Manifeste : socialistes et communistes russes contre la guerre

dimanche 13 mars 2022.
 

Ce jour, la coalition Socialistes contre la guerre, composée de militants socialistes et communistes russes, publie un « manifeste » dans les colonnes du média Rabkor (Рабкор).

Fondé en 2008 par le sociologue marxiste Boris Yulievich Kagarlitsky — qui a participé à la création du Front de gauche russe (Левый фронт) et fut incarcéré, en septembre 2021, pour un appel à participer à une manifestation —, le magazine s’avance à la fois comme socialiste, anticapitaliste, démocratique et adversaire du « libéralisme occidental ». Afin de ravitailler — en plusieurs temps — la discussion en cours au sein du camp de l’émancipation francophone, nous traduisons leur manifeste. Ils se dressent contre l’opération militaire diligentée par le gouvernement de Vladimir Poutine, dans le cadre d’une guerre longue de huit ans déjà : en plus d’être criminelle, l’invasion de l’Ukraine paralysera toute critique des « intrigues des faucons des États-Unis et de l’OTAN ».

Le gouvernement russe a trahi ses promesses de paix et de stabilité, entraînant le pays dans la guerre et la catastrophe économique.

Comme toutes les guerres de l’Histoire, celle-ci nous divise tous en deux pôles : pour et contre. La propagande du Kremlin tente de nous convaincre que la nation est unie derrière le gouvernement — et que ce sont les pitoyables renégats, les libéraux pro-occidentaux et les mercenaires ennemis qui, seuls, demandent la paix. C’est un mensonge insoutenable. Cette fois, les anciens du Kremlin se trouvent en minorité. La plupart des Russes ne veulent pas d’une guerre fratricide, même parmi ceux qui ont encore confiance dans le gouvernement russe. Ils ferment les yeux du mieux qu’ils peuvent pour ne pas voir comment le monde dessiné par les propagandistes russes se désintègre devant eux. Beaucoup espèrent encore qu’il ne s’agit pas d’une guerre, encore moins d’une guerre agressive, mais d’une « opération spéciale » destinée à « libérer » le peuple ukrainien. Les images terribles de bombardements et de pilonnages brutaux des villes auront tôt fait de détruire ces mythes. Et, alors, même les électeurs les plus fidèles de Vladimir Poutine diront : nous n’avons pas donné notre consentement à cette guerre injuste !

Aujourd’hui déjà, des dizaines de millions de personnes dans tout le pays ont exprimé leur horreur et leur dégoût face aux actions de l’administration Poutine. Il s’agit de personnes de diverses obédiences. La plupart, contrairement à ce que prétendent les propagandistes, ne sont pas des libéraux. Parmi eux, on trouve un grand nombre de personnes de gauche, socialistes ou communistes. Et, bien sûr, ces personnes — la majorité de notre peuple — sont d’authentiques patriotes.

On nous dit que les opposants à cette guerre sont des hypocrites — qu’ils ne sont pas contre la guerre mais pour l’Occident. C’est un mensonge. Nous n’avons jamais été des partisans des États-Unis et de leurs politiques impérialistes. Lorsque les troupes ukrainiennes ont bombardé Donetsk et Louhansk [villes situées sur le territoire ukrainien et constituées, par les mouvements séparatistes, en capitales des « Républiques populaires » éponymes depuis 2014, ndlr], nous ne nous sommes pas tus. Nous ne nous tairons pas non plus maintenant, lorsque Kharkiv, Kiev et Odessa sont bombardés sur ordre de Poutine et de sa camarilla. Il y a tellement de raisons de lutter contre la guerre. Pour nous, défenseurs de la justice sociale, de l’égalité et de la liberté, plusieurs sont particulièrement importantes.

- Il s’agit d’une invasion injuste. Il n’existe aucune menace pour l’État russe qui justifierait l’envoi de nos soldats pour tuer et mourir. Ils ne « libèrent » personne. Ils n’aident aucun mouvement populaire. Ils ne sont rien d’autre qu’une armée régulière qui démolit de paisibles villes ukrainiennes sur ordre d’une poignée de milliardaires qui rêvent de garder à jamais leur emprise sur la Russie.

- Cette guerre produit des désastres incalculables pour nos peuples. Les Ukrainiens et les Russes la paient de leur sang. Longtemps après que la poussière sera retombée, la pauvreté, l’inflation et le chômage toucheront tout le monde. Ce ne sont pas les oligarques et les bureaucrates qui paieront la facture mais les pauvres enseignants, travailleurs, retraités et chômeurs. Beaucoup d’entre nous n’auront pas les moyens de nourrir leurs enfants.

- Cette guerre va transformer l’Ukraine en décombres et la Russie en prison. Les médias d’opposition ont déjà été fermés. Des personnes sont mises derrière les barreaux pour avoir partagé des tracts, tenu des piquets inoffensifs et, même, diffusé des messages sur les réseaux sociaux. Bientôt, les Russes n’auront plus qu’un seul choix : la prison ou l’enrôlement. La guerre produit des dictatures comme les générations vivantes n’en ont jamais vu.

- Cette guerre multiplie tous les risques et menaces pour notre pays. Même les Ukrainiens qui, il y a une semaine, sympathisaient avec la Russie s’enrôlent à présent dans la milice pour combattre nos troupes. Par son agression, Poutine sape les critiques des crimes des nationalistes ukrainiens et de toutes les intrigues des faucons des États-Unis et de l’OTAN. Poutine leur a donné les justifications pour installer de nouveaux missiles et des bases militaires le long de nos frontières.

- Enfin, lutter pour la paix est le devoir patriotique de chaque Russe. Non seulement parce que nous sommes les gardiens de la mémoire de la pire guerre de l’Histoire [allusion à 1939–1945, ndlr], mais aussi parce que la guerre en cours menace l’intégrité et l’existence même de la Russie.

Poutine cherche à lier son propre destin au destin de notre pays. S’il y parvient, son inévitable défaite sera celle de la nation tout entière. Nous pourrions alors être confrontés au sort de l’Allemagne d’après-guerre : occupation, division territoriale, culte de la culpabilité collective.

Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter ces catastrophes : nous-mêmes, les hommes et les femmes de Russie, devons arrêter cette guerre. Ce pays nous appartient à nous et non à une poignée de vieillards désemparés, avec leurs palaces et leurs yachts. Il est temps de le reprendre. Nos ennemis ne sont pas à Kiev et Odessa, mais à Moscou. Il est temps de les mettre dehors. La guerre, ce n’est pas la Russie. La guerre, c’est Poutine et son gouvernement. C’est pourquoi nous, socialistes et communistes russes, sommes contre cette guerre criminelle. Nous voulons l’arrêter afin de sauver la Russie.

Non à l’intervention !

Non à la dictature !

Non à la pauvreté !


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