Affaire des contrats russes : Alexandre Benalla placé en garde à vue

samedi 18 décembre 2021.
 

Alexandre Benalla a été placé en garde à vue, mardi 14 décembre, dans le cadre de l’enquête pour « corruption » sur les contrats de sécurité avec deux oligarques russes, négociés avant et après son départ de l’Élysée, en 2018.

C’est sans doute l’affaire qui embarrasse le plus Alexandre Benalla. Et elle lui vaut aujourd’hui un placement en garde à vue.

L’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron a été interpellé mardi 14 décembre par les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) avec son épouse, à leur domicile du XVIe arrondissement de Paris, ont rapporté TF1 et Le Point. Tous deux ont été placés en garde à vue.

En novembre dernier, l’ancien chargé de mission a été condamné dans l’affaire des violences du 1er mai 2018 et des passeports diplomatiques à trois ans de prison – dont deux avec sursis –, 500 euros d’amende et cinq ans d’interdiction d’exercer dans la fonction publique. Il a fait appel de cette décision.

Cette fois, son arrestation intervient dans le cadre d’une autre affaire : celle des contrats russes négociés par Alexandre Benalla avant et après son départ de l’Élysée, et révélée par Mediapart entre décembre 2018 et février 2019 (lire nos enquêtes ici, là et là). Le Parquet national financier (PNF) avait alors ouvert une enquête pour « corruption ».

Selon nos informations, l’ancien collaborateur du chef de l’État est entendu sur des suspicions de « corruption », de « trafic d’influence », de « blanchiment de fraude fiscale aggravée », de « faux et usage de faux » et d’« abus de biens sociaux ». Sollicitée par Mediapart ce mardi, son avocate, Jacqueline Laffont, n’a fait aucun commentaire.

Le premier contrat, dont Benalla a été l’architecte depuis l’Élysée, est un contrat de sécurité signé avec l’oligarque russe Iskander Makhmudov, par Mars, la société de Vincent Crase, en juin 2018. À cette date, ce dernier était encore chargé de la sécurité du parti La République en marche (LREM), tandis qu’Alexandre Benalla travaillait toujours à l’Élysée. Renouvelable à chaque trimestre, il prévoyait la protection des biens immobiliers en France de l’homme d’affaires, et de sa famille à Monaco.

Proche de Vladimir Poutine et à la tête d’un empire industriel, Iskander Makhmudov est aussi soupçonné par plusieurs magistrats européens d’accointances avec l’un des pires groupes criminels moscovites. Alexandre Benalla n’ignorait pas le profil sulfureux de l’oligarque, il était d’ailleurs au courant du fait que la justice française s’intéresse à lui. Un conseiller de l’Élysée utilisant son statut pour faire affaire avec un milliardaire proche du pouvoir poutinien : la pratique interroge pour le moins. D’autant qu’à l’époque, Benalla était habilité « secret-défense » et dans les secrets du président de la République.

Le second contrat de sécurité a été signé en décembre 2018 par Alexandre Benalla – qui n’était plus à l’Élysée mais faisait alors le tour du monde avec ses passeports diplomatiques – avec un autre oligarque russe proche de Poutine, Farkhad Akhmedov. Montant total : 980 000 euros. Plus de 350 000 euros ont d’abord été versés en France. La somme a ensuite été récupérée à l’euro près par Alexandre Benalla au Maroc.

Au total, ces deux contrats s’élèvent à 2,2 millions d’euros.

La révélation de cette affaire d’État par Mediapart – fruit d’une enquête de plusieurs mois reposant sur une dizaine de sources indépendantes et des documents inédits, dont des extraits sonores – avait valu à notre journal une tentative de perquisition, dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte pour (notamment) atteinte à l’intimité de la vie privée d’Alexandre Benalla. Les deux vice-procureurs qui avaient mené cette tentative de perquisition sont aussi ceux qui ont requis des peines clémentes pour Benalla au procès des violences du 1er Mai et des passeports diplomatiques.

Après la publication de notre enquête, l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron l’avait dit et redit, y compris sous serment devant la commission d’enquête sénatoriale, le 21 janvier 2019 : « jamais » il n’a « contribué » à la « négociation » ou à la « conclusion » de ce premier contrat russe avec Iskander Makhmudov. Nos éléments démontraient au contraire qu’Alexandre Benalla était personnellement impliqué dans ce contrat, y compris dans ses montages financiers.

Alors qu’il nous avait affirmé, en décembre 2018, qu’il n’y avait « pas de lien entre Makhmudov et [lui] », l’ex-collaborateur du chef de l’État avait rencontré à plusieurs reprises le représentant de l’oligarque en France, l’homme d’affaires Jean-Louis Haguenauer. Ce dernier nous avait déclaré que Vincent Crase avait été désigné par Alexandre Benalla pour mettre en œuvre le contrat. Haguenauer et Benalla avaient continué à se voir. En atteste un cliché (voir ci-dessous) pris fin août 2018, dans le château de l’homme d’affaires Vincent Miclet, dans le Périgord.

Les discussions autour de ce contrat ont en réalité commencé bien plus tôt, dès l’hiver 2017. Elles se sont accélérées en juin 2018, en présence d’Alexandre Benalla, alors qu’il était toujours en fonction à l’Élysée. Les pourparlers avec les hommes de Velours – la société de sécurité à laquelle Mars a sous-traité ce contrat, et par ailleurs l’ancien employeur de Benalla – se sont tenus à deux pas de l’Élysée, au café Damas, l’antre de Benalla, dans le quartier le plus surveillé de Paris.

Le 28 juin 2018, un premier virement de 294 000 euros arrive sur le compte de Mars. Un peu plus de la moitié, soit 172 200 euros, est versée sur deux comptes du prestataire Velours, qui rémunère sept personnes, issues des milieux militaires, pour ce contrat.

Mais l’affaire des violences du 1er Mai, révélée par Le Monde le 18 juillet 2018, change la donne. Le 26 juillet, lorsque Alexandre Benalla et Vincent Crase se revoient, c’est la panique. La veille, la Société générale, qui abrite le compte de Mars, a réclamé à Crase le contrat justifiant l’arrivée de 300 000 euros depuis un compte monégasque.

Six jours plus tôt, leur sous-traitant Velours a dénoncé le contrat, moins de 48 heures après l’article du Monde sur les violences du 1er Mai. La société de sécurité n’était pas au courant qu’une telle affaire pesait sur Benalla et Crase. Pour elle, le risque pour sa réputation est énorme. Velours demande désormais de changer le montage rapidement.

Benalla est furieux contre ses amis : « Velours […], ils vont se faire enculer hein, moi je m’en bats les couilles », dit-il le 26 juillet à son ami Vincent Crase, selon les enregistrements révélés par Mediapart. « Moi, les rats qui quittent le navire, j’aime pas trop », renchérit Crase.

La première tranche du contrat trimestriel avec Velours prend fin au mois septembre. « Faut surtout pas que le client soit impacté, […] et [faut] qu’on continue le truc. Après, la prestation, on la fait avec quelqu’un d’autre… », anticipe Crase.

Après le coup de projecteur causé par l’affaire du 1er Mai, Benalla s’inquiète des répercussions sur Mars et de l’intérêt que la justice pourrait porter à la société. Il veut changer le circuit.

« Faut que tu disparaisses de la boîte. »

« Là il faut couper la branche », préconise l’ancien conseiller de Macron. « Faut changer de portage, faut faire ce qu’on avait prévu de faire et transférer… […] Faut que tu disparaisses de la boîte, dit-il à Vincent Crase. […] Donc faut qu’on trouve un mec… […] Enfin, j’ai une idée en tête, mais faut qu’on mette la boîte au nom d’un autre mec… Parce que sinon […] ils vont faire des saisies conservatoires et ils vont mettre un stop à la boîte […] », ajoute-t-il.

Voici l’échange :

L’ex-responsable adjoint « sûreté et sécurité » de LREM est inquiet. « Là, il y a le feu […] faut essayer de s’en sortir », dit-il à son compère. Il redoute des fuites dans les médias. Surtout, il s’interroge sur son propre avenir financier, après son licenciement à venir du parti. Benalla tente de le rassurer, il touchera le chômage « pendant un an et demi », et « avant qu’on fasse ça, on aura sorti l’argent de la boîte et on va se démerder, on va aller au Maroc et au Sénégal et on va s’éclater », dit-il, hilare, ajoutant : « Nan mais… on va y arriver. »

Voici l’échange :

Les deux amis veulent agir vite, avant le lendemain soir. Vincent Crase a rendez-vous le jour même à la Société générale et Alexandre Benalla lui a conseillé de ne pas remettre le contrat à la banque.

Les nouveaux statuts de la société Mars, avec un gérant tout neuf, sont quasiment finalisés. Ils choisissent finalement une autre option. « Faut qu’on change de boîte », privilégie Benalla. Une discrète société, « France Close Protection », voit le jour le 16 octobre. Elle est dirigée par Yoann Petit, un ancien militaire qui travaillait sur le contrat pour Velours, et est logée dans le même centre de domiciliation que Mars.

Petit est en outre un proche de Benalla : il était le seul à l’avoir accompagné dans les couloirs du Sénat avant sa première audition devant la commission d’enquête, en septembre. La nouvelle entreprise n’abritera pas son compte à la Société générale : l’argent transite désormais par l’intermédiaire d’une banque en ligne. En novembre, Alexandre Benalla est inscrit en tant que salarié. Il touche 12 474 euros, alors qu’il percevait des indemnités de retour à l’emploi entre 3 097 et 3 871 euros depuis son départ de l’Élysée.

L’ancien conseiller d’Emmanuel Macron avait pourtant prévenu son ami Crase : « Toi, t’apparais dans un truc, t’es proche du pouvoir, t’as une boîte qui te fait un virement de ce mec-là [Iskander Makhmudov — ndlr], et ils vont nous faire un truc, ça peut être dix fois pire que ce qui se passe. »

Sollicités durant notre enquête, à l’époque, Vincent Crase, Iskander Makhmudov et les dirigeants de Velours n’avaient pas donné suite. Dans un entretien accordé à Paris-Normandie en avril 2019, Vincent Crase avait écarté toute irrégularité dans ce contrat, évoquant « un contrat tout à fait clair, signé par avocats, et non un faux contrat comme [il a] pu le lire parfois ».

Alexandre Benalla avait de son côté démenti tout « lien » avec l’oligarque : « Je n’ai jamais pris part à la moindre négociation, ni de près ni de loin, avec M. Makhmudov ou ses représentants concernant le contrat avec la société Mars et M. Vincent Crase. »

Fabrice Arfi, Antton Rouget et Marine Turchi


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