Refonder une gauche de gauche ! Construire un nouveau parti pour le socialisme ! ( par Christian Picquet, minorité LCR)

mercredi 26 septembre 2018.
 

Si, à gauche, la trêve estivale était intervenue dans un climat d’atonie préoccupant, la rentrée s’effectue sous le signe de la débandade. Le tableau est vite brossé : fort de sa victoire, autant que de sa conviction que l’initiative et la volonté politique se révèlent déterminantes pour faire passer un projet, Nicolas Sarkozy fait entrer le pays dans une contre-révolution libérale-conservatrice.

Plus de doute possible désormais, si cette droite « décomplexée » parvient, sur les années à venir, à faire passer ses promesses dans les faits, c’est à un basculement de la situation hexagonale que nous serons confrontés. Des conquêtes populaires arrachées de haute lutte au fil de plusieurs décennies, il ne nous restera qu’un vague souvenir. En lieu et place de la référence symbolique à l’égalité, inscrite au frontispice des bâtiments publics, émergera un nouveau modèle social, où la place de chacun dépendra de ce qu’il vaut et est capable de gagner, où l’exaltation de la réussite servira à masquer la réalité d’une système chaque jour plus impitoyable.

Double faillite

C’est à ce moment politique crucial, alors qu’une opposition déterminée eut été indispensable pour stimuler les résistances et redonner confiance au monde du travail, que le Parti socialiste a choisi... de se mettre aux abonnés absents. Certes, François Hollande et ses pairs de la rue de Solferino ne sont jamais avares de petites phrases assassines sur les comportements compulsifs du président de la République, sur le rôle occulte de Cécilia Sarkozy, ou encore sur la transformation du Premier ministre en ectoplasme politique. Mais, sur le fond, ils ne critiquent plus guère les dispositifs gouvernementaux qu’en vertu... d’une « opposition responsable et constructive ». Si « responsable et constructive » qu’ils ont été inexistants devant les mesures adoptées à la faveur de la session extraordinaire du Parlement, et qu’ils en viennent maintenant à approuver le projet de remise en cause des régimes spéciaux, dont chacun sait pourtant qu’il annonce une nouvelle attaque d’ampleur contre le droit à la retraite, réservant leurs critiques à la méthode utilisée.

Qu’ils en soient arrivés là, illustre l’ampleur de la décomposition politique, de la désintégration idéologique, de la faillite morale qui frappe la principale composante de la gauche française. À tant vouloir prouver sa conversion aux exigences du nouvel âge du capitalisme, son centre de gravité directionnelle aura fini par tourner définitivement le dos à toute visée transformatrice, à toute velléité d’incarner une alternative à la droite.

La « rénovation » qui l’occupe tant aujourd’hui n’a pour finalité que d’achever la mutation du parti en un nouveau centre gauche, de rompre ses derniers liens à l’histoire du mouvement ouvrier et à la tradition à laquelle il se rattachait encore, afin de lui permettre de se tourner sans encombres vers le Modem de François Bayrou. Hollande peut bien donner encore le change, évoquer les Unions de la gauche d’antan - préparation des municipales oblige -, il exprime lui-même la tendance lourde du moment lorsque, à La Rochelle, il renonce avec fracas aux 35 heures pour faire sien le discours libéral sur la nécessité de « travailler plus ». Il ne reste alors aux Royal, Cambadélis, Valls, Rebsamen et autres Moscovici qu’à compléter, en donnant acte à Sarkozy de sa volonté de réforme, en appelant leur parti à se débarrasser de son tropisme gauchiste (sic !) et d’une déclaration de principe qui l’oriente toujours vers le changement social, ou en prônant l’acceptation sans réserves des contraintes de la mondialisation du capital.

Ce faisant, ils ne font d’ailleurs que préparer leurs futures déconvenues (mais aussi, hélas, nos propres défaites). Il n’est, pour s’en convaincre, que de voir comment Sarkozy profite de ce climat délétère pour élargir son débauchage de ceux qui, dans une opposition désintégrée, ne veulent pas renoncer... à leurs plans de carrière. En quelques moins à peine, la réponse sociale-libérale aura donc non seulement révélé sa faillite dans l’échec du 6 mai puis des élections législatives, mais elle l’aura ensuite aggravé par sa démission devant les attaques de la droite.

Oui, une force nouvelle...

Ne tournons pas autour du pot, c’est à la refondation d’une gauche de gauche qu’il convient de nous atteler. Une gauche qui refuse à la fois l’impasse de la « modernisation » sociale-libérale et celle, symétrique, d’une gauche certes radicale mais incapable de porter majoritairement une alternative sociale et démocratique. Une gauche qui, se refusant aux postures de témoignage, vise à battre le social-libéralisme et sa domination sur le mouvement ouvrier. Une gauche apte à conquérir une majorité à gauche sur une orientation de rupture antilibérale. Une gauche dont l’émergence suppose, sous des formes renouvelées, le rassemblement de toutes les énergies anticapitalistes et antilibérales au sein de la gauche.

C’est dans ce cadre que la question d’un nouveau parti se trouve posée. Ce parti, anticapitaliste, large et pluraliste, devrait s’identifier par sa contestation conséquente du projet libéral, en ce que ce dernier correspond étroitement à la réalité du capitalisme du XXI° siècle. Il inscrirait son action dans la perspective d’un socialisme rénové et démocratique, combattrait résolument les logiques d’adaptation au système. Il revendiquerait sa pleine indépendance vis-à-vis de la classe dominante, récuserait toute alliance parlementaire ou gouvernementale aux conditions du social-libéralisme, illustrerait sa vision du changement social par un ancrage sans cesse renouvelé dans les mobilisations populaires, refuserait toute subordination de sa politique aux contraintes de la participation aux institutions. Il se ferait un devoir de garantir la pluralité des opinions et courants en son sein.

Faute d’un tel horizon, les confrontations sociales resteront dépourvues du correspondant politique qui leur fait défaut depuis des lustres. Les forces qui, à gauche, n’ont pas abdiqué devant l’ordre dominant, demeureront éparpillées, au prix de leur incapacité à incarner la renaissance d’un espoir crédible. Toutes les tentatives de rassemblement seront menacées de buter sur des écueils semblables à ceux qui ont fait échouer la tentative d’aboutir à des candidatures communes pour la séquence électorale de 2007 : les logiques de concurrence, les tentations hégémoniques, les replis boutiquiers.

Bien sûr, un nouveau parti anticapitaliste ne saurait procéder de la volonté ou des décisions d’une seule organisation. Il émergera nécessairement à la faveur d’une redistribution générale des cartes au sein de la gauche, d’une redéfinition des lignes qui partagent l’ensemble du mouvement ouvrier. Il naîtra de la rencontre de courants politiques, d’acteurs du mouvement social, de jeunes porteurs de l’expérience précieuse du combat altermondialiste ou des mobilisations des dernières années, d’hommes et de femmes engagés sur le terrain contre les discriminations. Il résultera de débats de fond, de la vérification concrète des accords existants à la chaleur d’une pratique commune. Sans doute faudra-t-il, à cette fin, définir des transitions et des étapes. Un fonctionnement en front, au sein duquel se regrouperaient courants organisés autant que militants sans appartenance partidaire, et qui serait de nature à respecter l’indépendance et les identités de chacune des composantes, s’imposera ainsi probablement durant la période menant à un parti unifié.

À cet égard, si nous considérons comme positif que la direction majoritaire de la LCR appelle dorénavant à son dépassement, nous ne saurions partager la méthode consistant à refuser toute alliance ou confrontation avec des courants issus de la gauche ou de la mouvance antilibérale, pour résumer à quelques composantes « révolutionnaires » ou « guévaristes » et à des « anonymes » la démarche conduisant à la naissance d’un nouveau parti. Poursuivre dans cette voie risque d’hypothéquer l’objectif lui-même, en laissant penser que la LCR ne cherche, en l’occurrence, qu’à s’élargir.

Nous en sommes, à l’inverse, convaincus, des forces existent pour commencer à explorer la possibilité d’une construction commune. L’idée d’une nouvelle force politique à gauche se diffuse progressivement. Elle est posée, au PS, par les secteurs qui constatent à quel point il est devenu vain d’espérer redresser une social-démocratie enlisée dans ses reniements. Elle commence à être débattue au sein du PCF, le dépassement s’avérant la seule réponse efficiente à un déclin qui menace jusqu’à son existence. Chez les antilibéraux, la discussion ne manquera pas de surgir au sein des collectifs et elle a déjà fait l’objet d’un appel de l’espace « Maintenant à gauche ». Elle se trouvera inévitablement au coeur des réflexions qui s’amorcent dans la mouvance sociale et associative, la résistance au sarkozysme ne pouvant se déployer pleinement hors d’éléments d’alternatrive politique et idéologique...

L’urgence commande de s’engager au plus vite dans un processus qui puisse faire converger toutes ces interrogations et leur donner un cadre d’échange commun. Au travail !

25 Septembre 2007 Christian Picquet


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