Monsieur le Président, l’Hôpital brûle

mercredi 10 novembre 2021.
 

« Il y a eu des applaudissements, pendant quelques semaines, qui nous ont donné l’impression que la population et les dirigeants politiques avaient enfin compris le rôle essentiel de l’Hôpital dans notre société [...] Comme nous avons été naïfs ! » Alors que les soignants désertent, quatre praticiens hospitaliers de Seine-Saint-Denis lancent un dernier appel au Président, espérant une réforme sérieuse de notre système de soins : « vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas... »

Monsieur le Président de la République,

Nous, praticiens hospitaliers en Maladies Infectieuses dans un hôpital général de Seine-Saint-Denis, profondément attachés à notre mission de service public, vous alertons sur la situation très inquiétante de l’Hôpital.

Jamais nous n’avions fermé autant de lits d’hospitalisation, faute de personnel soignant, dans toute la France. Dans notre établissement de Seine -Saint-Denis, 20% des lits sont fermés, des interventions chirurgicales sont annulées. Dans notre service de Médecine Interne et Maladies Infectieuses, très éprouvé par l’épidémie, les deux tiers des lits sont fermés, les urgences débordent de malades à hospitaliser, sans lit disponible dans les services, dans l’indifférence générale !

Au cours de l’été 2021, nos Urgences ont été partiellement fermées pendant plusieurs semaines, les soignants ayant alors dénoncé des conditions de travail inacceptables et une mise en danger des malades, agglutinés dans les couloirs sur des brancards pendant des heures, parfois des jours.

Aujourd’hui nous ne pouvons plus garantir un accès aux soins à tous les patients de notre secteur et les transferts vers d’autres établissements sont de plus en plus difficiles, faute de lits disponibles partout en Ile de France.

Déjà en 2019, nous avions dénoncé les difficultés d’exercice des soignants (manque de matériel, locaux vétustes, surcharge de travail, perte de sens) à l’origine d’une fuite des professionnels de santé, sans aucun espoir de recrutement faute d’attractivité. Un millier de chefs de service avait démissionné dans la France entière pour que soit entendue leur inquiétude, par la population et par le gouvernement.

Lorsque les premiers cas de COVID sont arrivés en France, nous avons dit et répété que l’Hôpital ne pourrait pas se remettre d’une épidémie d’une telle ampleur parce qu’il était déjà trop fragile.

Au printemps 2020, avec la première vague de COVID, nous avons tous craint de ne pas pouvoir prendre en charge tous les malades, d’être obligés de faire des choix, mais nous avons tenu, l’Hôpital est resté debout grâce à des individus dévoués, à des professionnels mobilisés sans limite, sans masque et sans peur.

Il y a eu des applaudissements, pendant quelques semaines, qui nous ont donné l’impression que la population et les dirigeants politiques avaient enfin compris le rôle essentiel de l’Hôpital dans notre société. Nous avons alors eu l’espoir que cette prise de conscience déboucherait sur une réforme sérieuse de notre système de soins.

Comme nous avons été naïfs !

Un sujet en remplace un autre à une telle vitesse que l’épidémie de COVID ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Tant mieux... mais le COVID ne sera jamais un vague souvenir pour ceux qui ont perdu un proche, pour les soignants confrontés à l’omniprésence de la mort pendant des semaines et pour les médecins marqués par un sentiment douloureux d’impuissance face à une maladie nouvelle et imprévisible.

Alors que l’épidémie semble se tarir grâce à la vaccination, l’Hôpital s’effondre, la chute est vertigineuse. Des lits ferment partout dans l’indifférence la plus totale de nos politiques (en particulier de notre Ministère), pourtant si reconnaissants il y a encore quelques mois, et avec très peu de relai dans les médias... qu’est donc devenue cette lucidité soudaine du printemps 2020 ?

Notre crainte est devenue réalité : à l’automne 2021, la situation des hôpitaux est encore plus inquiétante qu’en 2020, nous n’avons plus assez de lits pour prendre en charge tous les malades, et cela ne préoccupe plus personne !

En septembre, un patient est mort sur un brancard, dans le couloir des Urgences : une « histoire » parmi tant d’autres, qui n’émeut plus mais à laquelle il nous est impossible de nous habituer...

Aujourd’hui les soignants continuent à déserter l’Hôpital. Ils ont été épuisés par la crise COVID, et supportent encore moins leurs conditions de travail dégradées et la baisse de qualité de prise en charge des malades. De plus, ils n’ont pas obtenu la revalorisation salariale qu’ils attendaient en reconnaissance du travail accompli et du caractère essentiel de leur métier au sein de notre société.

Il nous faudrait donc retrouver l’énergie que nous avions en 2019 pour descendre à nouveau dans la rue afin d’alerter la population sur les difficultés majeures et inédites que rencontre aujourd’hui l’Hôpital, ce bien commun si précieux, mais à quoi bon ?

L’épidémie de COVID n’a pas permis de réelle prise de conscience, n’a pas débouché sur une grande réforme de notre système de soins alors comment pourrions-nous y parvenir maintenant, alors que les médias ne parlent plus que de l’élection présidentielle de 2022 et qu’aucun des candidats potentiels n’aborde ce sujet essentiel... ?

Nous avons donc pris la plume pour vous lancer un dernier appel, en espérant qu’il soit entendu et que nous puissions enfin « compter sur vous », comme vous l’aviez promis en 2019 à un neurologue de la Pitié-Salpêtrière, pour nous aider à sortir l’Hôpital de ce marasme.

Etes-vous prêt à assumer, Monsieur le Président, que nos concitoyens ne puissent plus être correctement soignés en France ?

L’Hôpital brûle, en particulier dans notre Département de Seine-Saint-Denis. Ne regardez pas ailleurs Monsieur le Président, car vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas...

En espérant que vous lirez notre lettre avec attention, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.

Signataires :

Hélène Gros,

Marie Anne Bouldouyre,

Hélène Guillot

Benjamin Rossi, praticiens hospitaliers.


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