« La gauche a baissé la garde face à la saloperie raciste, suprématiste, ségrégationniste et sexiste »

mercredi 29 septembre 2021.
 

Qu’est-ce qu’on a fait pour en arriver là ? C’est la question à laquelle Edwy Plenel, président-fondateur de Mediapart, auteur de "A gauche de l’impossible" aux éditions La Découverte. Il est l’invité de #LaMidinale.

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Sur son expression « l’heure de nous-même »

« Face au sentiment que la catastrophe est déjà en cours, il faut créer un "nous". Ma réponse, c’est que la gauche, avant d’être des partis, des élus, c’est d’abord accompagner, mobiliser, écouter, apprendre des refus de la société, de ses mobilisations. La gauche et la République se sont toujours inventées comme ça. »

« Le problème de la gauche, depuis qu’elle est arrivée, sous la Vème République, au pouvoir, c’est qu’elle a progressivement tourné le dos à ce mouvement de la société, au point d’en venir à se méfier d’elle et de se placer du côté de l’ordre établi, du côté du conservatisme. »

« L’urgence climatique n’est pas venue d’en haut, d’une avant-garde autoproclamée, c’est venu des militants, de la jeunesse, de ceux qu’on considérait comme des extrémistes. »

Sur la présidentielle

« Il ne faut jamais prétendre prédire l’avenir. Il y a des accidents, des surprises. Je n’ai pas de mépris envers celles et ceux qui veulent obtenir des suffrages et prendre des responsabilités. On a oublié que la gauche doit soulever des montagnes. Il y a des intérêts économiques, des puissances financières, du conservatisme qui est installé. Pour soulever la montagne, il faut un levier : le rapport de force dans la société. Ce n’est pas simplement du verbe, des leaders. » « La gauche a réduit la politique à l’élection, et donc aux professionnels de la politique. Comme si changer la société, c’était d’abord par l’élection. Non, c’est d’abord militer et organiser la société. » « Le présidentialisme est une perdition, il abrutit tout le monde et donne ce virilisme des campagnes électorales. C’est l’inverse même de ce que la gauche défend historiquement, qui est la délibération collective, l’égalité, la culture et la vitalité démocratique. »

Sur la défiance de la gauche vis-à-vis des mouvements sociaux « Pourquoi la gauche est triste et divisée ? Parce que les partis ont loupé toutes les occasions de mobiliser la société. Ils se sont pincé le nez, qu’il s’agisse des gilets jaunes, des mobilisations des jeunes des quartiers, des radicalités liées au climat, de #MeToo. » « Depuis 40 ans, les partis ont perdu sans cesse des militants. Ils n’ont pas cherché à en recruter. Ce sont des partis où les militants n’ont pas le contrôle de ce qu’il se passe. »

« Quand on vit de la politique, on a un rapport malsain à l’État. La politique devient la prise de contrôle de l’État. Mais l’État n’est pas neutre. Il est infiltré des rapports de force sociaux. »

« Vivre de la politique, c’est ne pas avoir de métier pendant des décennies. Ça crée, socialement, un monde politique qui se pense plus sachant que la société, et qui n’est plus dans la société. Être de gauche, c’est d’abord lutter là où on travaille, dans son entreprise. » « Le décalage entre ce monde politique professionnel et cette vitalité de la société se traduit par une jeunesse qui ne veut pas voter. C’est une abstention très politisée. Il faut reconstruire ce lien. » « Résister à la saloperie, à la violence, à l’extrême droite, ça ne se passera pas par un débat à la télé, ça se passera par la construction d’un rapport de force dans la société. »

Sur le projet politique de la gauche

« C’est dans la résistance que se crée le projet. C’est la mobilisation de la société qui met à l’agenda du débat politique des questions que les autres voulaient ignorer. »

« Il y a un problème de culture démocratique. Regardons la campagne législative allemande : on n’y parle pas de migrants, d’identité. On parle d’urgence écologique, de questions sociales. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu une culture démocratique différente. La France est une démocratie de très basse intensité à cause du cancer du présidentialisme. En ramenant tout au pouvoir d’un seul, la démocratie, qui est l’arme première des dominés, dysfonctionne. » « Si les médias déconnent, c’est parce que le système démocratique déconne. Nous ne sommes pas un pays démocratique, nous ne sommes pas une République – encore moins démocratique, sociale et écologique –, nous sommes une monarchie. »

Sur la question coloniale « La question coloniale, c’est la question française : la France a fait, y compris les gauches, à partir des années 1962 et l’indépendance de l’Algérie, comme si la question coloniale n’était plus son problème puisqu’il y avait des pays indépendants. »

« La France a oublié qu’elle restait une puissance coloniale car grâce à sa domination sur d’autres peuples, elle est le deuxième domaine maritime du monde derrière les Etats-Unis. »

« Il y a eu une gauche colonialiste. »

« Le responsable politique de la torture pendant la guerre d’Algérie est mort dans son lit en 1989 a été parlementaire jusqu’en 1980 pour le Parti socialiste - et il n’a jamais eu de comptes à rendre. »

« La complicité française contre les Tutsis au Rwanda s’est faite sous la présidence de François Mitterrand. »

« Il y a eu un aveuglement pendant toute la présidence de François Mitterrand à commencer par l’amnistie pour les généraux de l’OAS. »

« En ayant considérer que la République était forcément universelle et libératrice, on a oublié qu’il y a eu une République conservatrice et colonialiste qui pensait que la France était une culture et une civilisation supérieures. La gauche n’a pas été au rendez-vous de l’émancipation. »

« Eric Zemmour est l’ultime avatar, probablement le plus monstrueux, de ce qui monte depuis 30 ans dans notre pays dans cette brèche ouverte par une gauche faible qui reste à prétention colonialiste. » « La gauche a baissé la garde et n’a pas construit la digue qui permet de créer ce rapport de forces pour faire reculer la saloperie raciste, suprématiste, ségrégationniste, sexiste. »

« Tant que la gauche n’aura pas déverrouillé le coffre-fort de la question coloniale, elle sera impuissante à faire face aux monstruosités qui sont en train aujourd’hui d’occuper toute la place. »

Sur la question des médias dans la démocratie

« La question des médias, c’est d’abord la question de l’indépendance : nous résistons et nous sommes quelques uns à le faire mais nous faisons face à un système qui n’a cessé de se dégrader. »

« Nous sommes la seule vieille grande démocratie du monde où la majorité du système médiatique et éditoriale est la propriété d’oligarques extérieurs aux métiers de l’information qui ont fait fortune dans l’exploitation de l’Afrique, dans le luxe, dans les télécommunication, dans la finance ou dans les ventes d’armes : il y a conflit d’intérêts car les propriétaires de médias sont des puissances qui imposent leurs lois à l’Etat. »

« Le rôle d’un média, c’est d’informer, c’est-à-dire faire surgir l’agenda de la société en racontant ce qui s’y passe. »

« Ma position par rapport à des idéologies explicitement racistes, du côté de l’inégalité naturelle, du côté de l’ennemi éternel de l’émancipation, c’est la formule du compagnon de la Libération et historien Jean-Pierre Vernant : on ne débat pas recette de cuisine avec un anthropophage. Ce sont des idées que l’on combat, pas avec lesquelles on débat. »

« Le piège médiatique qui nous est tendu et qui a permis la dégradation du paysage médiatique, cheval de Troie pour étouffer les informations et le droit de savoir, bref la vitalité démocratique : c’est l’opinion. »

« Le blabla des opinions est devenu le soit-disant travail des journalistes. »

« Les médias en continu ont créé un espace où l’on peut dire n’importe quoi et souvent les plus grosses monstruosités. »

« Mon métier, ce n’est pas débattre de monstruosités mais de raconter la société en la défendant et en lui donnant la parole. »

« Nous avons déjà eu le débat à Mediapart et nous avons décidé de ne pas inviter Marine Le Pen - et cela vaut pour tous ses succédanés. Parce qu’avec elle, c’est un affrontement, pas un débat. »


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