Législatives (France) : les Insoumis à l’assaut de Paris

mercredi 15 juin 2022.
 

En se positionnant sur plusieurs circonscriptions « gagnables » de la capitale, La France insoumise s’assure d’être en position de force à gauche au moment où le PS d’Anne Hidalgo est à la peine. Une première étape clé d’implantation avant les municipales de 2026.

La salle Olympe-de-Gouges déborde de monde et les « on va gagner ! » lancés à l’intérieur autant qu’à l’extérieur résonnent dans tout le quartier. C’est dans la 6e circonscription de Paris, à cheval sur le XIe et le XXe arrondissement, où se présente son ex-directrice de la communication, Sophia Chikirou, que Jean-Luc Mélenchon a choisi de tenir son unique grand meeting de campagne.

Onze jours avant le premier tour des élections législatives, la campagne de « troisième tour » qui se déploie, ce mercredi 1er juin, dans cette salle de l’Est parisien, fait furieusement penser à la campagne présidentielle. Au milieu des candidats de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes), assis en arc de cercle sur la scène, le chef de file de La France insoumise (LFI) arrive sous une standing ovation.

Derrière le pupitre, Jean-Luc Mélenchon passe en revue, pendant une heure et demie, les thématiques du moment : l’union « historique » de la gauche, la « victoire à portée de main », le blocage des prix de l’énergie, le glyphosate dans les rivières, la retraite à 60 ans, le néolibéralisme d’Emmanuel Macron, la politique sécuritaire de Gérald Darmanin, la dette, l’hôpital à bout de souffle…

« Je ne vous dis pas que nous allons créer un paradis du jour au lendemain, mais nous allons faire cesser l’enfer ! », lance-t-il sous les hourras. Un vrai discours de politique générale pour celui qui ambitionne d’être propulsé à Matignon le 19 juin prochain, mais dans lequel pas un mot ne sera prononcé sur Paris.

Pourtant, les ambitions nationales ne sauraient masquer les velléités locales de LFI. Alors qu’en 2017 La République en marche (LREM) avait fait une razzia sur la capitale, emportant 12 des 18 circonscriptions et laissant la gauche à l’os – avec deux députées, l’Insoumise Danièle Obono dans le XVIIIe arrondissement et la socialiste George Pau-Langevin dans le XXe –, l’heure est désormais à la reconquête.

La gauche a de bonnes raisons d’être optimiste. À Paris, Jean-Luc Mélenchon a récolté 30 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle (contre 19 % en 2017), dépassant parfois les 50 % dans les secteurs du Nord et de l’Est parisiens. De quoi laisser espérer un carton plein, ou presque.

Si la sortante Danièle Obono devrait être reconduite dans sa circonscription, où Jean-Luc Mélenchon a obtenu 51 % des suffrages exprimés le 10 avril dernier, les Insoumis pourraient en emporter de trois à cinq de plus. Dans la 15e, la 16e, la 7e, la 18e et la 6e, respectivement celles où se présentent Danielle Simonnet, Sarah Legrain, Caroline Mecary, Aymeric Caron et Sophia Chikirou, le chef de file de LFI a ainsi obtenu des scores variant entre 35 % et 46 % à la présidentielle.

Grâce à l’accord de la Nupes scellé sur la totalité des circonscriptions parisiennes – à l’exception notable de la 15e, où Danielle Simonnet devra affronter une « dissidente » socialiste, Lamia El Aaraje –, la réserve de voix des électeurs écologistes, socialistes et communistes devrait, en théorie, se porter sur les candidatures insoumises. Dans le scénario idéal, avec les trois circonscriptions gagnables des écologistes Sandrine Rousseau, Julien Bayou et Éva Sas, la gauche raflerait donc la moitié des circonscriptions parisiennes.

Une situation a priori très favorable, donc, même si le vote de l’électorat de la gauche modérée n’est pas assuré pour les Insoumis pur jus : « Mélenchon s’est imposé comme le vote utile à gauche à la présidentielle, mais la population qui a voté Hidalgo aux municipales de 2020 peut encore osciller entre un vote majorité présidentielle ou un vote Nupes aux législatives », juge ainsi l’essayiste Jean-Laurent Cassely, coauteur de La France sous nos yeux (Seuil, 2021), qui estime que « la disparition du PS fait apparaître une tension très forte pour ces gens de centre-gauche, qui sont au cœur du jeu électoral à Paris ».

Paris, future place forte de l’Insoumission ?

Quoi qu’il en soit, une arrivée en force du mouvement mélenchoniste dans une ville où son score aux dernières élections municipales était pour le moins résiduel (ses 5,4 % n’avaient permis de faire élire qu’une conseillère de Paris sur 163 élus) n’est plus un scénario de politique-fiction. C’est ce qu’espère Danièle Obono, qui reçoit Mediapart dans son local de la rue Pajol, dans le très populaire XVIIIe arrondissement : « Il n’y a pas de raisons que les classes moyennes supérieures s’identifient au modèle du “chacun pour soi” de la Macronie. C’est la bataille culturelle que nous avons à mener pour reconstruire une identité de gauche », dit-elle.

Au-delà de faire de Paris la vitrine nationale d’une gauche renouvelée, l’enjeu est aussi celui de l’implantation locale, aujourd’hui inachevée, de La France insoumise dans la capitale. « Il faut que les élus de la Nupes soient très nombreux à Paris pour contrebalancer le pouvoir de Macron, mais aussi pour être en mesure de mobiliser, d’inspirer les luttes et de relayer leur parole, poursuit Danièle Obono. Pour en avoir fait l’expérience pendant cinq ans, je sais que cette question de l’enracinement est cruciale. »

Même analyse de Danielle Simonnet, conseillère de Paris, qui laboure sans relâche son fief du XXe arrondissement depuis 20 ans – ce qui lui vaut le soutien officiel du Nouveau Parti anticapitaliste dans la bataille des législatives. Elle estime que si l’élection de plusieurs de ses camarades se confirme le 19 juin, elle pourrait compter sur eux pour mieux quadriller la capitale : « Il va falloir qu’on repense le rôle de député pour être non seulement en capacité d’intervenir à l’Assemblée nationale, comme l’ont fait brillamment les dix-sept [députés insoumis dans la précédente législature – ndlr], mais aussi pour renforcer l’ancrage populaire sur le terrain, et co-élaborer les textes de loi avec les habitants »,anticipe-t-elle.

Sans surprise, cette perspective n’est pas du goût de tout le monde. Notamment au PS parisien, qui considère que l’offensive insoumise sur Paris ressemble fort à une tentative d’OPA sur l’un des derniers bastions roses. « Leur stratégie est claire, estime David Assouline, premier secrétaire fédéral du PS et proche d’Anne Hidalgo, qui a ostensiblement boudé le meeting de Mélenchon dans la salle Olympe-de-Gouges. Il y a une volonté politique de sanctionner et d’humilier le PS. »

Une réponse du berger à la bergère : les Insoumis parisiens gardent ainsi un souvenir cuisant de l’épisode des élections municipales de 2014. Au moment des négociations de l’entre-deux-tours, les socialistes et leurs alliés communistes avaient accueilli les négociateurs « dans un réduit, dans un local dégueulasse au milieu des balais et des rouleaux de PQ », s’était ému Alexis Corbière, à l’époque représentant du Parti de gauche à Paris.

Les municipales en toile de fond

Huit ans plus tard, c’est peu dire que le camouflet subi par Anne Hidalgo à la présidentielle – laquelle a totalisé moins de 23 000 voix dans sa ville – et le triomphe de Jean-Luc Mélenchon dans la capitale ont inversé le rapport de force au sein de la gauche parisienne. Alors que le mauvais score aux dernières municipales avait placé les Insoumis, en campagne contre le bilan jugé à la fois trop libéral et quelque peu autocratique de la « candidate LVMH », en position de spectateurs d’un duel entre le PS et les Verts, l’heure de la revanche a sonné.

Une nouvelle ère entérinée par l’accord de la Nupes, qui n’a investi aucun socialiste dans une circonscription gagnable intra-muros. Certes, les écologistes ont été relativement bien servis (Sandrine Rousseau, Julien Bayou et Éva Sas ont des chances d’entrer au Palais-Bourbon), mais LFI s’est réservé la plus belle part du gâteau. De quoi ulcérer David Assouline, qui met en garde : « LFI se comporte comme s’il n’y avait pas eu le vote utile et qu’ils étaient tout-puissants dans la recomposition alternative aux socialistes parisiens. Mais c’est une illusion ! »

Si chacun s’en défend, les prochaines élections municipales qui auront lieu en 2026 sont aussi dans toutes les têtes. Le résultat désastreux d’Anne Hidalgo à la présidentielle a violemment ouvert la question de sa succession à l’hôtel de ville – le macroniste Clément Beaune est déjà sur les rangs –, aiguisant, de fait, les appétits à gauche. Même si nul ne sait encore comment les cartes seront rebattues.

« Que la gauche sorte renforcée de ces élections à Paris, ce sera une bonne nouvelle. Mais ça ne fige pas un rapport de force interne à la gauche parisienne », souligne l’adjoint communiste Ian Brossat.

Même prudence de la part de David Belliard, l’ancien candidat des écologistes aux municipalesen 2020 : « Aujourd’hui, les Insoumis ont sans doute des velléités sur Paris, mais je ne suis pas sûr que les législatives préfigurent vraiment quelque chose. Et puis 2026, c’est encore loin. » Par ailleurs, ajoute-t-il à dessein, « ma conviction, c’est que Paris n’est pas une ville des extrêmes - même si je n’aime pas le terme - et que, pour paraphraser Delanoë, la ville se gagne au centre. C’est une ville de coalition, que personne ne peut gagner seul, et ceux qui voudraient y aller de manière hostile se trompent ».

Du côté de La France insoumise, on se défend de nourrir quelque projet que ce soit pour la suite. « Il ne faut pas brûler les étapes et ne pas brouiller les pistes : les municipales, ce n’est vraiment pas le sujet », assure Sarah Legrain, candidate aux législatives sur une circonscription qui a vu le vote Mélenchon prendre 16 points entre 2017 et 2022.

À l’hôtel de ville, la possibilité d’une réconciliation

D’autant que, pour l’instant, on se demande déjà quel impact aura l’élection sur la majorité parisienne actuelle. « Comment la Nupes sera-t-elle mise en place à Paris ? C’est pour l’instant, la seule question qui vaille », indique Frédéric Hocquard, adjoint (Génération·s) chargé du tourisme à la mairie, qui pointe le fait que la nouvelle donne créée par l’union de la gauche au niveau national pourrait conduire, par effet ricochet, à un rapprochement entre les Insoumis parisiens, pour l’instant opposants revendiqués à la maire, et sa majorité plurielle (socialiste, communiste, écologiste).

Une perspective qui n’est pas pour déplaire à Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo : « La question est de savoir si la Nupes va ouvrir un nouveau cadre de discussion à gauche, et je suis plutôt optimiste,confie-t-il à Mediapart. Nous avons des relations extrêmement dures avec Danielle Simonnet, dont le talent a souvent été gâché par l’outrance et la démagogie, mais ce n’est pas le cas de tout l’écosystème insoumis parisien. »

Or Danielle Simonnet, qui fut de tous les combats emblématiques de la capitale - de la mobilisation contre la tour Triangle ou la privatisation du crématorium du Père-Lachaise, à la réouverture de l’Hôtel-Dieu pour accueillir les migrants –, pourrait, du fait de son élection au Palais-Bourbon, laisser son siège au conseil de Paris à son colistier Laurent Sorel, réputé plus « rond ». L’arrivée de Sophia Chikirou, qui dispute son leadership à Danielle Simonnet dans la ville, selon certains, pourrait, de même, peser dans la balance.

« LFI est cornérisée à Paris, elle sait qu’elle doit sortir de sa marginalité politique au niveau local. Elle sera obligée de faire des pas vers nous », glisse-t-on à l’hôtel de ville. Tandis qu’à LFI, on renvoie la balle au PS : « Tout dépend d’Anne Hidalgo, et le PS parisien est très divisé entre d’un côté une ligne macroniste et, de l’autre, une ligne plus compatible avec nous. »

Pour Frédéric Hocquard, le statu quo semble, dans tous les cas, difficilement envisageable : « Je pense que toute la gauche est condamnée à travailler ensemble. Que ce soit au moment des Jeux olympiques, ou sur les questions budgétaires, la ville va être dans un dialogue rugueux, si ce n’est dans un affrontement direct, avec l’Élysée. Anne Hidalgo, même si elle n’est pas une thuriféraire de Mélenchon, aura sans doute besoin de s’appuyer sur les parlementaires LFI de Paris pour faire avancer sa cause… »

Pour l’heure, impossible de savoir, donc, si les Insoumis parisiens opteront pour une ligne de rupture avec la majorité PS-PCF-Verts de la ville de Paris. Mais leur stratégie est claire : elle consiste à faire exister leur force militante sur le terrain d’ici à 2026.

« On a la chance d’avoir quatre ans sans élection. D’ici là, on veut recréer la confiance chez les citoyennes et les citoyens de s’auto-organiser », affirme Danielle Simonnet. Même son de cloche chez Danièle Obono, qui conçoit les municipales comme un test : « L’enjeu est de faire émerger, notamment dans les quartiers populaires, des forces vives. L’élection municipale doit servir à faire émerger ce peuple de Paris. Il faut que ceux qui portent nos couleurs aux municipales soient issus de ce travail – qu’ils soient de nos rangs ou pas. Et c’est une opportunité que donnerait le fait d’avoir plus de députés, et d’avoir cette stratégie d’enracinement. »

En attendant, Frédéric Hocquard, persuadé qu’« il y aura un avant et un après-Nupes à Paris », se projette dans le futur proche de la gouvernance parisienne. Il rappelle ainsi que la deuxième mandature d’Anne Hidalgo a été percutée, d’abord par le Covid, puis par sa candidature à la présidentielle qui, pendant des mois, l’a éloignée de l’hôtel de ville : « Avant de penser à la suite, on aimerait déjà commencer le mandat. »

Mathieu Dejean et Pauline Graulle

2 juin 2022 à 16h02

• MEDIAPART. 2 juin 2022 à 16h02


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