Un réquisitoire très clément pour Alexandre Benalla

dimanche 3 octobre 2021.
 

Par Michel Deléan

Ce jeudi 30 septembre au soir, alors que le procès d’Alexandre Benalla touche à son terme, le procureur Yves Badorc fait preuve de beaucoup d’empathie et de mansuétude envers les prévenus, le gendarme réserviste Vincent Crase, le contrôleur général de la police nationale Laurent Simonin, et le commissaire Maxence Creusat. Annonçant un réquisitoire qui se veut « nuancé, objectif et sans arrière-pensée », le représentant du parquet de Paris vante les nombreuses qualités professionnelles des quatre prévenus, loue leur parcours, célèbre leur « engagement », souligne leur absence d’antécédents judiciaires, déplore la médiatisation excessive de l’affaire et, pour finir, leur trouve de larges circonstances atténuantes. C’est presque émouvant.

À ce moment-là du procès, on oublierait presque qu’Alexandre Benalla risque jusqu’à sept ans de prison. Il doit répondre de plusieurs séries de faits, que plusieurs vidéos et expertises rendent parfois incontournables : les violences qu’il a commises le 1er mai 2018 à Paris, place de la Contrescarpe et au Jardin des plantes ; l’utilisation d’images de vidéosurveillance protégées appartenant à la préfecture de police ; le selfie avec arme à feu pendant la campagne présidentielle, en avril 2017 dans un restaurant de Poitiers ; et, enfin, l’utilisation à usage privé de passeports diplomatiques.

Le tout lui vaut d’être poursuivi pour non moins de 12 infractions, allant de « violences volontaires en réunion » à « immixtion sans titre dans l’exercice d’une fonction publique », en passant par « port d’arme de catégorie B » ou encore « faux et usage de faux ».

« Alexandre Benalla n’a pas assumé sa responsabilité, il s’est lancé dans une quête effrénée de réhabilitation », concède le procureur, qui reconnaît que Benalla a beaucoup menti au cours de l’instruction et du procès, mais comme tout prévenu a le droit de le faire pour se défendre.

Certes, l’épisode du selfie avec arme pendant la campagne présidentielle de 2017 (un simple pistolet à eau, selon Benalla) n’est pas très glorieux, le « Monsieur sécurité » d’Emmanuel Macron se promenant avec un Glock mais ne disposant alors d’aucune autorisation de port ni de détention d’armes, admet le procureur.

Le comportement d’Alexandre Benalla et de son compère Vincent Crase, qui se sont pris pour des shérifs de série B le 1er mai 2018, n’est pas plus reluisant. « Tout le monde les a pris pour des policiers. Non seulement parce qu’ils en avaient les signes extérieurs, mais aussi à cause de leur comportement », relate le magistrat.

« Le 1er mai, c’est la chronique d’un dérapage annoncé. Avec un duo de gendarmes réservistes qui sont assimilés à des policiers, un tuteur dépassé, une hiérarchie pas avisée, un Benalla impulsif, et des débordements violents des black blocs. Il y a une réaction en chaîne. » Un concours de circonstances, en somme. Rien de prémédité en tout cas, aux yeux du procureur, même si Benalla et Crase sont venus armés et harnachés à la manifestation, où ils étaient censés être de simples observateurs derrière les forces de l’ordre.

« La situation est sous contrôle quand ils décident de prêter main forte aux policiers », poursuit le magistrat, pour qui la thèse des interpellations en flagrant délit, soutenue par Benalla et Crase, ne tient pas. Après un long rappel des violences et abus de pouvoir commis sur plusieurs personnes par le tandem au Jardin des plantes et place de la Contrescarpe, le procureur estime que « la seule question à se poser est de savoir si l’action d’Alexandre Benalla et Vincent Crase est légitime ou non ».

« Il faut toujours laisser faire les professionnels », rappelle le procureur. « C’est l’État qui détient le monopole de l’usage de la force ».

Alexandre Benalla a « des arrangements avec la vérité qui ne lui convient pas ».

La procureure Aude Duret se charge pour sa part du volet vidéosurveillance, et détaille « la conduite illégale de deux fonctionnaires de police qui ont voulu sauver un proche de l’Élysée, protéger les institutions, mais aussi se disculper, et aider des relations personnelles ». Elle rappelle la « désinformation » que constitue le montage vidéo diffusé sur un compte Twitter faussement attribué à un sympathisant de LREM.

Les deux huiles de la préfecture de police (PP) en prennent pour leur grade. « Les deux faits justificatifs invoqués par Maxence Creusat ne peuvent être retenus », note la magistrate. Le commissaire de police communique des images à des personnes non habilitées, pour une « utilisation dévoyée des images de vidéoprotection dans un objectif de défense médiatique ».

Quant à Laurent Simonin, son supérieur de l’époque, il a « validé cette idée de remettre des images protégées à Alexandre Benalla en dehors de tout cadre légal ». Il n’avise pas sa propre hiérarchie, et s’active pour récupérer le CD-Rom quand il devient dangereux, pointe la magistrate.

Poursuivi pour recel, Alexandre Benalla assure pour sa part qu’il ignorait l’origine illicite de ces images, alors qu’il en avait pleine conscience, tance la procureure. « Il a des arrangements personnels avec la vérité qui ne lui convient pas. »

Le 19 juillet 2018 au matin, Benalla sait qu’il n’a pas le droit d’utiliser ces enregistrements, que les policiers de la PP lui demandent de restituer. Mais il ne le dit pas à Ismaël Emelien, raconte la procureure. « Son sujet, c’était d’obtenir une réponse médiatique » à la révélation de ses agissements place de la Contrescarpe. « Quoi qu’il en coûte. » Lire aussi

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Le procureur Yves Badorc aborde maintenant le problème des cinq passeports d’Alexandre Benalla (deux passeports diplomatiques, deux passeports de service, et un passeport personnel). S’il concède que l’usage privé des passeports diplomatiques est délictuel, et que Benalla a commis un faux pour se faire attribuer un second passeport de service, le représentant du parquet n’en tire pas de conséquences trop sévères. Loin de là.

En conclusion, il réclame les peines suivantes : deux mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire contre le commissaire de police Maxence Creusat ; quatre mois de prison avec sursis contre le contrôleur général Laurent Simonin ; un an de prison avec sursis et l’interdiction de porter ou détenir une arme pendant quinze ans contre Vincent Crase ; et enfin 18 mois de prison avec sursis, dix ans d’interdiction de port et détention d’armes, la confiscation des armes remises, cinq ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique, et 500 euros d’amende contre Alexandre Benalla.

On a connu parquet plus sévère. Le procès s’achèvera ce vendredi 1er octobre après les plaidoiries de la défense.


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