Manifestation contre le passe sanitaire : à gauche, y aller ou pas ?

samedi 11 septembre 2021.
 

Critiques du dispositif gouvernemental, les partis de gauche, à l’exception de La France insoumise, refusent néanmoins de se mêler formellement aux manifestations contre le passe sanitaire. Au risque de passer à côté du premier mouvement social d’ampleur depuis l’apparition de la pandémie.

Faut-il rejoindre les rangs des « anti-passe » samedi ? Après un été marqué par des manifestations hebdomadaires jamais vues en pleines vacances scolaires, et à huit mois de l’élection présidentielle, impossible, pour la gauche, de faire l’impasse sur ce qui ressemble au premier grand mouvement anti-gouvernement depuis les grèves contre la réforme des retraites. D’autant qu’entre le flou qui entoure cette rentrée scolaire sous variant Delta et le retour compliqué de salariés soumis au passe sanitaire, la mobilisation de ce 4 septembre pourrait s’avérer d’importance.

Fin juillet, l’ensemble des députés classés à gauche s’était élevé, avec plus ou moins de véhémence, contre la mise en place du passe. Critiques de la mesure annoncée par Emmanuel Macron le 12 juillet, les gauches avaient alors vilipendé la méthode : la verticalité, si ce n’est l’autoritarisme du pouvoir. Mais aussi le fond : soit sur le mode philosophique de la restriction des libertés ou de l’instauration d’une « société de surveillance généralisée », soit en s’attaquant aux contours, parfois absurdes ou intolérables, du dispositif – suspension de salaire pour les salariés non vaccinés, interdiction de se rendre à l’hôpital, d’aller dans certains centres commerciaux au moment des courses pour la rentrée scolaire…

De là à aller battre le pavé au sein de défilés où ont pu se glisser des pancartes antisémites, une partie de l’extrême droite et des représentants de la mouvance anti-vaccins ?

Preuve que la réponse n’a rien d’évident, tout l’été, de vigoureux débats se sont multipliés à gauche, à coups de tribunes, sur la nécessité, ou non, de monter dans le train de la contestation.

Un vrai champ de bataille qui a vu s’affronter deux camps. D’un côté, des personnalités comme l’Insoumis François Ruffin, la philosophe (et manifestante revendiquée) Barbara Stiegler et l’eurodéputé des Républicains François-Xavier Bellamy, qui ont signé un texte invitant à s’opposer franchement au passe sanitaire et à ne pas « réduire les protestations au seul discours d’antivax, de complotistes ou d’extrême droite ».

De l’autre côté, certains intellectuels influents au sein d’une certaine gauche, lesquels n’ont pas retenu leurs coups contre cette gauche selon eux « à la colle » avec les manifestations anti-passe. C’est le cas de Philippe Corcuff ou de Philippe Marlière, auteur d’un texte au vitriol dans L’Obs, où il avançait que la participation au mouvement, quand bien même le passe serait « insatisfaisant », « arbitraire » et « inadéquat », nourrirait « le confusionnisme politique ambiant et renforce[nt] les forces conspirationnistes et d’extrême droite ».

Une ligne, du reste, assez proche de celle de la CGT. Le secrétaire général Philippe Martinez a annoncé en début de semaine dans Le Parisien que si son syndicat « ne défilera pas avec des antivax qui tiennent des propos antisémites, qui défendent des thèses complotistes insupportables, [ou] aux côtés de Florian Philippot », la centrale appellera à une mobilisation début octobre.

Quant à Sud-Solidaires, il reste le seul syndicat à avoir appelé ses adhérents à « participer aux mobilisations sociales et de défense des libertés qui se construisent » mais à la condition sine qua none qu’elles n’aient « rien à voir avec les rassemblements initiés par l’extrême droite et les mouvances complotistes ». Sud-Éducation, membre de l’union syndicale, a d’ailleurs tenu à préciser dans un communiqué, qu’il appelait les personnels de l’éducation nationale à « ne participer à aucune mobilisation orchestrée par l’extrême droite ou acquise à ses idées nauséabondes ».

À l’image des atermoiements qui avaient eu lieu au commencement des « gilets jaunes », l’opposition, tiraillée entre les impératifs sanitaires et la défense des libertés individuelles, se retrouve une nouvelle fois dans une posture délicate. Après tout, les mesures gouvernementales, problématiques sur le plan de la démocratie et des libertés, ont permis de doper de manière spectaculaire la vaccination, forçant procrastinateurs et autres indécis à se rendre dans les centres d’injection. Par ailleurs, au sein d’une gauche qui entend accéder au pouvoir l’an prochain, difficile de se poser en désobéissants ou de critiquer le dispositif sans alimenter la défiance vis-à-vis de la vaccination.

Plus compliqué encore : le mouvement protéiforme des « antipasse », dont les tenants et aboutissants sont peu décryptables : outre la composition composite des cortèges – où l’on retrouve nombre de citoyens rétifs à la vaccination –, impossible de dire si la contestation est vouée à s’éteindre rapidement ou si elle signe le début d’une dynamique qui pourrait être transformée dans les urnes en avril 2022.

Le PCF, le PS et les Verts à bonne distance

Les débats militants qui ont eu lieu lors des universités de rentrée ont montré d’importantes nuances de positionnement au sein même des formations. Il suffisait d’engager la conversation sur le sujet, lors de la rentrée politique du PS, à Blois, pour saisir la variété d’opinions entre les pro et les anti-passe.

« Le passe entraîne des inégalités pour les gens des quartiers. Je ne me retrouve pas non plus dans la vaccination obligatoire, car je suis favorable à la liberté individuelle, et je vois bien les réserves que les vaccins suscitent », soulignait ainsi un militant de la région lyonnaise. Discours inverse d’une militante du Val-d’Oise, « pas fondamentalement opposée au passe » même si elle aurait préféré « une vraie éducation populaire de masse » sur le sujet.

« Tant que le passe est temporaire et que les contrôles d’identité sont réservés aux forces de l’ordre, ça me va », expliquait de son côté une conseillère municipale socialiste, quand Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, exprimait ses « réserves » en ces termes : « Nous, les élus, n’avons pas polémiqué. Mais le passe introduit une rupture d’égalité entre les citoyens. C’est malin de la part d’Emmanuel Macron, qui évite le coût politique d’une obligation et fait peser la réussite de la vaccination sur les individus et les collectivités, mais ce n’est pas très responsable. D’une certaine façon, c’est une stratégie libérale. »

Peu de chances néanmoins de croiser des socialistes encartés dans les cortèges samedi, le PS n’appelant pas à défiler. « Je suis furieuse contre ceux qui se disent de gauche et qui vont dans les manifs actuelles. Pour moi, ce sont tous des “antivax” en fait. Être de gauche c’est être pour une politique de santé globale, dans laquelle il y a des obligations, comme avec l’impôt ou certaines assurances », pouvait-on d’ailleurs entendre à Blois.

Peu de chances, non plus, d’y trouver des communistes. Alors que Fabien Roussel, le secrétaire national du parti, avait été l’un des premiers responsables politiques à afficher sa solidarité avec les gilets jaunes – glissant à qui voulait l’entendre qu’il avait, dès le premier jour, posé sa chasuble fluo sur son tableau de bord –, cette fois, le parti a préféré garder ses distances.

Dans un texte publié fin août, la direction explique ainsi que « même si les manifestations du samedi ont pu emprunter des tonalités faisant écho aux revendications portées par le mouvement social depuis des mois, elles auront également été porteuses de confusions politiques et de régressions idéologiques dangereuses ». « La contestation creuse à son tour des fractures qui, in fine, ne font que servir un président en quête de réélection », ajoute-t-on même, place du Colonel-Fabien.

Dans les couloirs de l’université d’Aix-Marseille, à Aix-en-Provence, où le parti organisait son rendez-vous de rentrée, Cécile Dumas, conseillère régionale PCF d’Île-de-France, faisait toutefois entendre une musique un peu différente de celle des députés du parti : « Je ne crois pas que le passe, fondamentalement, soit un danger réel pour nos libertés collectives. Oui, il faut attaquer sur l’angle du Code du travail, oui, c’est un nouveau fichier sur lequel nous n’avons pas toute la maîtrise, mais on doit en sortir de cette épidémie ! » Puis de regretter : « Ces gens, et c’est un peu le reproche que nous pouvions faire aux gilets jaunes, ont des revendications pour eux-mêmes mais elles ne font pas société. Chacun essaye de sauver sa peau », ajoutait la communiste qui aurait préféré que la mobilisation se concentre sur la levée des brevets des vaccins.

Point de vue similaire d’Évelyne Wander-Heyer et de Michèle Leflon, respectivement militante en Seine-Saint-Denis et dans les Ardennes, la première pouvant imaginer « descendre dans la rue, mais pas dans cette rue-là », la seconde regrettant que les manifestations « valident le brouillage du clivage gauche-droite », ce qui « avantage énormément Macron ».

Mieux vaut présenter un passe à l’entrée des bars que de les fermer

Julien Bayou, secrétaire national d’EELV

Chez les Verts, rassemblés fin août à Poitiers, on trouvait de tout, de l’anti-passe au pro-passe. La candidate à la primaire de l’écologie, Sandrine Rousseau, tentait de dissocier la colère contre le passe sanitaire et la nécessité de descendre dans la rue. « Le passe sanitaire est une violence sociale, notamment pour les plus pauvres, expliquait-elle. En revanche, je ne fais pas les manifs, même si on ne peut pas les réduire à des soutiens de Florian Philippot. »

Yannick Jadot, en revanche, ne s’est pas dit hostile, « par principe », au passe. De même que Julien Bayou, le secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, qui juge qu’à tout prendre « mieux vaut présenter un passe à l’entrée des bars que de les fermer ». « Reste que tout cela a été très mal organisé et qu’il y a beaucoup à redire sur certains points, dans les entreprises par exemple », ajoute celui qui avait demandé à l’eurodéputée Michèle Rivasi de supprimer son tweet après que celle-ci avait parlé d’« apartheid » à la suite des annonces gouvernementales.

Quant à Éric Piolle, le maire de Grenoble lui aussi candidat au vote, interrogé par Mediapart, il se montrait aussi flou que possible : « Les manifestations anti-passe révèlent la violence d’une fracture de plus, voulue par Macron. Le débat sur le passe sanitaire occulte aujourd’hui l’absence permanente d’anticipation du gouvernement qui fait que la France a 30 000 décès Covid de plus que l’Allemagne depuis dix-huit mois… »

Une étape de la « révolution citoyenne » ?

En définitive, seuls La France insoumise et le NPA appellent clairement à se mobiliser. Même si le parti de Philippe Poutou estime que « la gauche sociale et politique ne peut rester l’arme au pied », le NPA a décidé de prendre des pincettes : il appelle ses militants à se joindre, « partout où il est possible de porter une telle politique [de gauche – ndlr] », aux initiatives de mobilisation.

Au sein de La France insoumise, où l’on se targue d’être le mouvement politique le plus en phase avec le mouvement social, là encore, si on considère le passe sanitaire comme une mesure liberticide, la participation aux manifestations n’est pas une évidence pour tout le monde. « Les Insoumis font comme ils veulent, avec leur capacité d’auto-organisation », précise Manuel Bompard, le directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon.

À Valence, à l’occasion des « Amfis » de la formation mélenchoniste, les députés se montraient globalement plutôt prudents, la plupart estimant qu’ils suspendaient leur décision à la physionomie politique des cortèges, ou, comme le député insoumis Ugo Bernalicis, qu’ils iraient sans écharpe tricolore. Quant à Éric Coquerel, il suggérait l’organisation d’une manifestation à part.

Reste Jean-Luc Mélenchon qui s’est, lui, positionné très clairement en faveur des manifestants, sous-entendant même que la contestation était partie de son propre camp : « Nous sommes exaspérés lorsque nous allons manifester de recevoir d’un côté les leçons de la bien-pensance, de la caste, et de l’autre, de supporter l’extrême droite et les antisémites qui racontent et font n’importe quoi : fichez le camp de nos manifs ! », a-t-il lancé, appelant le mouvement ouvrier et associatif à « entrer dans la danse ».

Il faut dire que le leader insoumis, renouant avec la fascination dont il avait fait preuve vis-à-vis du mouvement des gilets jaunes, voit dans les mobilisations actuelles rien de moins qu’une confirmation de ses thèses sur la « révolution citoyenne ». En plein cœur de l’été, alors que les manifestations continuaient chaque samedi en France, il postait ainsi sur son blog un long texte dans lequel il estimait que la contestation était non seulement indispensable, mais qu’elle inaugurait une « nouvelle étape » à même d’ouvrir un « horizon qui peut fonctionner comme un débouché politique ». Le député des Bouches-du-Rhône appelait aussi « ceux des nôtres qui le veulent et qui le peuvent » à participer aux marches du samedi.

Par Fabien Escalona, Mathilde Goanec et Pauline Graulle


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