CDD et CDI Quand Dominique Seux s’attaque à Mélenchon...

jeudi 2 décembre 2021.
 

Sur France Inter, le chroniqueur économique du vendredi matin a débité sa leçon de choses sans contradicteur.

Ce vendredi 26 novembre, Dominique Seux s’est retrouvé seul pour parler économie. Il ne s’est pas associé à la débauche provisoire de son co-débatteur hebdomadaire, Thomas Piketty, pour motif sérieux et légitime de paternité. Il a, au contraire, profité de l’absence de contradicteur pour faire ce qu’il fait trop souvent lorsqu’il éditorialise en solitaire sur les antennes de France Inter : raconter n’importe quoi à condition cependant que cela corresponde à la pensée économique dominante qui sous-tend en général et l’action du gouvernement et la ligne éditoriale du journal Les Echos dont il est directeur délégué de la rédaction.

Prétendant démêler le vrai du faux sur l’emploi et sur les prétendus succès gouvernementaux en la matière, Dominique Seux s’en est pris courageusement à Jean-Luc Mélenchon [1], qui évidemment n’était pas là pour lui répondre.

Qui brouille quoi ?

A entendre celui-ci, a-t-il dit, « 85% des gens embauchés en entreprise le sont en CDD, et il faudrait plafonner çà à 5 ou 10%. Son 85% existe : c’est la proportion de CDD dans le total des embauches. Mais cela ne veut pas du tout dire que 85% des personnes embauchées le sont en CDD (sic). Parce qu’on ne peut pas mettre dans le même sac la multiplicité des CDD d’un mois, par exemple, avec les CDI. Soyons plus clairs : au moment où nous parlons, et ce sont des chiffres de l’Insee confirmés hier, 86% des salariés français travaillent sous statut de CDI – le reste l’est en CDD et intérim, ce n’est pas l’inverse. 86%. Çà a un peu baissé depuis 20 ans, mais peu. Conclusion : on peut dire (et on doit) qu’il y a trop de contrats courts et de plus en plus courts. Mais on ne peut pas, volontairement ou involontairement, brouiller les chiffres ».

Brouiller les chiffres ? Vous avez bien lu : Dominique Seux a bien dit « brouiller les chiffres ». Comme s’il ne savait pas qu’on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu. L’éditorialiste s’est-il seulement relu ? Prend-il les auditeurs pour des imbéciles et des ignorants de la langue française ? Pense-t-il que, dans l’air ambiant, on peut très facilement étendre le domaine du confusionnisme ? Ou un peu de tout cela ?

Toujours est-il, que si l’on ouvre le dictionnaire, la confusion entre embauche et emploi n’est pas possible. C’est du reste pour cela qu’il y a deux mots différents. L’embauche, c’est l’action ou la possibilité d’embaucher, c’est-à-dire d’engager quelqu’un.e pour un travail. Et le dictionnaire en ligne Le Robert de citer à titre d’exemple « l’entreprise prévoit de réaliser 200 à 300 embauches l’an prochain ». Or, 100% des embauché.es sont des personnes (ou « des gens » comme Dominique Seux reproche à Jean-Luc Mélenchon de le dire parfois) et non pas des robots ou des animaux.

Placer la qualité des contrats au centre des débats

On peut donc affirmer avec certitude et n’en déplaise à l’éditorialiste, que si 85% de ces embauches réalisées par cette entreprise sont des CDD ou des intérims (comme la moyenne de embauches réalisées au plan national), alors 85 % des personnes embauchées par cette entreprise seront des précaires. Et cela ne veut pas dire que 85 % des emplois de cette entreprise sont précaires. Cela dépend de son stock total des emplois.

Après avoir semé la confusion entre embauche et emploi, Dominique Seux a prétendu en récolter les fruits. En affirmant, pour le dénigrer, que Jean-Luc Mélenchon préconise de plafonner les embauches précaires à 5 ou 10% . Ce qui, selon l’éditorialiste, nonobstant sa situation professionnelle personnelle, serait certainement excessif et contre-productif. On a tellement besoin de CDD, de contrats courts ou de contrat d’auto-entrepreneur à l’hôpital, chez Amazon, dans la restauration ou la presse.

Sauf, bien entendu, que Jean-Luc Mélenchon, lui, ne mélange pas tout et n’identifie pas embauche et emploi. Ainsi, il préconise dans son programme électoral d’instaurer un quota maximal de contrats précaires dans les entreprises : 10% des emplois pour les PME, 5% pour les grandes entreprises. Est-ce discutable ? Peut-être. Et du reste, ce n’est pas la seule mesure que préconise le candidat de La France Insoumise pour réaliser le plein emploi, qu’il a, à mon sens entièrement raison de vouloir rétablir comme objectif central de politique et de société. Il n’est pas le seul. Emmanuel Macron lui-même dit maintenant le mot, bien entendu sans faire la chose. « Nous ne devons pas viser seulement 7% de chômage, mais bien le plein emploi » a-t-il glissé le 9 novembre dans l’oreille des Français.es entre deux affirmations d’auto-félicitation.

A quand un vrai débat sur cet enjeu, y compris dans la matinale de France Inter ?

Bernard Marx

Notes

[1] Déclaration d’intérêt : je ne travaille pas, ne conseille pas, et ne fais pas campagne en faveur de ce candidat ou d’un autre à l’élection présidentielle.


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