par Jacques Cordas
Le dispositif sécuritaire français est devenu une énormité unique au monde. Si l’on additionne les effectifs de la police, de la gendarmerie, des polices municipales, de la douane volante, des divers corps de sécurité spécifiques (agents de la SNCF, RATP, parcs et jardins parisiens…), le total dépasse les 340 000 personnes ! À cela, il faut bien sûr ajouter plus de 185 000 agents de sécurité des officines privées. Donc, plus d’un demi-million d’agents publics ou privés veillent en principe à notre sécurité sur le territoire français… sans compter la future police municipale parisienne réclamée à grands cris par la maire Anne Hidalgo !
Le ratio personnel de sécurité/population active totale atteint 1/56 et bat un record mondial !
En comparaison, l’armée française disposait en 2018 de 206 000 femmes et hommes. De là à penser que le véritable ennemi se trouve à l’intérieur des frontières plutôt qu’à l’extérieur…
Au centre de ce dispositif sécuritaire se trouve la Police nationale. Son rôle central est lié à ses effectifs, à sa polyvalence, à sa liberté de parole car elle dispose de syndicats professionnels. Elle prend aussi une place importante dans l’imaginaire collectifs avec son genre romanesque, les films, et maintenant les séries et les jeux vidéos.
Après ce constat, vient immédiatement une question, ou plutôt deux emboîtées l’une dans l’autre : les Français sont-ils et se sentent-ils en sécurité ? La réponse est claire : ni l’un, ni l’autre.
Visiblement, la petite délinquance ou la grande criminalité ne sont pas en régression. Concernant les vols à la tire, les cambriolages et les vols avec violences, les chiffres étaient constamment à la hausse avant les confinements successifs liés à la Covid 19. Sachant que ceux-ci ont forcément faussé les chiffres. Un exemple : dans les grandes villes, à Paris en particulier, les cambriolages de caves ne donnent plus lieu à des enquêtes. Les policiers ne se déplacent plus sur les lieux du délit, ce qui était encore le cas il y a cinq ans. La plupart des faits de petite délinquance ou d’incivilité sont immédiatement classés sans la moindre recherche des coupables. Plus grave encore, les attaques violentes contre des personnes, comme par exemple les vols avec violence devant les distributeurs de billets de banque, sont eux aussi en augmentation, et cela malgré la généralisation de la vidéo surveillance qui devrait normalement permettre d’arrêter plus facilement les auteurs de ces agressions.
Le trafic de drogue, lui aussi, se porte bien, c’est même une activité en pleine expansion. La pandémie, les confinements au caractère délétère, et la généralisation de la livraison à domicile des substances illégales par des coursiers ont incontestablement dynamisé ce marché. Par ailleurs, avec la reprise des cours en présentiel dans les lycées et universités, la « filière marocaine » a repris sa livraison quotidienne aux établissements scolaires. La prospérité du marché de la drogue est telle qu’elle engendre inévitablement de terribles rivalités entre dealers, comme en témoignent les dizaines de morts de la guerre des gangs de Marseille.
Sur le plan de la reconquête des « territoires perdus de la République », la police est là aussi au point mort… ou plutôt en position « marche arrière » sur la boîte de vitesse de la sécurité publique. Depuis la Covid 19, les quelques rares incursions policières dans les « quartiers difficiles » donnent lieu systématiquement à des violents incidents ponctués de tir de mortiers de feux d’artifice et de cocktails Molotov. Visiblement, le développement de la consommation de drogue exige de plus en plus de « zones sans police » pour accroître tranquillement ce trafic. Face à cela, le gouvernement met la pédale douce pour éviter une explosion de certaines cités dans une atmosphère sanitaire déjà lourde.
Enfin, dernier exemple de ce petit tour d’horizon très imparfait, les violences domestiques, en particulier celles faites aux femmes, sont elles aussi en augmentation, malgré les grand messes et les discours médiatiques. La police n’a pas particulièrement augmenté les « constatations à domicile », surtout en période de confinement pourtant propice aux coups et blessures au sein des foyers.
La gendarmerie n’est pas en reste d’inaction puisque l’on assiste à une impressionnante augmentation des délits et des crimes en zone rurale. Vols de matériels agricoles, de carburant, de récoltes, d’animaux d’élevage, se généralisent dangereusement. Par ailleurs, l’augmentation des « néo ruraux » va de pair avec le développement du trafic de drogue, et les campagnes connaissent une explosion des addictions aux drogues illicites, chimiques en particulier.
Alors, que fait la police ? Que fait ce gigantesque « Mammouth » sécuritaire doté de centaines de milliers de fonctionnaires ? Eh bien, il maintient l’ordre, le samedi en particulier. Il faut dire qu’il n’y a pas le temps pour tout faire, la dernière réforme des horaires de prises de services des policiers permet de faire le maintien de l’ordre… et pas grand chose d’autre !
Peu efficace sur le plan de la lutte contre la délinquance, la police et la gendarmerie mobile se montrent par contre parfaitement adaptées au maintien de l’ordre, même au prix d’utilisation d’armes tels les « flash ball » qui infligent des mutilations aux citoyennes et citoyens. Durant certains samedis du mouvement des « Gilets jaunes », une soixantaine de villes de France a connu à la même heure des incidents graves dans les cortèges. Plus de 120 000 effectifs sur le terrain, policiers et gendarmes, sont parvenus à maintenir l’ordre entre 14 h et 22 h dans tout l’Hexagone… au prix de quelques milliers de blessés et plusieurs dizaines d’estropiés dans une seule journée. Il s’agit d’un exploit qui demande des effectifs et une organisation logistique impressionnante. Bref, Macron a pu compter sur sa police.
Beaucoup d’observateurs, et peut-être le Président lui-même, estimaient à cette époque que la police était le dernier rempart de la Macronie. Ce fut certainement le moment où le corps policier a donné l’impression de basculer d’un « service public » à une « garde prétorienne ». Le 1er mai 2019, le ministre de l’Intérieur et le préfet Lallement engageaient plus de 10 000 hommes (et quelques femmes) à Paris, pour casser la manifestation traditionnelle de la fête du travail. Ce jour-là, les brigades policières en moto, remises en selle par Castaner malgré leur dissolution après la mort de Malik Oussekine en 1986, poursuivirent les manifestants jusque dans la cour de l’hôpital de la Salpêtrière… un grand moment démocratique dans le « pays des droits de l’homme » !
Certaines manifestations rassemblent plus de policiers et de gardes mobiles que de manifestants. Parfois, l’on assiste même à une sorte de cortège de policiers, transformés en robot cops, entourant un chétifs rassemblement de protestataires. La police impressionne certains manifestants, moins semble-t-il les délinquants.
Bien sûr, ces déploiements spectaculaires de maintien de l’ordre coûtent « un pognon de dingue ! », comme dirait notre Président. Certains mois du mouvement des « Gilets jaunes », des fonctionnaires CRS ou gardes mobiles ont gagné plus de 4 000 euros net grâce aux primes cumulatives… un salaire digne d’un ingénieur de grande école en début de carrière. À quand les classes préparatoires pour intégrer les compagnies républicaines de sécurité ?
Depuis un quart de siècle, la « doctrine policière française » met en avant sa visibilité extrême : c’est l’obsession de la présence de l’uniforme censée rassurer une « France qui a peur » ! ». Plus un quartier est tranquille et plus la police y est visible. À l’inverse, les « quartiers difficiles » sont exemptés du bleu de l’uniforme. En fait, il s’agit d’une aberration en terme de métier de policier. Un ancien responsable syndical de cette institution disait toujours « un policier en uniforme, il ne lui manque plus qu’un gyrophare sur la tête ! Arrêter un pickpocket en tenue, c’est l’exploit du siècle ! ».
Les policiers parlent de faire du « saute-dessus » pour arrêter en flagrant délit les voleurs ou les agresseurs, mais pour cela il faut les surprendre, et donc être incognito. Pour combattre la délinquance, la criminalité et même le terrorisme, le système policier doit être… invisible et donc en civil, ni vu ni connu. Un touriste se promenant dans les rues de Tel Aviv, certainement la ville la plus surveillée au monde avec Jérusalem, s’en aperçoit presque immédiatement. Les rues semblent sans surveillance, malgré la présence de milliers de policiers et de forces spéciales à la recherche de terroristes éventuels. Plus de la moitié des effectifs est en civil, une autre proportion est invisible elle aussi car derrière des écrans pour analyser les images et les sons des caméras de surveillances et des dizaines de drones survolant la ville sans bruit. Pour ses postes statiques, le port de l’uniforme est possible si le fonctionnaire le souhaite… mais pour faire des économies de pressing !
La France a une autre vision qui ne tient pas compte de l’efficacité. La police doit être partout et impressionner. Encore dernièrement, le ministre de l’Intérieur Darmanin a donné pour consigne que « les uniformes soient visibles et nombreux » devant les synagogues pour les fêtes juives ».
Déjà en forte croissance sous Sarkozy et Hollande, le budget de Beauvau connaît une hausse exponentielle apparemment sans limite. Le Premier ministre Jean Castex a annoncé en juillet dernier une hausse du budget du ministère de l’Intérieur « de plus de 900 millions d’euros » en 2022. Une nouvelle enveloppe qui va s’ajouter aux quelque 2,5 milliards supplémentaires pour la période de 2017 et 2021. Jean Castex a également affirmé que la promesse du président Emmanuel Macron de créer 10 000 postes de policiers et de gendarmes au cours de son quinquennat serait « tenue », avec les « 885 emplois supplémentaires qui seront créés en 2022 ». Comme cela ne suffisait pas, Macron vient d’annoncer une nouvelle rallonge de 500 millions. Au diable l’avarice et les avaricieux ! Par ailleurs, en co-financement avec les collectivités territoriales, les « hôtels de police » connaissent une épidémie de rénovation somptuaire partout en France, des sortes de « palais du peuple » du XXIe siècle ! Véhicules automobiles puissants et dernier cri, cars de transport pour CRS avec WC, douche et cabine de repos, nouveaux uniformes, armes individuelles dernier modèle, caméras individuelles, rénovation du parc informatique et nouveaux mobiliers ergonomiques, bref l’argent coule à flot. Rien n’est trop beau pour la Police nationale et la gendarmerie érigées en priorité nationale absolue.
Du coté de la « défense des intérêts matériels et moraux de fonctionnaires de police », les syndicats de police se creusent la tête pour trouver de nouvelles revendications, car les anciennes sont satisfaites et même au delà. Prenons un seul exemple : depuis une bonne trentaine d’années, les syndicats de police se battent pour obtenir « le 75 % SNCF », c’est-à-dire de ne payer qu’un quart d’un billet de train à l’exemple des gendarmes. C’était une vielle revendication historique. Macron et Darmanin ont fait mieux, encore mieux, que les demandes des syndicats : à partir de 2022 les billets SNCF pour les policiers seront totalement gratuits. Qui dit mieux ? La seule contrainte est que le policier doit porter son arme sur lui, cela devient d’ailleurs une règle générale, le policier doit être armé partout, toujours, et prêt à tirer, bref une vision de guerre civile ! Bien sûr c’est l’impôt qui assurera ce financement, car la mesure étant entièrement financée par l’État, il n’y aura aucune perte pour la SNCF.
Roger Wybot, premier directeur de la DST nommé par de Gaulle à la Libération, et qui dirigea d’une main de fer ce service pendant 15 ans avait cette phrase restée célèbre : « La police est un chien méchant qui se tient avec une laisse courte ! ». Charles Pasqua d’ailleurs aimait à citer cette maxime.
L’inexpérimenté Macron n’a pas retenu la leçon des anciens, il laisse la police déambuler en liberté… en particulier récemment devant l’Assemblée nationale de la République pour très officiellement « faire pression sur le législatif ». Laissons la parole au journal Le Monde du 19 mai 2021 : « “Le problème de la police, c’est la justice“, a ensuite asséné à la tribune Fabien Vanhemelryck, secrétaire national du syndicat Alliance, après avoir fait huer par les manifestants quatre décisions de justice – considérées comme trop laxistes – prononcées dans des affaires au cours desquelles des policiers ont été blessés. “Tant qu’il n’y a pas de justice, il n’y aura pas de paix“, a poursuivi M. Vanhemelryck. »… des menaces Monsieur le secrétaire national ?
Visiblement, les policiers fonctionnaires chouchous de Macron, ne font preuve d’aucune reconnaissance, et d’ailleurs Darmanin fut copieusement hué ce 19 mai devant l’assemblée. Il ne fut pas le seul à ce jour là à grossir les rangs des policiers « venus faire pression ». Toute la droite et l’extrême droite étaient là, ce qui est assez naturel d’ailleurs. Plus étonnant, la gauche participa aussi à cette grand messe anti démocratique. Parti socialiste, Parti communiste, Verts avaient envoyé leurs secrétaires nationaux… une drôle de conception de la neutralité du service public de la sécurité !
Cette manifestation est en fait l’aboutissement d’un « laisser-aller à droite » en vigueur dans l’institution depuis une bonne dizaine d’années. Il est de notoriété que l’extrême droite parle haut et fort dans les commissariats et la génération des courageux délégués du SGP et de la FASP n’est plus dans les services pour mener le combat idéologique… qui se terminait quelque fois à grands coups de poing dans les vestiaires ! Les responsables syndicaux dans les conseils de discipline, et quelles que soient leurs tendances, défendent systématiquement les policiers, même s’ils sont convaincus de propos racistes, ou de violences illégitimes. De plus, les policiers sont même encouragés par leurs syndicats à porter plainte systématiquement pour violence, coup et blessure ou insulte, y compris pour contrer immédiatement des accusations de violences illégitimes de citoyens interpellés, suivant le célèbre principe : « un partout, la balle au centre » ! Par ailleurs, la surenchère syndicale est permanente pour obtenir l’augmentation des peines encourues pour « violence à agent de la force publique ». Le gouvernement approuve de suite : avec la nouvelle loi votée au Parlement, pour faire suite au « Beauvau de la sécurité », la peine est maintenant montée à 7 ans de prison maximum.
La bride est lâchée, les « forts en gueules » de l’ultra droite ne sont plus combattus au jour le jour dans les commissariats ! La traduction sur le plan du vote policier est patente : plus de la moitié des voix policières vont à l’extrême droite. Nous observerons en mai prochain les votes policiers vers les Le Pen et autre Zemmour, nous risquons hélas d’être surpris par leur ampleur.
Pour le moment, le corporatisme l’a emporté dans la police. Bien payés, disposant d’avantages non négligeables, ces fonctionnaires sont satisfaits de la situation. D’ailleurs, la part de fonctionnaires souhaitant que leurs enfants fassent carrière dans cette administration augmente d’année en année, un bon indicateur d’optimisme professionnel. Paradoxalement, le fait d’être considéré par une partie de la population comme une « garde prétorienne » du pouvoir, referme le corps policier sur lui-même. Beaucoup de policiers ont tendance à penser : « nous défendons nos intérêts, et nous gagnions sur ce terrain, point final ! ». De plus, contrairement aux années soixante ou même quatre-vingt, les jeunes policiers entrent directement dans la carrière sans aucune autre expérience professionnelle. Ils sont coupés du peuple dès la fin de leurs études. Enfin, la pression idéologique et médiatique est très forte. Des films grand public comme BAC nord, renvoient une image de cowboy à l’intérieur même du corps policier, bref un archétype bien loin du « gardien de la paix ».
Ce problème est extrêmement grave car nous sommes dans une situation de crise systémique où l’enjeu de la rectitude républicaine des forces armées et de la police est essentiel. « L’appel des généraux » pour le corps militaire et la manifestation policière de mai dernier devant l’Assemblée nationale sonnent comme des avertissements…peut-être les derniers. Aujourd’hui, tous les éléments sont réunis pour connaître un épisode factieux des forces armées civiles ou militaires en cas de conflit politique de première ampleur.
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