J’ai survécu au quinquennat Macron. Bilan personnel de 5 ans de guerre sociale totale.

lundi 21 mars 2022.
 

On ne va pas se mentir : cinq ans de régime macronien, ça pique partout sauf là où c’est bon. Petit prolo métèque né au début des années 90, j’ai connu Mitterand (ça nous rajeunit pas), Chirac, Sarko et Hollande ; mais rien n’y fait, j’ai l’impression d’avoir grandi sous Macron, tant le temps m’a paru long depuis qu’il est là.

Bon, je ne vais pas trop me plaindre non plus. Je n’ai perdu que mon appartement, expulsé par la mairie de l’un des principaux fanzouzes du président, Christian Estrosi, qui participe actuellement activement à sa campagne. Ainsi qu’un peu de temps en garde à vue, à la sortie du commissariat et aux procès des potes poursuivis pour avoir aidé des exilés ou s’être fait tabasser par des flics. Et l’intimité de mes données ADN et digitales. Et beaucoup de confiance dans la possibilité de boire tranquille une bière en manif sans risquer de finir handicapé à vie par un œil ou une main en moins. Et pas mal de droits sociaux, de libertés fondamentales, de qualité de vie. Une paille.

Ayant commencé ma carrière de chroniqueur ici-même au début du règne de Manu le Magnifique, avec un papier sur le « hold-up démocratique » qu’avait alors représenté à mes yeux cette accession, j’ai fait défiler hier, mon chat noir solidement calé sur les genoux, les nombreux billets que j’ai rédigé tout au long de ce quinquennat maudit, qui fut aussi agréable qu’une interminable soirée sans alcool à Vesoul un soir de pluie coincé entre un militant de l’UPR et un collectionneur de pin’s parlant de Cyril Hanouna. Résultat : je dois bien dire qu’à mesure que les années passent, on voit mon moral s’effondrer à vue d’œil, telle la dignité de Gerald Darmanin devant un parterre de syndicalistes policiers.

Cela avait commencé très fort, suite à l’accession du monarque bourgeois-beauf (on se rappelle de sa fameuse saillie sur les migrants comoriens, qui m’avait alors inspiré un article sur « la crasse vulgarité, condescendante et ignorante, de nos "élites" ») au trône, avec « la perspective peu réjouissante d’un parti unique tout-puissant (plus de 400 députés) à l’assemblée et posé là par la même portion congrue, c’est le moins qu’on puisse dire, du corps électoral que lors de la présidentielle : 15%. Les 15% de la France qui va bien, celle des CSP+ décidé à faire rouler la machine libérale à toute blinde jusqu’au mur –de toute façon, ce ne sont pas eux qui sont assis à la place du mort. Les 15% dans lesquels ont été piochés à la va-vite, pour être balargués dans toutes les circonscriptions, cette horde de candidats issus à 68% des classes supérieures, avec 20% de cadres du privé, 17% de chefs d’entreprise et, royalement, 0,2% d’ouvriers et 0,9% d’employés » (billet écrit après les législative). Cette même petite population fanatisée qui s’apprête aujourd’hui à nous faire rempiler pour 5 ans dans la joie.

Puis, après un été où je ne me rappelle plus très bien ce que j’étais allé foutre (je crois que j’’étais allé errer dans les Balkans, de Athènes à Sarajevo en passant par la Macédoine et le Kosovo, ou bien était-ce un autre été), j’avais ré-attaqué mes chroniques avec le compte-rendu du procès du jeune Raphaël, 19 ans, « jugé pour un crime qui ne peut susciter chez l’honnête citoyen qu’une grimace de dégout et un légitime et salutaire frisson d’horreur : il a pris des SDF Noirs en auto-stop sans leur avoir au préalable demandé leurs papiers. Pour ceci il risque, comme beaucoup d’autres, jusqu’à cinq ans de prison et 30.000 euros d’amende, en vertu de l’article L622-1, qui met en garde « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ». Un procès dont le souvenir prend désormais une tournure rigolote, ou exaspérante, c’est selon, quand on sait aujourd’hui la passion qui anime notre gouvernement pour l’accueil inconditionnel des réfugiés Ukrainiens.

Puis Manu avait commencé à faire semblant de s’intéresser à l’écologie. Travaillant alors comme ouvrier paysagiste (mais « jardinier », c’est plus joli), je m’étais lamenté du sommet organisé à Paris et nommé "One Planet Summit", « une nouvelle abomination destinée à nous faire croire qu’écologie et capitalisme ne sont pas incompatibles ». « Et Le Monde de s’extasier : « Paris redevient, le temps d’un sommet, la capitale de la lutte climatique ». Et qu’est-ce que le président nous sort de son chapeau ? Roulement de tambour : la « finance verte ». On en est donc là. » Le CAC40 avait annoncé en grande pompe sa conversion à l’écologie, et j’en avait alors subtilement conclu : « Quant à mon cul, il va très prochainement se transformer en poulet. » Cinq ans plus tard, mon cul n’est toujours pas du poulet, et Macron continue à s’en battre les testicules-cravates du climat comme de ses premiers dividendes.

L’une des caractéristique fondamentales de ce temps passé en Macronie fut celle-ci : les justes y furent systématiquement jugés par les pantins, comme l’avait formulé en 2018 lors d’un énième procès du copain Cédric. Rapidement, il nous est en effet apparu que le candidat présenté lors du second tour comme celui du « camp du bien » menait dans les faits une politique tristement similaire à celle qu’aurait pu mener le Pen, et à celle que menait l’extrême-droite de Salvini en Italie – et encore, nous n’en étions à cette époque qu’à l’apéritif ; les lois « séparatisme » et « sécurité globale », entre autres joyeusetés fascisantes, n’avait pas été promulguées.

Cette politique violente, et les remous qu’elle suscitait, donnèrent alors au régime, pourtant encore tout frais, une drôle de gueule, ainsi que je l’écrivais début novembre de cette même année 2018 : « Il règne une atmosphère de fin de règne en Macronie. Pourquoi cependant ne donne pas-t-elle pas lieu, dans les médias grand public, à un « Macron Bashing » semblable à celui subi par Hollande lors de son mandat ? Peut-être parce qu’il est la dernière chance, le dernier tour de piste, d’un système à bout de souffle, et qui refuse de mourir... » Je notais alors : « Les médias mainstream, semble-t-il, le défendront jusqu’à leur dernier souffle, avec les dents s’il le faut. L’affaire Benalla ? Une dérive individuelle. La démission de Hulot ? Le pétage de plomb d’un homme sensible. Les improbables péripéties qui ont entouré le départ de Collomb ? C’est le vieux malappris qui est coupable de haute trahison, pas le président. La bêtise crasse de bon nombre de députés LREM ? R.A.S. Le pathétique remaniement ministériel, sans cesse ajourné en raison de manque d’effectif pour intégrer un gouvernement dont plus personne ne veut ? Un nouveau souffle, s’exclament-t-ils tous ébahis. La polémique sur Pétain ? Une fatigue passagère –qui n’a jamais vanté Vichy un soir de coup de mou ? Les sorties ineptes du président sur les chômeurs, et les français en général ? Le recul sur les lois environnementales ? Les prévisions économiques à la baisse ? Les mesures antisociales ? Les échecs diplomatiques ? Circulez, il n’y a rien à voir et tout va bien ».

Soit à peu près le même syndrome dont ils sont atteint dans cette campagne électorale, où ils se sont tous mis d’accord, nous véhiculant unanimement ce message : il n’y a pas mieux que Manu, il est beau, grand, fort, brillant, il parle tous les jours à Poutine (enfin, à son répondeur, je suppose, Vlad l’empaleur n’ayant sans doute pas que ça à foutre de tailler le bout de gras quotidiennement avec un égo au moins aussi surdimensionné que le sien), bref c’est plié, ce sera lui, on a trouvé la meilleure marque de lessive donc pourquoi en changer. C’est d’ailleurs pour ça que le monarque bientôt à vie (pourquoi se priver) ne condescendra pas à descendre de son Olympe parfumé où il erre mal rasé en sweat pour « débattre » (quelle indignité, pour un homme de son rang) avec les laquais puants qui lorgnent sur son trône ; comme l’a exprimé de façon limpide l’un de ses domestiques, pardon, de ses députés, parlant du refus de Manu-le-Grand de participer aux débats précédant le premier tour de la présidentielle : « La qualité des personnalités en lice ne justifie pas que l’on s’abaisse à discuter avec elles » (Libé, 14/03, cité par le Canard).

Mais je m’égare, revenons au passé. Et au début d’un moment extraordinaire, dont je suis ravi d’avoir vécu assez pour l’avoir vu et vécu : le mouvement social des Gilets Jaunes (c’est d’ailleurs, anecdote, très personnelle, dans l’une de ces manifs, courant au milieu des jets de grenades lacrymo, que j’ai rencontré celle qui est aujourd’hui ma copine). Après quelques tergiversations, j’ai fini par rejoindre cette lutte, y consacrant de nombreux papiers, dont un était titré avec optimisme « quelque chose se prépare ».

Et le 23 mars 2019, j’avais écrit, certes un peu grandiloquent : « à l’occasion de la visite du dictateur Chinois, le pays cesse d’être une démocratie. Nous avons peur, et c’est normal. Des banlieues jusqu’aux montagnes, nous devrons pourtant sortir dans les rues. En paix. Avec un seul mot d’ordre : laissez-nous vivre. Rendez les clefs, et laissez-nous créer la société solidaire dans laquelle nous voulons que nos enfants grandissent. »

Bon, ce ne fut pas une réussite. Et deux jour plus tard, une fois sorti de ma cellule du comico : « Je suis un « émeutier »…et, en tant que tel, j’ai pu bénéficier hier, à Nice, du forfait à 135 euros « garde à vue pour outrage et participation armée [sic] à un mouvement interdit organisé dans le but de détruire » incluant une arrestation arbitraire + stockage dans un terrain vague + menottage à une chaise + des heures à 8 dans 9m2 sans toilettes + fichage ADN » (« je suis un émeutier », 25 mars)

C’est également ce jour-là, on s’en souvient, que mon amie Geneviève fut piétinée par une charge de la police, frôlant la mort ; notre monarque, plutôt que de lui présenter ses plates excuses, lui souhaita plus de « sagesse ». Il avait par ailleurs déclaré quelques temps plus tôt, toujours aussi subtilement : « La solution ne réside pas dans le face-à-face entre ceux qui profiteraient d’un côté et ceux qui seraient les vaches à lait de l’autre, comme j’entends parfois. Ce n’est pas vrai. Elle est dans un travail collectif très fin où il faut des travailleurs sociaux, où il faut des gens qui sont en situation de difficulté mais qu’on va davantage responsabiliser car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent ».

La « déconnade », pourtant, on commençait à bien voir de quel côté elle était ; et à celles et ceux (dont ma maman) qui se muraient dans le déni, j’avais alors rédigé une adresse, où j’affirmais en préambule : « Le gouvernement n’est plus dans une « dérive » autoritaire : il est en plein dedans. Il est donc grand temps pour les autres citoyens de ce pays de se réveiller : la lutte qui commence aujourd’hui n’est pas celle des « gilets jaunes », elle doit être celle de tous, avec ou sans gilet. C’est la démocratie elle-même, celle d’une république sociale et solidaire, qu’il s’agit de reconstruire. »

S’ensuivirent, pêle-mêle, un article sur le procès de mon ami Loïc, relaxé puis condamné en appel, sur « l’omerta dans l’hôpital public » (tiens tiens) et une enquête où je suis allé recueillir la parole d’ambulanciers en déroute, « une enquête que nous avons eu du mal à mener et à diffuser, car la peur des professionnels qui ont accepté de nous parler est étouffante. Peur de représailles de la part de directions dont le management par la peur est régulièrement épinglé. Ces paroles brisées disent beaucoup des souffrances du monde hospitalier » (tiens tiens, bis, nous étions alors un an avant la pandémie).

Bon, et c’est aussi à ce moment-là que mes papiers commencent à laisser transparaitre, disons, un début de gros coup de mou, comme dans « Travailler mon cul », dans l’introduction duquel j’écris : « Ne travaillez pas, vous serez traqués. Travaillez, vous serez floués. A l’heure de la « réforme » du chômage, tandis que la CAF me colle un procès parce qu’elle me réclame un papier qui n’existe pas, et que mon boulot salarié me rapporte à peine la moitié du smic, j’ai envie de dire un peu ce que je pense aux apologistes macroniens du travail-à-tout-prix et de la lutte-contre-l’assistanat. ».

Parce que Macron, ça a été ça : 5 ans de guerre sociale totale contre les précaires, les pauvres, les marginaux ; et la précarisation, la paupérisation, la marginalisation brutale d’une grande partie de la population, celle-là même qui occupa massivement les ronds-points, avant d’en être expulsé à grands renforts de bulldozers.

2020 survint. Après un passage par Lyon pour le procès en cassation (victorieux) de Cédric, et avoir appris notre future expulsion, suite à un procès perdu contre la mairie, une bonne nouvelle vint cependant éclairer mon avenir : une pandémie s’était déclarée, venue de Chine, contre toute attente, malgré les discours rassurant de la ministre de la santé Agnès Buzyn, elle était parvenue jusqu’à nous, et un confinement, mesure jamais vue, allait nous accorder un (long) délai dans l’application de la peine.

Je ne vais pas revenir sur le sketch lamentable que la bande de clowns de la Macronie nous a offert lors de la crise du Covid. En soi, tout ceci devrait constituer un dossier assez accablant pour que Manu n’ait pas eu l’audace de venir prétendre à être reconduit au pouvoir, comme un ivrogne qui se repointe demander un verre offert par la patronne dans le bar où il a vomi partout la veille.

Pendant ce temps-là, cette stupéfiante époque du confinement, avec les potes, nous ne sommes pas restés inactifs ; avec le Secours Populaire et Emmaüs Roya, nous avons fait des maraudes, « livrant des dons alimentaires aux SDF, aux personnes replacées et à celles en difficulté. Au front, entre angoisses et dénuement, confrontés sur le terrain à la gestion très hasardeuse de cette crise par les pouvoirs publics. Mais toujours solidaires » ; et moi, progressivement, j’ai fini par péter les plombs, outré par le foutage de gueule du pouvoir : « Je ne supporte plus de voir les coupables pérorer, et appeler à l’union sacrée. « Nous sommes en guerre » ? Non, monsieur Macron. En lutte. Contre vous et vos semblables, toujours. Et quand nous sortirons de nos trous… les survivants iront chercher les morts-vivants du pouvoir, au nom et en mémoire de tous les vrais morts » (« Quand nous sortirons de nos trous ») ; « Le président va parler ce soir. Il va essayer de nous calmer. Nous dire de ne pas avoir peur. Mais c’est lui qui a peur. Peur pour « après ». Et il a bien raison. « Les agents du service central du renseignement territorial alertent sur le risque d’embrasement de la contestation sociale à la sortie du confinement » (le Parisien). Comment peut-il en être autrement ? » (« Il n’y aura pas de retour à la normale ») ; « Leur monde s’effondre, laissons-les couler. Il n’y a que le premier pas qui coûte. Les alternatives sont déjà là, nous les pratiquons depuis longtemps. Faisons sédition » (« Faire dissidence à leur monde »)

Je ne fus pas le seul, d’ailleurs. Au jour 35 du confinement, suite à un accident impliquant la police, des émeutes ont secoué Villeuneuve-la-Garenne. Mais aussi Aulnay-sous-Bois, Gennevilliers, Grigny, Amiens, Toulouse. Des Centre de Rétention Administratives (CRA) et des prisons s’embrasent également. J’avais alors cité Brecht : « On dit d’un fleuve en crue emportant tout qu’il est violent. Mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent ».

Ce bilan commence à être long, je vais donc faire un saut dans le temps, après le confinement, m’enfonçant donc toujours plus profondément dans ma dépression : « Ça va. Il y a Darmanin à l’intérieur, Dupont-Moretti à la justice, et Bachelot à la culture. « Grosses têtes », culture du viol et corrida. La crise économique nous frappe tous : c’est la dèche. Les identitaires ont tapé des potes ce week-end. Les flics manifestent pour leur droit à nous étrangler. Tout régresse, avec l’ombre du virus qui plane. Ça va ? Moi, j’ai un petit coup de moins bien... » (« Quelque chose qui ne va pas ») ; « Là-haut y’a plus personne qui s’occupe de vous ! Il est temps que la meute hurle ! Parce qu’on est tous des punks à chiens. Tous ! » (NOT, dans le film Le Grand Soir, que je cite dans mon papier « Parce qu’on est tous des punks à chiens »).

C’est en effet à ce moment, à la rentrée 2020, après le montage en épingle par l’extrême-droite et les médias dominant d’un prétendu « été Orange Mécanique » purement fantasmatique, que le macronisme est entré dans sa phase « d’ensauvagement » la plus hardcore, avec des flics en roue libre qui protestaient pour leur droit à étrangler en paix et poursuivaient en justice (et gagnaient, bien sûr) des potes pour des slogans prononcés lors d’une manifestation, et une parole gouvernementale fasciste décomplexée qui a donné des ailes aux nazillons de tout le pays, dont certains allèrent me chercher en bas de chez moi. Comme je l’ai écrit alors : « Nous, ou la barbarie ? la possibilité du fascisme ? Ils ont fait leur choix. Devinez lequel… » La société macronienne, entre dystopie sanitaire et délire sécuritaire, se faisait de plus en plus invivable, ne nous donnant plus qu’un choix : mourir de faim, ou d’ennui. Et je ne crois pas qu’on ait encore trouvé la sortie de cette impasse.

Tempête Alex, venue de Macron, l’extraterrestre en costume, dans la Roya (« Alors qu’il est temps qu’ils sachent que tant qu’ils se prendront pour nos chefs, là où nous vivons, ils ne seront jamais les bienvenus, parce qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes et leur classe »), assassinat abject de Samuel Paty, avec les mots qui commencent à manquer pour dire la sidération et l’horreur, mais parfois il est bien mieux de se taire pour ne pas ajouter de la douleur à la douleur, fermeture de mon bar favori, lieu « inutile », ma vie ma bataille, mon agora, mon ilot autogéré et démocratique, à cause de restriction sanitaires débiles, délire complotiste généralisé sur fond de désinformation d’Etat, effondrement d’une gauche devenue inaudible… Le cauchemar s’installe : « J’ai fait un cauchemar. Les services publics étaient en miettes. La pauvreté explosait. Les bars étaient fermés. Les manifestations étaient prohibées. Les facs étaient closes, comme tous les lieux de culture. Vendre des livres était interdit. Des attestations étaient nécessaires pour circuler dans les rues. Il y avait des flics partout. Une seule chose m’était permise : travailler. Puis je me suis réveillé, et quelle ne fut pas ma joie de constater que c’est bon, je m’étais levé à temps pour aller bosser ».

Pendant que les médias dominants, les députés LREM, les grands patrons et les millardaires continuent à communier dans leur amour pour Emmanuel le Grand, premier du nom, une grande partie de la population se retrouve donc à ne pouvoir prier qu’une sainte : Notre-Dame-des-démolis. Celle à laquelle, faute d’aide de l’Etat, des personnes comme mon porte Barbie, à la rue, doivent faire appel : « C’est l’hiver mais j’ai un voisin, à sa maison, il manque deux murs : c’est une allée. Un passage donnant sur la mer. On l’appelle Barbie, c’est mon pote. Il dit qu’il est « plus riche que les riches », sauf lorsqu’il se fait harceler par la police et la mairie, comme 300 000 autres personnes à la rue, et comme les « logés » expulsables tels que moi. » (« La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement », ce qui est bien sûr une citation de Macron himself).

La lutte ne s’arrêta pas, bien entendu, en 2021, contre Manu et son monde. Avec l’ami Kaddour, nous « dansons encore » (un titre que nous avons chanté chez nous, avec lui, avant même qu’il ne deviennent un tube national), joyeusement et effrontément, sans attendre « qu’"ils" nous promettent une subvention, un programme, un numéro vert, qu’ils « prennent acte » : l’Etat, c’est pas mon père » (« Ne nous libérez pas, on s’en charge »), ce qui me poussera évidemment à déclarer de façon spectaculaire (non.) ma candidature à la présidence de la république, fort d’un programme complet titré « votez punk à chat ».

Ce qui n’empêche pas, certes, mon équilibre psychique de devenir de plus en plus préoccupant : « Chères générations futures, si vous lisez ce message, c’est que vous l’avez trouvé à côté de mon corps, enterré très profond, le plus loin possible de mes contemporains (tout particulièrement de Pascal Praud) afin que vos archéologues ne pensent pas que j’étais en rapport avec eux. Et si je vous écris, c’est pour vous expliquer comment nous sommes tous devenus fous » (« Plus rien n’a de sens »). Moins préoccupant, cependant, que celui d’un certain nombre d’amis, dont Pierrot, qui finira par se faire interner en psychiatrie : « Toi, mon pote, notre camarade de toutes les luttes. Toi qui aime tant être libre, et qui n’a pas supporté de ne plus l’être du tout dans un monde qui, depuis un an, part en grumeaux, et notre joie avec » (« Un ami est tombé »).

Des mois et des mois à écouter le gouvernement dire des conneries au kilos pour justifier des mesures liberticides de plus en plus absurdes, tandis que « dans la rue, y a plus que des matons / tout est si calme, ça sent le pourri », comme le chantait la Mano Negra (je me prendrais d’ailleurs une amende pour un petit rassemblement revendicatif pour la culture, les intermittents précaires, les hospitaliers, et contre un régime sanitaire-sécuritaire, alors même que ce happening inoffensif était légal et déclaré), il faut dire, ça use. Heureusement, le long mouvement social d’occupation des théâtres me permettra de passer de nombreuses nuits joyeuses, solidaires et chantantes, de retrouver le gout de la lutte collective –et de poser à poil en soutien à Corinne Masiero.

Puis, après un « bref été en anarchie » durant lequel, avec les copaines, nous avons continué à mener à bien les « arts de la résistances » face à l’ère des « fascistes-rois », et de la « violence d’extrême droite libérée par le cynisme et l’irresponsabilité du pouvoir macroniste » (Edwy Plenel), c’est à nouveau la douche froide : tandis que toute lutte, tout vie semble vouée à être brimée et étouffée « sans un bruit », notre expulsion a lieu : « 9h50. Je reçois un texto : « C’est fini… » J’éclate en sanglots. Je suis officiellement SDF. Ils sont venus, ils ont défoncé la porte. De chez moi, chez nous, chez notre chat, dans notre lieu de vie, notre paradis, notre zone à défendre, notre petit appartement du Vieux-Nice où nous vivions heureux. La guerre sociale contre les pauvres nous a mis à terre. Mais on se relèvera. Comme toujours. » Même si avec l’arrivée de nouvelles fantaisies sécuritaires comme le passe sanitaire, puis vaccinal, qui acte que « notre nation comprendra donc son lot officiel de parias mis au ban de toutes les formes de sociabilité quotidienne, ultime conséquence logique d’une société reposant sur l’invisibilisation des indésirables et des « scélérats » -qu’ils crèvent de leur côté » (« Pirates de tous les pays »), l’ambiance se fait de plus en plus oppressante.

Puis ce fut le début d’un hiver atroce, terne, gris et triste comme la gueule de Zemmour, un long hiver dont nous ne sommes pas encore sortis, et qui aura vu notre pays « vivre sous la coupe d’une minorité hargneuse, disposant de relais influents, qui décide ce qu’on doit dire, qui dicte tous les débats, impose ses figures et « cancel » celles qui lui déplaisent, squatte les antennes et voit tous ses caprices portés à la une des journaux et sur les plateaux -et même jusque dans les universités. Et non, je ne parle pas des « woke »… » (« La minorité totalitaire »).

Seule lueur d’espoir en un monde meilleur en cette période immonde, l’arrivée de ma petite nièce, Nina, à laquelle j’ai promis, dans une lettre : « Il y a toute une bande de tatas et de tontons incroyables, que j’imagine maintenant tous et toutes penchées sur ton berceau, toute une assemblée de joyeux drilles à la dégaine bonne à faire vomir le premier Zemmour venu, et c’est tout ce qu’on lui souhaite, toute une agora de copaines qui chaque jour, de concert d’accordéon punk en maraude à la frontière de Vintimille, les mains tatouées dans la terre du potager de quartier, au milieu des bottes de foin des collines de Nice et d’ailleurs, sur les chantiers participatifs, ou en chantant désespérément dans les rues, un verre de rouge à la main, toutes ces personnes qui construisent pour toi, et pour tous les autres pitchoun, une société dans la société, un petit cocon dans lequel tu seras bien, ma Nina, en attendant que ce cocon, ça soit notre planète entière, je sais, dit comme ça, ça a l’air impossible, mais je te jure, on y arrivera, on y arrivera un jour. »

Et aujourd’hui, en 2022, me voilà : j’ai survécu. Cinq ans, bordel. « Mais qui peut donc encore vouloir voter Macron ? », se demandait récemment Nicolas Framont dans Frustration. Oui, la question se pose, effectivement. Pas celles et ceux qui ont perdu la vie, un œil, une main, leur maison, leur travail, leurs projets d’avenir, leurs revenus, en tous les cas. Mais hélas, comme l’écrit Framont, « Macron bénéficie du chaos qu’il a semé. En transformant l’assurance-chômage en organisme de charité qui vous engueule, l’hôpital en service sous-doté où l’on vous malmène, l’Éducation nationale en loterie inégalitaire où l’on humilie vos enfants, le travail un lieu où l’arbitraire patronal peut briser toutes les résistances collectives, il a détruit en nous tous l’idée qu’ensemble, on est plus fort. ».

J’espère que le mois d’avril lui donnera tort. Je ne suis pas sûr de pouvoir supporter tout ça cinq années de plus. Et j’aimerais, pour changer, pouvoir écrire sur autre chose que la guerre qui nous est faite.

Plus jamais ça.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn


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