LA question à leur poser avant le 10 avril : Préférez-vous l’extrême droite (ou Macron) à Jean-Luc Mélenchon ? C’est l’interpellation qu’adressent à Hidalgo, Jadot, Roussel, Poutou et Arthaud, deux citoyens chercheurs qui défendent un vote « d’utilité » en faveur du candidat de l’Union populaire.
Pas une seule fois à notre connaissance, un.e journaliste n’a demandé à Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou Fabien Roussel, Philippe Poutou ou Nathalie Artaud, qui ils préfèrent voir arriver au second tour de la présidentielle. C’est pourtant une question justifiée puisqu’ils ont intégré, chacun.e, qu’ils n’y parviendraient pas eux-mêmes. Il ne s’agit pas de leur reprocher cette occasion électorale de faire entendre leurs idées et ce qu’ils pensent apporter qu’aucun autre candidat ne propose. Mais leur stratégie sacrifie une opportunité de succès au moins relatif à gauche, puisqu’elle interdit l’accès au second tour à Jean-Luc Mélenchon, le mieux placé et qui porte un programme de rupture.
Ces candidats ne se contentent pas de lui faire barrage désormais par leur seule présence, ils lui réservent en plus une bonne part de leurs critiques, n’hésitant pas à reprendre les pires arguments contre lui (dernier exemple : l’invasion russe de l’Ukraine). Ils devraient se demander d’ailleurs pourquoi ils sont – parfois subitement – devenus les chouchous des médias. Jean-Luc Mélenchon, leur cible commune, n’est-il pas le seul à gauche à disposer d’une chance de dépasser le premier tour ? Sous réserve de rassembler les voix que les autres représentants se réclamant de gauche lui refusent !
Alors les questions à leur poser sont simples :
En agissant comme vous le faites, vous êtes donc objectivement des alliés de la candidate d’extrême droite en favorisant sa présence au second tour ? Vous sentez-vous plus proches de son programme (ou de celui de Macron !) que de celui porté par Mélenchon ? Cela ne vous gêne-t-il pas d’offrir un boulevard à Macron et à la droite libérale ?
Nous ne nous faisons pas ici les avocats du vote utile, en tous les cas au sens partisan du terme. Il s’agit d’utilité – pas d’utilitaire – pour la société française et le monde qu’elle partage – à commencer pour tous ceux qui y souffrent de la politique néolibérale de la globalisation et de ses conséquences délétères pour la planète. Et qui en ont assez d’attendre de « nouveaux jours heureux ».
Un seul exemple : le GIEC a rappelé les échéances rapprochées après lesquelles faire face à la crise écologique deviendra impossible. Avec l’arrivée de Mélenchon au second tour, c’est a minima l’assurance que celui qui sera élu (si ce n’est lui), outre le temps de campagne électorale préalable, devra tenir compte de ce que la « moitié » battue des Français veut. Evidemment, en cas de victoire de cette gauche, la politique écologique est mise en jeu immédiatement.
De même pour la crise politique (avec la refonte de la constitution), de même pour l’économie, la finance et la lutte contre la pauvreté (en obligeant les riches à renvoyer l’ascenseur à ceux qui les ont enrichis), de même pour la solidarité à l’endroit des fugitifs du monde entier, de même pour la révision des traités en vue de contribuer à la paix dans le monde, de même pour la réforme de la police et la sécurité, etc. !
Ils nous invitent à prendre cinq années de retard en nous faisant croire que c’est le « bon » calcul politique ? Mais n’est-ce pas plutôt de « jouissance du pouvoir » dont il faudrait parler pour ceux qui pousseraient un cocorico si par malheur le candidat de l’Union Populaire n’était pas au second tour ? Un cocorico qui loin d’être une promesse de lendemains qui chantent, serait objectivement, et quoi qu’en dise celui qui le pousserait, le cri d’un coco (pas réservé au seul diminutif de « communiste ») complice objectif du rico (riche) d’aujourd’hui, qui fait les poches des pauvres !
Les arguments de ces candidats pour maintenir leur candidature et obtenir les 5 % des suffrages (condition pour le remboursement des frais de campagne) sont que « Mélenchon clive », qu’il est trop radical ou qu’il ne l’est pas assez, qu’il leur a manqué de respect, et que nombreux seraient leurs électeurs potentiels à « ne pas aimer » Mélenchon. N’y a-t-il pas parmi les électeurs de Mélenchon des voix qui, bien que ne « l’aimant pas » font pourtant le choix de la raison, du cœur et de la santé publique en choisissant son bulletin ?
Vote-t-on par caprice ou pour se faire plaisir en mettant tel bulletin ? L’enjeu n’est-il pas tel que des personnes ayant par le passé soutenu l’un quelconque des autres choisissent cette fois Mélenchon ? Et ne pas voter pour un homme parce qu’il aurait mauvais caractère ou présenterait mal, n’est-ce pas avouer que l’on n’a pas ou peu d’argument politique, que l’on n’a pas lu son programme ? Au fond, n’est-ce pas cacher qu’on a déjà rendu les armes sur la possibilité d’un changement réel, qu’on a renoncé en fait par avance à prendre sa part dans les transformations que le monde appelle d’urgence ?
Une victoire de Jean-Luc Mélenchon, n’en doutons pas, exigerait notre mobilisation et notre concours à tous pour que son programme se réalise, par-delà nos différences et sa propre capacité.
Alors, oui, quelqu’un posera-t-il La question aux Hidalgo, Jadot, Roussel… : Vous préférez donc l’extrême droite (ou Macron) à Jean-Luc Mélenchon, et vous préférez accroître le retard de la mobilisation de notre société pour la résolution des crises actuelles du monde néolibéral plutôt que de collaborer avec lui ? Vos alibis et vos leçons de morale prennent l’allure de revendications narcissiques, de culture de la « petite différence », et cela sera sans nul doute retenu contre vous : enfin, si les nombreux rendez-vous ratés avec l’Histoire nous laissent encore un avenir... S’il y a de nouveaux jours heureux à espérer, c’est maintenant qu’il convient de les rendre possibles.
Marie-Jean Sauret Jean-Marc Lelièvre
publié le 21 mars 2022
Marie-Jean SAURET est psychanalyste à Toulouse, membre du Pari de Lacan, professeur émérite des universités, chercheur au pôle clinique psychanalytique du sujet et du lien social (LCPI) à l’université Jean-Jaurès.
Jean-Marc Lelièvre, chercheur en biologie moléculaire et cellulaire végétale
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