Confiance, défiance et imposture politique en France néolibérale.

vendredi 7 janvier 2022.
 

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L’adhésion des Français au système politique néolibéral ne cesse de s’affaiblir depuis 40 ans. Nous en examinons ici les aspects psychosociologiques. La réponse de la bourgeoisie dirigeante à cet affaiblissement est une intensification de la propagande, de la manipulation de masse couplée à des dispositifs de répression, de surveillance et de contrôle normatif.

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Premier texte : confiance et défiance politiques

Les motifs de la confiance (et de la défiance ) politique : intérêt, connaissance et conviction dans les formes du raisonnement politique

Source : cairn info

https://www.cairn.info/revue-intern...

Richard Balme, Jean-Louis Marie, Olivier Rozenberg

Dans Revue internationale de politique comparée 2003/3 (Vol. 10), pages 433 à 461

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1 Examinée dans une perspective comparative, la France présente les caractéristiques d’un pays où la confiance sociale est structurellement faible [2]

DOGAN M., “Déficit de confiance dans les démocraties avancées –…. Les données du World Value Survey font en effet apparaître que la confiance inter-individuelle, mesurée par les réponses à l’item “En général, faites-vous confiance aux gens ?”, demeure dans l’hexagone systématiquement plus limitée que dans des pays comparables. C’est ainsi qu’à niveau de Produit Intérieur brut par habitant comparable, performances démocratiques équivalentes

( Freedom House Ratings), ou niveaux de bien-être subjectifs identiques, les Français manifestent dans ces enquêtes un degré de confiance sociale systématiquement plus faible [3]

INGLEHART R., “Trust, Well-being and Democracy”, in WARREN…. En se range dans un ensemble de pays historiquement marqués par le Catholicisme, où la confiance sociale est significativement plus faible que dans les pays protestants, mais figure avec le Portugal au tout dernier rang des pays d’Europe de l’Ouest, derrière l’Italie, l’Espagne, l’Autriche ou la Belgique. La France ne semble pas avoir été frappée au même titre que les États-Unis par un effondrement de la confiance inter-personnelle [4] [4]ce UTNAM R.D., Bowling Alone : the Collapse and Revival of…. En revanche, elle est marquée par une érosion significative de la confiance politique qui affecte les institutions et le personnel politique.

2Les résultats électoraux constituent le meilleur indicateur de cette évolution à travers la progression parallèle de l’abstention et des partis politiques protestataires. Les enquêtes d’opinion dressent un tableau plus contrasté de la confiance politique. La France a connu ces quinze dernières années des gouvernements durablement populaires avec Michel Rocard, Édouard Balladur et Lionel Jospin ; le destin électoral de ces trois Premiers ministres laissant cependant sceptique quant à la transformation d’une popularité dans les sondages en soutien électoral effectif. Les Français accordent une confiance significative aux différents secteurs du service public. Les hôpitaux, l’école, l’université ou la police recueillent ainsi plus de 70% d’adhésion quand la Bourse ou les médias ne franchissent pas les 30% [5] [5]Sondage Sofres réalisé les 27 et 28 juin 2001 auprès d’un…. Pourtant, la spécificité de la défiance politique apparaît dès lors que le politique est appréhendé comme une activité spécifique. Interrogés sur la confiance accordée à dix-neuf professions, les Français classent en dernière position les hommes politiques, loin derrière les avocats, les notaires, les garagistes, les prêtres ou les journalistes [6] [6] Sondage Sofres réalisé les 27 et 28 juin 2001. La question…. Mieux, en vingt ans, la défiance envers les hommes politiques a progressé de vingt points : 55% des personnes interrogées déclaraient ne pas faire confiance aux hommes politiques en 1985, ils étaient 75% en 2001 [7] [7] Sondages TF1-Sofres de décembre 1985. En 1985,25 % des…. Au sein du monde politique, les maires se distinguent favorablement en recueillant la confiance de trois Français sur quatre. Les Français sont en revanche nettement plus réservés sur les députés ( 46 % de confiance) ou les ministres ( 43%), la défiance envers ces deux groupes ayant progressé de plus de dix points depuis 1985. Surtout, les partis politiques sont jugés sévèrement, 77% des personnes interrogées déclarant ne pas leur faire confiance.

3 C’est cette “anomalie” proposée par le cas français au regard de l’association souvent établie en politique comparée entre confiance sociale et confiance politique que nous questionnons ici. Si la confiance politique peut subir des variations significatives à niveau de confiance sociale relativement stable (et en l’occurrence particulièrement faible), comment comprendre ces variations ? Nous situons plus particulièrement cet article dans la perspective d’une détermination endogène de la confiance politique, selon laquelle la relation de confiance (ou de défiance) se fonde davantage dans les interactions politiques que dans des facteurs sociaux exogènes (la structure sociale, l’accès à la compétence politique, le capital social). Deux hypothèses peuvent alors être distinguées. Les politiques publiques peuvent être bénéfiques aux citoyens, ou porter atteinte à leurs intérêts, ou simplement être sans objet vis-à-vis de leur situation objective. En s peuvent aussi satisfaire leurs convictions morales et les renforcer, ou à l’inverse les contredire et les menacer. Selon la première approche, la défiance du citoyen envers le politique serait la résultante concrète d’un “manque à gagner” évalué en terme d’intérêt. Selon la seconde hypothèse, la confiance et la défiance procéderaient de l’adéquation ou de l’inadéquation entre le cadre normatif de l’individu d’une part et sa perception subjective de l’univers politique d’autre part [8] [8] Voir par exemple SNIDERMAN P. S., TETLOCK P. E. et ELMS L.,…. Les questions de convictions et de valeurs primeraient alors sur le seul intérêt et sur l’évaluation des performances gouvernementales.

4 Interroger les relations entre intérêts et convictions dans la formation de la confiance politique conduit d’abord, sur le versant le plus rationaliste de l’analyse, à envisager la confiance comme le produit d’une relation réciproque entre gouvernants et gouvernés, et donc comme le résultat de l’adéquation entre les préférences des citoyens et l’action des autorités gouvernementales en matière de politiques publiques [9] [9] Le choix rationnel envisage la confiance comme une situation…. Dans cette perspective, la relation de confiance politique est d’abord fonction du rapport dynamique entre performances de l’action publique et exigences politiques des citoyens. On peut envisager que la défiance augmente sous l’effet d’une perte d’efficience des politiques publiques, incapables de résoudre les problèmes qu’elles sont supposées traiter et générant ainsi un sentiment public de déception. Mais elle peut également résulter d’une augmentation des exigences des citoyens à l’égard du politique, selon une logique consumériste, les “usagers” de l’action publique espérant toujours davantage, à performances égales ou même croissantes. On retrouve ici la thèse classique de la frustration relative initiée par Tocqueville et élaborée par Gurr dans l’analyse de l’action collective [10] [10] GURR T. R., Why Men Rebel, Princeton, Princeton University…. Il se peut que les deux phénomènes se conjuguent, les exigences s’élevant tandis que les performances déclinent.

5 La formulation précédente de la confiance suppose une forme de transparence de la représentation politique qui n’intègre pas la question de la connaissance politique, et par conséquent n’envisage pas la différenciation sociale de l’espace public. Même si on la suppose fondée sur l’intérêt, la confiance politique opère en situation d’asymétrie d’information. Cette asymétrie caractérise en premier lieu la relation entre l’offre (les élites politiques et bureaucratiques) et la demande (l’ensemble des citoyens) politiques, dont il est facile de percevoir qu’elles ne disposent pas de la même maîtrise des éléments pertinents pour appréhender l’action publique. L’information est également très inégalement répartie entre l’ensemble des citoyens qui ne sont pas associés de façon permanente à la définition de l’action publique, et qui s’appuient sur des cadres cognitifs plus ou moins élaborés et différenciés. La confiance est donc liée au rapport entre connaissance et évaluation politiques.

6 Au sens strict, la confiance exige à la fois une connaissance relative du champ politique et une évaluation positive de ce dernier. La défiance correspond à l’inverse à une évaluation négative fondée sur un niveau de connaissance comparable, autorisant un jugement critique informé. Notons que cette situation n’est pas incompatible avec la démocratie, et qu’elle est même l’un des fondements du libéralisme politique, toujours méfiant à l’égard de l’État et prompt à exiger des comptes auprès des gouvernants. En revanche, l’aliénation associe un faible niveau de connaissance politique et une évaluation négative des performances gouvernementales, qui expriment la faiblesse de la qualité de la représentation politique. Enfin, des situations de remise de soi correspondent au cas où une évaluation positive se fonde sur une connaissance faible du champ politique. Différentes qualifications de l’espace public et de ses dynamiques apparaissent ainsi avec cette typologie plus nuancée de la relation de confiance. Le recul de la confiance résulterait essentiellement dans cette perspective d’une baisse de la connaissance politique, elle-même produite par une perte d’intérêt pour la politique.

7 Le principal problème traité ici consiste alors à analyser les formes d’évaluation politique à l’œuvre dans la construction d’une relation confiante ou défiante au politique. L’évaluation des performances et l’expression des attentes s’appuient-elles sur les registres de l’intérêt ou de la conviction ? Comment l’information influe-t-elle sur la confiance politique ? Le travail empirique sur lequel repose cet article s’est appuyé sur deux choix méthodologiques principaux. La science politique conçoit le plus souvent les politiques publiques d’une part et l’opinion publique d’autre part comme deux domaines d’investigation distincts. L’utilisation des enquêtes d’opinion par les décideurs dans l’élaboration de politiques publiques comme l’importance des enjeux de politiques publiques dans les conversations quotidiennes entre citoyens révèlent pourtant un fort degré de connexion entre ces deux domaines du politique. La confiance politique a donc été étudiée non seulement vis-à-vis de la démocratie, des institutions ou des leaders politiques, mais aussi par rapport à trois domaines de politiques publiques spécifiques, fortement présentes sur l’agenda politique de ces deux dernières décennies : la lutte contre le chômage, la construction européenne et l’immigration.

* ire le texte complet avec ses graphiques en utilisant le lien suivant : https://www.cairn.info/revue-intern...

** Deuxième texte

La fabrique des imposteurs

La fabrique des imposteurs de . Éditions Roland Gori Les liens qui libérent, 2013

a) Texte de présentation du livre sur France Culture

https://www.franceculture.fr/oeuvre...

L’imposteur est aujourd’hui dans nos sociétés comme un poisson dans l’eau : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et à la probité, préférer l’audience au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que pour le courage de la vérité, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les valeurs, pratiquer l’art de l’illusion plutôt que s’émanciper par la pensée critique, s’abandonner aux fausses sécurités des procédures plutôt que se risquer à l’amour et à la création. Voilà le milieu où prospère l’imposture !

Notre société de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et fardée de publicité tapageuse, fabrique des imposteurs. L’imposteur est un authentique martyr de notre environnement social, maître de l’opinion, éponge vivante des valeurs de son temps, fétichiste des modes et des formes. L’imposteur vit à crédit, au crédit de l’Autre.

Soeur siamoise du conformisme, l’imposture est parmi nous. Elle emprunte la froide logique des instruments de gestion et de procédure, les combines de papier et les escroqueries des algorithmes, les usurpations de crédits, les expertises mensongères et l’hypocrisie des bons sentiments.

De cette civilisation du faux-semblant, notre démocratie de caméléons est malade, enfermée dans ses normes et propulsée dans l’enfer d’un monde qui tourne à vide. Seules l’ambition de la culture et l’audace de la liberté partagée nous permettraient de créer l’avenir.

** bi) présentations du livre la fabrique des imposteurs par son auteur.

Vidéo 1 : courte présentation qui rappelle que dans notre société il existe une prévalence de la norme sur la loi. Se développe une normalisation généralisée des comportements dans tous les domaines y compris dans les domaines professionnels. On assiste à une prolétarisation générale des activités professionnelles.

https://www.youtube.com/watch?v=Jt5...

* Vidéo 2 : conférence de l’auteur pour présenter son livre et , d’une manière plus générale, le contexte social dans lequel nous évoluons. Exposé très intéressant de ce disciple de Michel Foucault et de Guy Debord qui explique comment la proclamation de la liberté organise en fait la servitude volontaire. Extraordinaire illustration de ces propos huit ans plus tard avec les contraintes imposées autoritairement par les gouvernements sur les comportements des citoyens au prétexte de la crise sanitaire. Très bonne conclusion avec la référence à Jaurès.

https://www.youtube.com/watch?v=2FE...

** En politique, s’il fallait mouiller vivement résumer ce qu’est un imposteur, c’est celui qui prend en compte dans son discours une demande sociale mais qui ne se donne pas les moyens économiques de la réaliser sans porter préjudice aux auteus r de cette demande et à l’intérêt général.

** Annexe

Baromètre de la confiance des Français en 2020. Sciences-po https://www.ladepeche.fr/2020/03/05...

** La propagande et les techniques de manipulation individuelles et de masse aujourd’hui. http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

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Hervé Debonrivage


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