À Marseille, Jean-Luc Mélenchon fait vibrer la corde sociale

mercredi 30 mars 2022.
 

Lors d’un meeting sur la plage du Prado, le candidat de l’Union populaire s’est adressé, avec un discours à forte teneur sociale, aux classes populaires. Dans les quartiers de la ville, l’Insoumis continue de mobiliser un électorat qui ne se fait pas beaucoup d’illusions.

les liens restent « forts, intenses » avec les habitants, et surtout, avec cette Méditerranée qui continue d’inspirer le tribun. Devant la mer, « sur les lèvres fraîches de ce rivage », Mélenchon a débuté son discours par un appel lyrique à la solidarité entre les peuples : « La prochaine présidence française doit donner une priorité aux voisinages méditerranéens avec qui nous sommes intimement liés par nos amis, nos espérances, nos poésies. Nous sommes tous parents quels que soient les aléas de l’histoire ! »

Une histoire qui continue de s’écrire en Ukraine, sur les bords de la mer Noire cette fois. Comme à chaque meeting depuis 24 février, Mélenchon a évoqué le conflit, rappelant que « le monde est au bord d’une guerre nucléaire possible ». Mais devant les habitants de l’une des villes les plus pauvres de France, il s’est rapidement concentré sur ses « mesures d’urgence face à l’explosion des prix qui jettent les familles dans la détresse et le désarroi », à commencer par le blocage des prix.

Se faisant « la voix, le cri, le porte-drapeau » des huit millions de personnes à l’aide alimentaire et des 300 000 sans abris, l’Insoumis a enchaîné sur ses propositions pour les services publics (comme la titularisation des 800 000 contractuels de la fonction publique), le remboursement des soins, la requalification des CDD. Dénonçant « les records de radiation à Pôle emploi », il a accusé Macron, qui veut faire travailler les deux millions d’allocataires du RSA 20 heures par semaine, d’inventer des « forçats du travail ».

Le Pen-Macron, bonnet blanc et blanc bonnet

Un président-candidat qui, s’il est réélu « transformera le système de l’école publique en chaos », a expliqué Mélenchon. Car c’est de Marseille qu’Emmanuel Macron a lancé sa réforme d’inspiration libérale de l’école primaire, en ouvrant la voix à une autonomie des établissements scolaires en matière de recrutement. « Monsieur Macron, c’est trop, le bon peuple peut en accepter beaucoup, mais vous ne touchez pas à nos gosses ! », a imploré l’ancien ministre de l’enseignement professionnel de Jospin, qui a fait huer la plateforme Parcoursup, annoncé qu’il supprimerait le contrôle continu au Bac. Et a prévenu solennellement : « Rien ne les arrêtera si vous ne les arrêtez pas ! »

Eux, ce sont Marine Le Pen et Emmanuel Macron, les favoris du scrutin, que Mélenchon talonne désormais dans les sondages. Le second tour est « à portée de voix », ne cesse de répéter celui qui appelle désormais au « vote barrage » (contre la droite et l’extrême droite) dès le premier tour.

Monsieur Macron, c’est le programme économique de Madame Le Pen plus le mépris de classe ; madame Le Pen, c’est le programme de Monsieur Macron, plus le mépris de race

Jean-Luc Mélenchon

Alors, il tape. Contre Macron, le « propriétaire des lieux ». Contre Marine Le Pen, « l’héritière de la firme familiale après qu’elle se soit débarrassée du doberman qui était monté sur la table ». Macron, Le Pen : les bonnet blanc et blanc bonnet de la politique. « Monsieur Macron, c’est le programme économique de madame Le Pen plus le mépris de classe ; madame Le Pen, c’est le programme de monsieur Macron, plus le mépris de race. » Puis de lister leurs points communs : le laisser-faire de la spéculation sur les prix, la retraite à 65 ans, le gel du smic, la baisse des impôts de production, la relance du nucléaire…

« Cette fois-ci, vous le sentez comme moi : moi l’autre, quel que soit l’autre, je veux le voir au deuxième tour », a lancé Jean-Luc Mélenchon avant de lire, en conclusion de son discours, quelques phrases du poète Robert Desnos invitant à l’espérance : « Une voix comme un tambour voilé vient distinctement, elle allume aux lèvres un sourire, je l’écoute, ce n’est qu’une voix humaine, elle traverse les fracas de la vie. Elle dit la belle saison est proche, ne l’entendez-vous pas ? »

Le vote Mélenchon, « plus par devoir que par envie »

Mais entre entre la politique d’estrade et la politique concrète, difficile de tracer une ligne droite. La veille du discours de Jean-Luc Mélenchon, près de la porte d’Aix, des dizaines de femmes et militantes des quartiers populaires de Marseille débattaient discriminations, logement, écoles et « pouvoir d’agir » dans la grande salle du Coco Velten, ancien local de la Direction des routes occupé depuis 2019 par divers projets associatifs.

Dans ce petit groupe, les luttes du quotidien occupent toute la place, même si certaines projetaient de se rendre au Prado le lendemain. Veuve depuis 2015, Souraya, 47 ans, bagarre depuis avec l’un des bailleurs de la cité Castellane dans les quartiers nord, pour échanger son T4 insalubre contre un T2 digne. Elle fait défiler sur son portable les photos des murs et des sols, gorgées d’humidité. Soraya a été de tous les grands meetings du candidat Mélenchon à Marseille, en 2012, puis 2017. Mais, d’origine étrangère, Souraya n’a pas le droit de vote en France.

« Mélenchon, c’est un bon narrateur, et puis c’est bien le seul à ne pas se focaliser sur le voile et les Arabes en permanence, mais il n’a pas été présent comme député », regrette Nouria, de l’association les Minots de la gare Saint-Charles, en défense des écoles et des familles du quartier du Racati, taraudée par des problèmes d’insécurité. Nouria donnera cependant sa voix à l’Insoumis. Son amie Sabrina avait choisi Macron au premier tour il y a cinq ans, et maintenant « c’est ter-mi-né ! ». « Je voterai blanc, j’en ai ras-le-bol du blabla des politiques. »

Cité Air Bel, dans le 11e arrondissement, autre quartier emblématique de Marseille. Plus de 1 200 familles, 6 000 personnes habitant sur 25 hectares, « une petite ville dans la ville », explique Rania Aougaci, sur la scène du Coco Velten. « Nous avons un seul commerce, une pharmacie. La Poste ne livre plus de colis depuis douze ans à Air Bel. Pendant la crise du Covid, ça a été le black out total. »

En 2017, le décès d’un locataire atteint de légionellose (une infection respiratoire grave due à une bactérie présente dans les réseaux d’eau chaude de ces grands ensembles) avait déjà soudé une partie des habitantes sur l’état du bâti et la situation sanitaire. Le sujet a d’ailleurs été porté à plusieurs reprises par le député Mélenchon auprès du gouvernement, ce que salue Rania Aougaci. « Il a fait monter Air Bel à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas rien… Mais l’histoire nous a montré que les politiques, avant chaque élection, nous écoutent avec grande attention, et puis, plus rien. »

Revendiquant son « apolitisme » en tant que salariée de l’association de locataires, Rania Aougaci assure cependant être à titre personnel « en phase » avec le candidat insoumis : « Dans notre collectif, plusieurs des filles sont à fond ! C’est un des seuls à faire encore l’effort de ne pas faire d’amalgame nous concernant. Les autres s’en donnent à cœur joie. »

En 2017, « on parlait beaucoup de Mélenchon dans les quartiers populaires », se souvient Karima Berriche, ancienne directrice du centre social l’Agora dans le 14e arrondissement, une figure des luttes marseillaises. « Le Covid, les batailles réprimées violemment pendant les “gilets jaunes”, la précarité qui augmente partout, tout cela a cassé une dynamique, et les habitants se détournent du national et de l’électoral pour une politique plus terre à terre, concrète. »

La militante historique, qui se situe plutôt à « à l’extrême gauche », ira encore voter Mélenchon cette année, « plus par devoir que par envie », sur la ligne défendue par les 120 signataires du collectif « Présidentielle 2022 : On s’en mêle » : « Nous, la fraction la plus fragile de la société, nous n’avons pas le luxe de subir un deuxième mandat Macron. »

Assia Zouane, militante dans l’association Les minots de Noailles, qui regroupe les mères des écoles de ce quartier central mais paupérisé de Marseille, a signé cet appel lancé par plusieurs militants historiques des quartiers populaires. Même si, « là où nous vivons, beaucoup ne se sentent pas vraiment concernés par la présidentielle ». Assia Zouane, en votant Mélenchon, fait simplement « œuvre utile » et choisit « son adversaire » : « Ici on sait qu’on va devoir se battre, dès le lendemain de l’élection, pour se faire entendre. Je préfère me battre contre les gens qui entourent Mélenchon. »

L’après-midi de débats au Coco Velten s’est achevé par des poings levés, la promesse de se revoir, des danses et un petit buffet. Au même moment, sous un mistral qui balaye la plage du Prado, Mélenchon s’est un peu attardé à bavarder avec quelques journalistes, accoudé sur une barrière.

« Cette campagne n’est pas ennuyeuse comme le disent certains, mais passionnante en raison des sujets : la guerre, la paix, les alliances, tout cela pousse à réfléchir », considère l’Insoumis, alors que des enfants en maillot de bain lancent pour rire des « Mélenchon, président ! ». De toute façon, « on ne peut pas faire plus », a reconnu celui qui peut d’ores et déjà s’enorgueillir d’avoir hissé ses propres couleurs loin devant les autres partis à gauche. De là à accéder au second tour ? Mélenchon a chassé l’air de sa main, comme s’il ne lui restait plus qu’à s’en remettre à son destin.

Mathilde Goanec et Pauline Graulle


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