Procès Caffin, commandant CRS : cas d’école de la fabrication de l’impunité

dimanche 28 novembre 2021.
 

Le 18 novembre, c’était le procès à Paris du commandant divisionnaire Dominique Caffin. Le 20 avril 2019, seul « le chef » (à l’audience, l’homme a insisté sur son rôle de chef, et c’est bien le problème) a foncé sur Mélanie Ngoye-Gaham. Compte rendu d’audience.

L’audience a duré cinq heures.

Un cas d’école de la fabrication de l’impunité et du déni, sous l’œil complaisant du Parquet, et d’au moins un des trois juges (sachant qu’un dormait à moitié, ça nous en laisse un, une en l’espèce, à peu près bien).

D’abord, le chef #Caffin, 57 ans, dont 36 dans la police, est venu en tenue d’apparat. En uniforme.

La juge, celle qui ne dormait pas, et qui était la moins complaisante des trois, s’est dite « étonnée ».

D’ordinaire, les policiers comparaissent comme tout le monde : en civil.

Mélanie s’est approchée de la barre. Elle a raconté. Les #GiletsJaunes c’était son premier mouvement, ses premières manifs. Si elle est là,c’est que ses camarades se sont cotisés pour qu’elle puisse faire face aux frais de justice. Normalement, l’affaire aurait dû s’arrêter avant.

Avant, quand le Parquet, sur la foi d’un rapport #IGPN, avait classé l’affaire : « vous avez été auditionnée par l’#IGPN ? » demande son avocat, Arié Alimi « Jamais », souffle Mélanie.

Malgré sa plainte.

Malgré son statut évident de victime.

Jamais auditionnée.

Mélanie raconte aussi sa vie d’assistante sociale à Amiens, ses colères. Elle a la voix qui tremble, les mains qui tremblent, mais elle tient. Caffin lève les yeux au ciel. Mélanie : « vous voyez, sur la vidéo, je n’ai pas peur des coups, je lève les mains, j’ai toujours pensé que ça me protégeait. Je marche tranquillement, je ne présente aucun danger. Je ne vois pas la charge ».

Mélanie parle si vite que la greffière lui demande de ralentir. « Je suis picarde » , sourit Mélanie.

Dans la salle, derrière elle : les Mutilés pour l’exemple, des collectifs, des amis, et des avocats comme Raphël Kempf.

Derrière le CRS : d’autres CRS, des policiers. Voici Dominique #Caffin qui s’avance.

Ce jour là, dit-il, c’est « une scène insurrectionnelle ». Deux cocktails molotov sont visibles avant la charge. Les sommations sont faites. La veille, le Préfet de police #Lallement « nous a demandés de ne pas être passifs ».

Et là, surprise : « On connait la technique du lever de bras. C’est pour gêner la manœuvre ». Le commandant répète :

« L’individu, en marchant les bras en l’air, était un obstacle. Ça fait partie des techniques [des manifestants] depuis la loi Travail pour nous empêcher de progresser ».

Caffin a opté pour le bâton dit souple de 60 cm de long parce que :

« Un coup de bâton, on a la maîtrise. Si on bouscule l’individu, on sait pas trop où il atterrit. Je sais de quoi je parle : dans ma jeunesse, j’ai fait du rugby ».

En matière de maniement, il n’y a pas de « zone rouge », dit-il : « On évite quand même la tête ».

Et d’ajouter, sans qu’on sache bien pourquoi : « Si j’avais su que c’était une femme, j’aurais sans doute visé les jambes. »

« Ma cliente était-elle violente ? » demande Arié Alimi

Caffin, qui fait claquer ses talons à intervalle régulier, hésite :

« Je ne sais pas si elle est personnellement violente. Mais elle est dans le groupe. Je ne l’ai pas vu jeter de projectile. Mais elle était là pour entraver notre manœuvre. Et elle a un sac à dos. » « Et ? » Demande à son tour Thibault de Montbrial, l’avocat de Caffin. « Les projectiles ne sortent pas de nulle part. L’individu présentait un danger potentiel. »

Les bras en l’air, dos aux policiers, avec un sac à dos quelconque, à marche posée. Rires contenus dans la salle.

L’écran des vidéos est actionné. Il descend dans sa lenteur habituelle en ces lieux. La présidente est surprise, elle demande à revoir la scène au ralenti. Elle fait remarquer à Caffin qu’il se déroute pour la frapper.

L’avocat de Caffin parle de campagne dans la presse contre son client. Qui ne comprend pas : « Le R de CRS, c’est République, pas Répression. »

Mélanie revient à la barre. Elle dit son désarroi : « Ces policiers sont censés nous protéger. Etre frappés par eux, ça fait mal. »

Depuis un an, Mélanie est en arrêt maladie. Elle souffre, après une année de déni, où elle faisait comme si. « J’ai perdu 13 kilos », révèle-t-elle.

A nouveau Caffin. Il parle de lui à la troisième personne : « Au-delà du cas Caffin, on a le sentiment qu’on attaque l’institution. Le terme même de #violencespolicières me hérisse. Il y a l’emploi de la force. Point. »

L’adjoint au chef de la délégation CRS de la Préfecture de Police se plaint dorénavant, en tant que responsable, de « passer autant de temps en procédure ». A cause des « dépôts de plaintes systématiques » dit-il, contre ses hommes. « Une volonté de nous harceler, de nous inhiber judiciairement ».

L’avocat de Mélanie tente d’étudier la personnalité de Caffin. Il évoque des articles de Ismaël Halissat et de Pascale Pascariello comme https://www.liberation.fr/france/20... ou https://www.mediapart.fr/journal/fr...

L’intéressé fait la moue, son avocat lui fait signe de ne pas répondre. On ne saura rien des chants nazis de la CRS 21, du temps où Caffin la dirigeait (en 2003).

Arié Alimi s’élance : « On a quelque chose de similaire dans les #violencespolicières avec les #violencesconjugales. Un côté "j’aurais pu lui faire plus mal". »

Et l’avocat de s’en prendre à la fabrication de l’impunité : « L’IGPN et le ministère public [qui classe] enquêtent le moins possible pour s’éviter de poursuivre. »

La représentante du Parquet s’offusque. Celle-là même qui, dès le début de l’audience, a affirmé que le classement de l’affaire se justifiait.

(point de droit : mais c’était sans compter la pugnacité de la victime qui a opté pour la citation directe du policier devant le tribunal, fin point de droit).

L’avocat de Mélanie insiste. « On voit un homme qui part seul, sans les boucliers, qui ne sait pas apprécier le danger potentiel, qui décide de se détourner de sa trajectoire, de porter des coups au risque de rendre tétraplégique Mme Gaham »

« Il n’y a ni proportionnalité, ni nécessité. Juridiquement, ça ne tient pas. ».

La Procureure réfute : « Oui, les images sont choquantes. Mais il faut prendre en compte ce qui se passe avant. Il faut contextualiser. »

L’insurrection qui vient, ou quelque chose comme ça.

Pour elle, tout ça est « parfaitement légitime et proportionné ».

Elle-même s’en remet à la sagesse du tribunal. C’est plus sûr comme ça. Mais autrement dit : elle ne réclame rien contre Dominique Caffin.

Idem pour Thibault de Montbrial, à qui revient le mot de la fin. Il plaide la relaxe.

L’avocat est en verve. Il demande 30 minutes, il déroule, remerciant trois fois le Parquet pour ses non réquisitions.

Il évoque sa propre jeunesse quand il était « sergent chez les paras » où il avait appris à distinguer « la pratique de la théorie ».

Parce qu’on a beaucoup parlé de ça. Caffin aurait-il dû se tenir derrière ses troupes (comme sur les autres bonds offensifs filmés) ou être devant, hurlant, comme cette fois « en avant » ?

Lui-même reconnait que les manuels recommandent plutôt d’être derrière les boucliers.

Seulement voila, lance Montbrial : « il y a des chefs dans la vie et Caffin, c’est un vrai chef ! » (d’où son uniforme, d’où les décorations, d’où son surnom : #GoCRS)

L’avocat est formel, et formaliste : « Le but de cet acte de violence maitrisée a pour but d’empêcher Mme Gaham de sortir ce qu’elle a dans son sac à dos ».

Même si elle n’a rien et que personne n’a rien vu en sortir.

L’avocat s’en prend maintenant à la personnalité de Mélanie N’ Goye Gaham. Membre du collectif #GiletsJaunes les « Réfractaires du 80 », elle ne serait pas « l’innocence absolue », mais une « leader ».

De son client, il rappelle les trois notations maximales (7/7) ces deux dernières années. Il brandit les éloges tressées par la Préfecture de Police : « Caffin ? Un expert technique du maintien de l’Ordre. Au jugement sûr. Au courage physique ».

Pour conclure, il fustige les « militants anti-flics », les anti-Républicains, sur les réseaux sociaux, et ces avocats qui « savent que leurs plaintes ont peu de chance d’aboutir » mais qui « occupent le terrain ».

Cette « petite musique » qui monte, dit-il.

Pas le bruit des bottes, non.

La judiciarisation des #violencespolicières.

« La petite musique qui vient polluer les tribunaux et qui consiste à faire germer le doute dans les esprits des forces de l’ordre : "j’y vais, j’y vais pas" »

Jugement le 16 décembre 2021 Fin du thread. Merci de l’avoir suivi.


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