La science, les gauches et le covid

lundi 17 janvier 2022.
 

Cela n’aura échappé à aucun.e d’entre nous : depuis plusieurs mois – voire depuis le début de la pandémie –, diverses formes de protestations s’organisent contre la gestion de la crise sanitaire, ou tout simplement contre les « mesures covid » en elles-mêmes.

Ces mouvements, fort présents dans l’ensemble des pays occidentaux, ont généralement été qualifiés de « confusionnistes » ou de « complotistes » par plusieurs observateurs, et par les grands média qui se sont de plus en plus intéressés au phénomène au fil des mois.

Bien que ces mouvements aient une base populaire large (au sens d’avoir un caractère massif dans le nombre de personnes mobilisées), la plupart des mouvements sociaux, à gauche de l’échiquier politique, ont émis des réserves quant à ces mobilisations et n’y ont relativement pas participé, sauf dans le but de faire de la contre-information aux contenus complotistes.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce comportement de la gauche par rapport à ces mobilisations, et comment peut-elle reprendre l’initiative de la contestation de la gestion de la pandémie de Covid-19 ? C’est ce que nous allons explorer dans ce texte, en revenant sur quelques éléments d’analyse clés, avant de proposer quelques perspectives concrètes.

Les réserves de la gauche

Ce qui explique les réserves de la gauche par rapport aux « mobilisations covid » est d’abord son attachement à la rationalité et aux sciences : contrairement à ce que bien des contenus complotistes avancent, il n’y a ni doute sur l’existence du virus, ni sur l’efficacité des vaccins, ni sur le besoin d’avoir des politiques sanitaires permettant de ne laisser personne sur le côté, en particulier les personnes les plus fragiles (et bien souvent les plus précaires) de la société.

Une fois le constat de l’importance de la rationalité posé, il devient donc relativement impossible de « faire alliance », même de manière tactique (donc sur un court terme ou sur des évènements bien précis uniquement) avec les groupes prétendant avoir un « discours alternatif » sur la pandémie et sur la légitimité des mesures.

Une seconde raison explique la distance maintenue par la gauche avec ces mobilisations : la plupart des mots d’ordres qui y sont mis en avant sont clairement populistes, voire véhiculent des messages inacceptables (comparaison entre la vaccination et la Shoah, port de l’étoile jaune par les non vacciné.e.s …), fleurtant de près avec des conceptions eugénistes qui ont toujours caractérisées l’extrême droite et le fascisme. Nous nous devons d’être les plus clair.e.s sur ce sujet : ce n’est pas parce qu’une thématique est populaire, qu’elle touche un grand nombre de personnes, qu’elle est juste. Ceci est une de nos principales différences avec les mouvements populistes : nous ne surfons pas sur la vague simplement parce qu’elle se présente. Nous devons rester attachés aux valeurs qui ont toujours caractérisées la gauche : la solidarité, l’égalité, la lutte pour l’émancipation. Les messages rétrogrades faisant référence au national-socialisme n’ont rien à faire dans les rues. Comme depuis toujours : No pasaran !

Une fois ces réserves explicitées, la gauche doit émettre un discours critique, elle doit continuer à mettre en avant ses propres revendications et sa lecture de la pandémie.

Science et politique

Car deux choses doivent être distinguées : d’une part les questions scientifiques liées à la séquence pandémique, d’autre part la gestion politicienne de la pandémie elle-même.

Sur le côté scientifique, il est important de souligner et de réaffirmer que seules les personnes ayant une formation scientifiques adéquate sont compétentes pour analyser la situation d’un point de vue épidémiologique et virologique.

Leurs analyses doivent évidemment être complétées par des analyses sur les retombées mentales et psychologiques des différentes mesures, ainsi que par des analyses de sciences humaines – ce qui n’a pas été fait dans les groupes d’experts mandatés par le gouvernement, alors que plusieurs scientifiques demandaient cette ouverture à d’autres spécialités complémentaires aux leurs. Le choix de ne considérer comme seuls « experts » – rédigeant les rapports sur lesquels les politiques se basent pour prendre leurs décisions – les représentants du monde médical (et d’une partie restreinte de celui-ci, il faut rappeler l’absence des médecins généralistes, pourtant en contact direct avec les patient.e.s, etc.) et économique est donc bien un choix politique. D’ailleurs de nombreux experts des autres disciplines publient articles et textes afin de donner des analyses complémentaires.

Une fois que ce savoir de type bien particulier qu’est la science a été sanctuarisé (ce qui est nécessaire au vu des discours largement propagés ces derniers temps), il faut également rappeler que d’autres savoirs, les savoirs-faire, sont également cruciaux en terme de gestion de maladies infectieuses, ou de situation de crise sociale en général. Que ce soient les savoirs-faire des couturier.e.s qui cousent des masques (alors que l’état n’est pas capable d’en fournir), aux savoirs infirmiers, aux savoirs du soin des unes et des autres, … c’est l’ensemble de la société et de ses richesses qui sont nécessaire afin de surmonter des évènements comme ceux que nous vivons.

Il faut également mettre en avant ce qui pourrait être appelé une une « résilience » de la communauté scientifique/ de l’institution scientifique : bien que des médecins aient utilisés leurs positions de pouvoir (dans des instituts ou à des postes clés de publication) afin de faire passer leurs « traitements » comme légitimes (pas besoin d’évoquer la molécule qui aurait été le remède miracle à la pandémie), l’institution scientifique, de par ses instances de contrôle interne (comme l’ordre des médecins par exemple), a réussi à ramener une concorde dans les interprétations scientifiques, avec au besoin l’application de sanctions contre les cas avérés de charlatanisme ou de diffusion de fausses informations sous couvert d’autorité scientifique.

Rappelons que ces charlatans ont du sang sur les mains : ils sont responsables de retard dans la recherche, de falsification de résultats, etc. ce qui revient à faire perdre de l’efficacité aux soins et entraîne donc une plus grande mortalité. De plus, la distillation permanente d’un « doute » quant à la légitimité de l’institution scientifique a détourné plus d’une personne des thérapies efficaces qui auraient pu dans bien des cas, soit leur sauver la vie, soit leur éviter de graves soucis de santé (nous pensons ici bien évidemment à la campagne de contre-information sur les supposés dangers disproportionnés de la vaccination).

Malheureusement, bien qu’une certaine stabilité soit revenue dans l’institution scientifique – et cette stabilité est le gage de son bon fonctionnement – ce constat n’est pas partagé en dehors du monde de la recherche et de la science, car il y a trop peu de communication entre le monde savant et le monde quotidien. Si ce fait était mis plus en lumière, il est probable que bien des personnes « doutant » de l’activité scientifique seraient plus rassurées.

Il faut également souligner, bien que nous soyons ici dans le cas de la gestion politique de la science, le fait que les subsides gouvernementaux vont, et c’est le cas depuis des années maintenant, majoritairement voire exclusivement à la recherche appliquée (celle qui permet de construire des machines, d’avoir un retour sur investissement très rapide) et non pas à la recherche fondamentale, ce qui empêche une recherche efficace qui permettrait d’anticiper les futures crises possibles.

En bref, bien que peu habitués à la communication et aux débats en dehors de leur communauté, les scientifiques ont fait leur boulot, et l’ont même très bien fait. Les résultats autour desquels il y a un consensus scientifique ne devraient donc pas être remis en question, sauf si un faisceau d’indices (interprétable par les gens sachant détecter ces indices, donc étant formés et travaillant dans le monde médical et scientifique) venait à faire penser le contraire. En bref, la démarche scientifique, hypothético-déductive [1], a une fois de plus montré son efficacité, ses bases intangibles. Cette démarche doit rester un de nos phares dans un monde où la confusion et les contre-vérités sont de plus en plus propagées.

Il faut maintenant en venir au second volet de la question, à savoir la gestion politique. Et si la gauche, attachée au rationalisme, n’a rien à redire sur le volet scientifique, elle peut et doit en revanche poser une analyse politique.

Le fait est clair, et personne ne le conteste : la gestion de la pandémie est catastrophique.

Il n’y a pas de mot assez puissant pour décrire les incohérences, mesures absurdes et sans la moindre légitimé sanitaire, les sorties de telle ou telle personnalité politique voulant faire du « buzz », etc., qui ont ponctuées la (non) gestion de cette crise depuis presque deux ans maintenant.

Faut-il rappeler que nos gouvernant.e.s ne trouvaient pas d’utilité aux masques au début de la pandémie (là où les scientifiques étaient relativement unanimes sur leur importance), les mauvaises gestions dans les divers stocks, l’obligation faite au personnel soignant de continuer à travailler tout en étant testé.e.s positif.ve.s au virus (on voit l’importance de la représentation et du spectacle pour nos gouvernant.e.s), l’imposition d’un couvre-feu, l’abandon des personnes âgées, des mesures plus incohérentes les unes que les autres (fermer les petits commerces mais laisser les grandes multinationales produire et exporter),… il serait vertigineux de rappeler tout ce qui n’a pas été…

Ce que démontre l’état, c’est son incapacité totale à gérer une crise sanitaire d’ampleur. Pourquoi ? Faut-il impliquer ce fait à des personnalités politiques malintentionnées qui ne penseraient qu’à leurs intérêts sans se soucier aucunement du bien commun ? En partie oui, comme cela a toujours été le cas dans le système représentatif et dans le capitalisme de façon générale.

Mais une cause bien plus profonde explique ce phénomène, et cette cause ne peut se réduire à l’action de personnes particulière. Cette cause, elle a un nom : capitalisme.

En effet, le but premier du capitalisme est de faire le maximum de profit, en un minimum de temps. Et, jusqu’il y a peu, pour la plupart des personnes, c’était le seul système politique réaliste, envisageable, seul.es. quelques personnes rêvant d’un autre monde plus juste et étant qualifiées pour cela d’idéalistes.

Or, les faits donnent tort à cette vision des choses. Le capitalisme peut fonctionner pour enrichir une petite élite sur le court terme, mais est complètement incapable de prévoir des crises sur le long terme. Il n’est qu’à évoquer les pénuries de masques, respirateurs, de lits dans les services de soins intensifs, du manque de personnels soignants pouvant exercer leur métier dans des conditions de travail dignes, du sous-financement structurel des soins de santé et des services publics depuis des années… Les causes de la gestion catastrophique, les voici en grande parties énoncées. Deux ans après, rien n’a toujours été fait pour résoudre ces questions. Les inondations de juillet en province de Liège n’étaient qu’une illustration supplémentaire de l’incapacité (et de la non-volonté) étatique de faire face aux réalités de la population.

Il faut également souligner le « réflexe » des pouvoirs régaliens consistant à utiliser la répression dès que la situation n’est plus sous leur contrôle, ce qui explique un autre volet de la gestion pandémique catastrophique. Des soignant.e.s sont épuisé.e.s et se mettent en grève, le ministre de la santé les menace de licenciement et de poursuites judiciaires. Un scientifique, ancien membre des groupes d’experts, proclame à la radio que la rupture entre le gouvernement et les scientifiques est consommée ; la culture, sur base d’affirmations scientifiques solides, annonce qu’elle ne se pliera pas au décisions du Codeco, se mobilise afin de mettre ses revendications en avant… Et que fait le gouvernement ? Il appelle à plus de vigilance et de fermeté… à plus de répression. Voilà sa réponse à une crise sanitaire. Le gouvernement est en grande partie responsable de la confusion ambiante et de l’extrémisme d’une partie de plus en plus grande de la population.

On soulignera d’ailleurs que les divers groupes confusionnistes n’ont pas relayés les mobilisations du secteur culturel et semblent moins enclins à protéger la « liberté » quand leurs récits de complots ne sont pas aux commandes des mouvements de protestation…

Pas de futur sous le capitalisme

En tant que mouvements de gauche, nous devons répéter ce que nous disons depuis des années : il n’y a pas de futur viable dans ce système politique et économique. D’un point de vue écologique, nous savons que les pandémies, les catastrophes naturelles, les migrations climatiques, etc., ne vont que s’accélérer dans les années à venir.

Jusqu’il y a peu nous étions vu comme des idéalistes ou des rêveur.euse.s. Aujourd’hui, nous sommes les seul.e.s à porter une parole crédible : il n’y a pas d’alternative, il faut changer de système.

Et c’est précisément ce message que ne mettent jamais en avant les groupes confusionnistes : NON, nous ne voulons pas retrouver nos petites libertés de consommateurs d’avant la séquence pandémique. Nous voulons tout à fait autre chose : nous voulons un changement radical du système politique, dans lequel la sécurité sociale et alimentaire, la prévention des catastrophes écologiques, l’inclusion de chacune et chacun dans leurs diversités seraient le cœur de l’attention.

Et quand ce seront ces valeurs qui seront au centre des décisions, et non plus le maintien de l’économie irréelle, des flux de marchandises incessants et de l’e-commerce ; alors nous pourrons envisager des gestions sensées et raisonnables des crises auxquelles nous ne manquerons malheureusement pas de faire face à l’avenir.

Une fois cette analyse politique posée, il faut parler du présent, de ce que nous devons faire dès aujourd’hui. Nous devons nous auto-organiser. Toutes et tous, partout. C’est la seule réponse légitime que nous devons donner à la fonction réelle de l’état (protéger le capital) et aux discours réactionnaires.

Nous sommes capable de mettre en place nos propres protocoles sanitaires –et nous sommes/serons aidés par les scientifiques ayant les compétences adéquates. Nous sommes capable d’organiser la solidarité, comme l’ont montrées les vagues de soutien durant les inondations en juillet. Nous sommes capables, sur nos lieux de vies, de travail, à l’école, à l’université, … de nous assembler et de réfléchir collectivement à ce qui est prioritaire et à ce qui ne l’est pas, pour chacun.e d’entre nous, dans la diversité qui fait notre force.

Nous sommes capables de prendre notre destin en main, d’organiser notre vie collective, et nous en sommes bien plus capables que celles et ceux qui nous gouvernent actuellement. Organisons-nous !

Plus le temps avance, plus l’urgence devient visible. Nous ne pouvons plus nous en remettre à une classe de politiques professionnels qui décident de notre avenir.

Plutôt qu’un retour à une liberté toute relative et uniquement réservées aux personnes étant nées avec beaucoup de privilèges, et au rejet de l’autre, nous devons construire un autre modèle de société.

Certaines réponses peuvent sembler plus faciles que d’autres, comme celles de s’en remettre à un nouveau leader charismatique qui aurait toute les solutions en main ; dénoncer la « corruption » des scientifiques et la soit-disant mise en place d’un « nouvel ordre mondial », le complot visant à faire de nous des « moutons » au moyen de la vaccination…

Mais ces réponses nous détournent des vrais problèmes, et nous rendent encore plus perdant.e.s sur le long terme ! Les vrais problèmes sont ailleurs, et sont principalement liés à la sécurité sociale à la possibilité d’une vie digne pour toutes et tous.

Aujourd’hui en Belgique, l’amorce d’une autre contestation sociale a peut être commencé. La mobilisation du secteur de la culture, à Liège et à Bruxelles, est peut être le début d’une contestation sociale contre l’absurdité de la gestion de la pandémie. Elle est peut être le début de la réclamation d’un monde plus juste et plus solidaire, seul à même de nous sortir des catastrophes présentes et futures.

Rien n’est écrit. Beaucoup de choses se déroulent en ce moment même. Nos actions décideront de ce qui sera possible ou pas, de qui gagnera ou non la bataille des récits : l’extrême droite qui veut un retour à une société où la liberté individuelle d’exploiter l’autre sera la règle, et la mise en place d’un régime encore plus autoritaire que le régime actuel, ou une société juste et solidaire qui ne laisse personne sur le côté, surtout les plus fragiles.

Discutons entre nous, à la maison, au travail, à l’école, partout où nous le pouvons, pour nous auto-organiser. Et de cette auto-organisation, une force sociale peut naître et devenir un contre-pouvoir suffisamment fort. Tout est entre nos mains.Les idées sont nombreuses mais en voici quelques unes :

– Amplifions la mobilisation. Débordons. Utilisons nos réseaux de luttes, nos réseaux de connaissances, d’ami.e.s. Organisons un réel mouvement social.

– Rappelons nos priorités et créons un rapport de force afin qu’elles ne soient plus invisibilisées : revalorisations salariales pour l’ensemble des métiers en premières lignes, mais aussi pour toutes les personnes touchées par la précarité, depuis la pandémie et auparavant. Opposons-nous à l’expulsion des loyers, et organisons une grève du paiement des loyers. Rappelons que la santé est un bien commun : toutes et tous doivent y avoir accès. Pas de patient.e.s prioritaires à d’autres, nous devons toutes et tous être soigné.e.s avec équité. Stop aux profits des multinationales sur les vaccins et autres médications : la santé doit être un bien commun. Stop à la banalisation des contrôle policiers racistes sous-couvert de « stress lié à la pandémie ». Ces violences sont structurelles et rien ne peut les justifier. Organisons la résistance à la répression étatique et policière. Stop à la destruction de la biodiversité, qui est la cause première des pandémies.

– Reprenons l’initiative : donnons et imposons notre récit des évènements. Nos luttes passées doivent être le terreau de nos luttes présentes et futures. Disons clairement avec qui nous pouvons nous allier (l’ensemble des gens qui sont perdu.e.s et confus.e.s à force de messages contradictoires) et ceux avec qui nous ne serons jamais allié.e.s (les profiteurs de guerre, tout.e.s celles et ceux qui utilisent la confusion pour se faire leur beurre, des pseudos-scientifiques à l’extrême-droite organisée).

– Expérimentons, dès aujourd’hui, l’exercice de la politique en dehors de l’état : faisons des assemblées générales (dans le respect des protocoles sanitaires) afin de définir nos priorités et nos besoins. Mettons en place des brigades sanitaires et populaires afin de prendre soin les un.e.s des autres. Construisons des réseaux de solidarité. Luttons.

La seule façon de nous sauver, c’est de lutter, afin de sauver tous les autres.

Des sympathisant.e.s du Front Antifasciste de Liège 2.0

Notes

[1] Ce qui signifie qu’à partir d’observations, cette démarche consiste à poser des hypothèses puis à les vérifier expérimentalement ou cliniquement. On peut dès lors en tirer des déductions, des conclusions solides au vu des données en possession au moment de l’analyse. Si les données changent – et, dans le cas du Covid-19, qui est une maladie émergente, il est logique que plus le temps passe, plus les connaissances se précisent quand à son mode de fonctionnement – les analyses changent également. C’est ainsi que fonctionne l’activité scientifique


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