloir réussir à dépasser ce plafond de verre si nous voulons un jour gouverner ce pays », a ajouté l’ancien candidat du PCF à la présidentielle.

En attendant, la gauche peut s’enorgueillir d’une première potentielle victime collatérale du scrutin : la réforme des retraites, déjà ajournée pour cause de Covid en 2020, pourrait, une nouvelle fois, avoir du plomb dans l’aile du fait de l’absence de majorité de l’exécutif à ce stade. « Vous pourrez compter sur nous pour que cette réforme ne passe pas ! », a lancé, dimanche soir, Manuel Bompard.

Quant à Jean-Luc Mélenchon qui ne se représentait pas à la députation, il n’a pas tiré sa révérence, mais a donné rendez-vous pour la suite. « Je change de poste de combat, mais mon engagement demeurera jusqu’à mon dernier souffle dans les premiers de vos rangs si vous le voulez bien », a-t-il affirmé, persuadé que s’ouvre une page blanche, sur laquelle tout reste à écrire.

Une guérilla parlementaire en perspective

Avec 147 sièges (plus 8 divers gauche), la Nupes échoue donc à obtenir une majorité, même relative. Mais la coalition rouge, rose, verte devient néanmoins le premier groupe d’opposition face à l’exécutif et devance l’extrême droite qui s’était imposée comme la seconde force politique du pays à la présidentielle.

Dans ce contexte, non seulement la gauche rassemblée peut prétendre à occuper les principaux postes clés au Palais-Bourbon, attribués grâce à des scrutins internes – la présidence de la commission des finances, la vice-présidence de l’Assemblée ou la questure – mais son poids dans l’hémicycle face à un pouvoir qui pourrait échouer à former une majorité stable, même avec la droite, lui offre la possibilité d’influencer certains textes importants (sur le pouvoir d’achat, l’action climatique…).

« Pour l’instant, on ne peut pas savoir comment ça va se passer, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’on fera tout ce qui est bon pour les milieux populaires et le monde du travail », expliquait, dimanche soir, le député La France insoumise (LFI) Alexis Corbière, réélu la semaine dernière au premier tour.

Certains anticipent déjà, du fait de l’importance du groupe Nupes et de la faiblesse de la majorité macroniste, une « opposition de blocage ». Le souvenir de la « guérilla parlementaire » menée en 2020 par les 17 députés insoumis pour mettre en échec la réforme des retraites est encore brûlant. Et avec quelque 150 députés, la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret prévoit déjà une « incroyable lenteur » du travail parlementaire : « Il risque d’y avoir des centaines, voire des milliers d’amendements. Il peut y avoir un phénomène de blocage, et le calendrier parlementaire aura du mal à être tenu. »

L’eurodéputé Younous Omarjee parle même d’une possible « situation ingouvernable » : « Macron n’aura pas de majorité absolue, le RN sera en position plus forte que jamais. Que va-t-il faire ? » « Même le vote de confiance du gouvernement pourrait être compliqué pour lui », abonde Michel Mongkhoy, militant à LFI et suppléant de Danièle Obono.

Mathieu Dejean et Pauline Graulle


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