Einstein et Landau : Génies scientifiques mais aussi ... anticapitalistes antistaliniens !

mardi 17 août 2021.
 

Tous les deux occupent des positions de choix dans la petite liste des plus grands génies du siècle passé. Ils se sont distingués par leur liberté de pensée et l’anticonformisme de leur vie. Et surtout, ils partagent des positions politiques d’habitude traitées, et plutôt à juste titre, d’« extrémistes », de revolutionizes et de subversives de tout ordre établi ! Et de quelles, « naturellement », personne ne vous a jamais parlé...

Voici donc pourquoi on parlera aujourd’hui d’Einstein et de Landau pas en leur qualité de savants d’exception qui ont marqué l’ère moderne, mais en celle -inconnue car savamment enfouie- de socialistes anti-bureaucrates et de communistes anti-staliniens ! D’Einstein qui, comme on va le voir plus en détail par la suite, propose en pleine guerre froide, comme unique solution aux problèmes existentiels de l’humanité, la socialisation des moyens de production et la planification de l’économie, tout en avertissant qu’ « une économie planifiée pourrait être accompagnée d’un complet asservissement de l’individu” si on n’arrive pas « d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse » ! Et de Landau qui, onze ans plus tôt, en 1938, en pleine Grande Terreur stalinienne, ose l’impensable : (Co-rédiger le manifeste/tract suivant, qui appelle les travailleurs à renverser Staline « et sa clique » au nom de la Révolution d’Octobre « ignoblement trahie. » par eux ! Et ça avec l’intention de le distribuer le 1er Mai 1938 à la Place Rouge de Moscou(!) devant Staline et le gratin de son régime :

LEV LANDAU

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous.

Camarades !

La grande cause de la Révolution d’Octobre a été ignoblement trahie.

Le pays est inondé de flots de sang et de boue. Des millions d’innocents sont jetés en prison, et personne ne peut savoir quand viendra son tour. L’économie se désagrège. La faim se répand. Il est clair, camarades, que la clique stalinienne a fait un coup d’État fasciste. Le socialisme n’existe que sur les pages des journaux couverts de mensonges. Par sa haine furieuse du vrai socialisme, Staline est comme Hitler et Mussolini. Détruisant le pays pour préserver son pouvoir, Staline en fait une proie facile pour le fascisme bestial allemand. La seule issue pour la classe ouvrière de notre pays est de lutter avec détermination contre le fascisme de Staline et de Hitler, de lutter pour le socialisme.

Camarades, organisez-vous ! N’ayez pas peur des bourreaux du NKVD. La seule chose qu’ils peuvent faire est battre des prisonniers sans défense, arrêter des innocents, piller les richesses du pays et inventer des procès ridicules contre des complots inexistants.

Camarades, rejoignez le Parti Antifasciste des Travailleurs. Prenez contact avec son Comité de Moscou. Organiser dans les entreprises des cellules du PAT. Utilisez des techniques de la clandestinité. Préparez le mouvement de masse pour le socialisme par l’agitation et la propagande.

Le fascisme stalinien existe parce que nous sommes désorganisés. Le prolétariat de notre pays, qui a renversé le pouvoir du tsar et des capitalistes, saura renverser le dictateur fasciste et sa clique.

Vive le 1er mai - le jour de la lutte pour le socialisme !

Comité de Moscou du Parti Antifasciste des Travailleurs

Ce tract n’a été jamais distribué. Deux jours avant le 1er Mai, le 28 avril 1938, le NKVD fait une descente à l’Institut de Landau et l’arrête, comme d’ailleurs il arrête son ami très proche et collaborateur Moisei Korets (qui ne sera libéré que 20 ans plus tard, en 1958), avec lequel il avait rédigé et ronéotypé le tract. La suite ne réservait pas de surprises : Interrogatoires et tortures dans la prison moscovite de Butyrka, et finalement condamnation à 10 ans de prison sous l’accusation inénarrable de...« espionnage en faveur de l’Allemagne nazie ». Cependant, Landau est désormais connu mondialement et la communauté scientifique internationale se mobilise pour le faire libérer. Le célèbre physicien Danois Niels Bohr et le président de l’Institut de Physique de l’Académie des Sciences de l’URSS Piotr Kapitsa vont même jusqu’à écrire à Staline et Molotov pour demander la libération de Landau. Et miracle des miracles, après une année d’emprisonnement, Landau est libéré !

Λέβ Λαντάου

Photo de Landau par le NKVD (archives du NKVD)

Comme on pourrait s’en entendre, il n’y a pas eu de miracle pour les amis et collaborateurs de Landau au -déjà mondialement célèbre à cette époque- Institut Physico-Technique de Kharkov, duquel lui-même était à la fois l’inspirateur, le dirigeant et la force motrice. Des chercheurs Soviétiques mais aussi des étrangers (Allemands, Autrichiens, Polonais, Roumains, Hollandais,…), dont la plupart ont marqué les progrès de la physique au siècle passé, sont aussi arrêtés en 1937-1938, et sont exécutés ou « disparaissent » sans même que soit connue la date et le lieu de leur mise à mort. En somme, ils ont le même destin que des millions de citoyens soviétiques...

Pareillement à Landau qui est décrit comme un “ardent communiste” par ses collègues d’Oxford qu’il avait visité au début des années ‘30, les scientifiques étrangers de l’Institut de Kharkov sont aussi tous des communistes et des membres des partis communistes de leurs pays. Ils viennent à Kharkov en Ukraine pas seulement pour échapper aux nazis – étant presque tous communistes et Juifs- mais aussi pour « contribuer à la construction du socialisme » en URSS. C’est ainsi que l’Institut Physico-Technique de Kharkov, plus connu comme Fiztech, arrive à accueillir la fine fleur des jeunes scientifiques européens, provoquant l’intérêt soutenu de la communauté scientifique internationale, tandis que des célébrités scientifiques lui rendent souvent visite, tout au moins avant que le régime stalinien interdise tout contact avec le monde extérieur.

Λεβ Λανταου

Chercher non pas le scientifique, mais Landau le révolutionnaire, n’est pas du tout facile. La gauche internationale l’ignore totalement et n’existe le moindre texte le concernant écrit par un homme ou une femme de n’importe quelle sensibilité de gauche ! Les seuls travaux -par ailleurs politiquement perspicaces et honnêtes- sur “l’autre” Landau, le Landau politique, sont dus à deux Américains et à un Russe non pas historiens mais mathématiciens et physiciens, qui ont carrément “découvert” plutôt récemment le communiste anti-stalinien Lev Landau pendant qu’ils préparaient des études sur son œuvre scientifique ! Profitant de la très courte période au début des années ‘90 qui a vu s’entre-ouvrir timidement les archives du NKVD (ainsi que de la GPU et du KGB qui lui ont succédé), ces historiens amateurs ont découvert tout surpris le tract/manifeste des Landau-Korets jusqu’à alors totalement inconnu, mais aussi le dossier personnel de Landau contenant les comptes rendus détaillés de ses interrogatoires successives dans les sous-sols du NKVD !

C’était comme s’il émergeait des ténèbres et voyait le jour la face cachée de l’histoire mondiale, peut être la plus grande de ses tragédies. Et comme c’était inévitable, la “découverte” du révolutionnaire Landau mettait en lumière les tragédies également inconnues et habilement cachées de ses amis et collaborateurs à l’Institut de Kharkov. Alors, puisque même la simple mention de leurs noms, constitue un acte de justice élémentaire et de rétablissement de la vérité historique, en voici quelques uns : Lev Shubnikov (1901-1937), Lev Rozenkevich (1905-1937), Vadim Gorsky (1905-1937), Valentin Fomin (1909-1937), Konrad Weisselberg (1905-1937), ainsi que Matvei Bronstein (1906-1938), considéré comme peut être le plus grand génie scientifique de l’entre deux-guerres soviétique. Espérons que chacun d’eux trouve son historien en la personne d’un de nos jeunes scientifiques politiquement sensibles...

Et les autres collaborateurs de Lev Landau ? Pour mieux illustrer leurs triste destin, on a choisi deux dont les histoires personnelles sont emblématiques de la tragédie de cette terrible époque que l’humanité continue de payer chèrement jusqu’à aujourd’hui. L’Allemand Fritz Houtermans et le Polono-autrichien Alexander Weissberg, tous les deux membres des partis communistes de leurs pays, après avoir été arrêtés et torturés, sont finalement livrés en 1940 à la Gestapo de ce régime nazi qu’ils avaient fui pour trouver asile en URSS ! Cet acte odieux s’est fait dans le cadre de la collaboration étroite entre le NKVD et la Gestapo, qui a commencé avant même que le pacte Molotov-Ribbentrop (1939) soit signé en 1939. C’est ainsi que 80 antifascistes et communistes Allemands ont été remis à la Gestapo avant 1939, et plus de 200 après 1939...

Einstein, l’anticapitaliste antibureaucrate !

Bien plus connu que le -totalement inconnu- communiste anti-stalinien Lev Landau, l’anticapitaliste antibureaucrate Albert Einstein reste pourtant jusqu’à aujourd’hui ignoré par la gauche de toute sensibilité, qui se refuse de l’invoquer même quand son « socialisme » est traitée d’idéologie archaïque de quelques attardés qui restent emprisonnés dans le 19e siècle. Évidemment, la dissimulation systématique des positions marxistes et socialistes d’Einstein et de Landau ne constitue pas une surprise quand elle provient de la bourgeoisie et des divers médias qui sont ses fidèles serviteurs. D’ailleurs, la falsification de l’histoire a toujours été un passe-temps favori de la droite et de ses excroissances de par le monde...

Mais, que dire de la gauche qui fait presque de même, bien que -logiquement- elle devrait avoir tout intérêt d’invoquer le témoignage anticapitaliste de deux de “plus grands génies” de l’ère moderne, pour répondre à la propagande anticommuniste et anti-socialiste quotidienne de ses adversaires de droite et d’extrême droite ? La réponse n’est pas difficile : La social-démocratie, qui a abandonné le marxisme depuis longtemps et a décidé de cogérer le système capitalisme, abhorre -si elle ne hait pas- les positions radicalement anticapitalistes tant de Landau que d’Einstein. Alors, c’est pratiquement “normale” et prévisible qu’elle collabore de fait avec la droite pour “enterrer” pour toujours les... éléments subversifs que sont Einstein et Landau !

Albert EinsteinReste pourtant l’autre, la gauche non social-démocrate, qui continue de brandir le drapeau du socialisme. Celle-ci devrait -logiquement- avoir tout intérêt à répondre à la propagande de la droite mais aussi de la social-démocratie, en invoquant systématiquement les témoignages de deux grands scientifiques des temps modernes. Et pourtant, elle ne l’a jamais fait. Pourquoi ? Mais, parce que cette gauche stalinienne et meta-stalinienne ne peut pas tolérer -ou plutôt hait à mort- l’antistalinisme clair et net de Landau mais aussi d’Einstein.Et c’est comme ça qu’on arrive à la triste conclusion que, depuis au moins 70 ans, existe une conspiration du silence hétéroclite mais très efficace, qui a comme unique objectif de faire disparaître la parole subversive d’Einstein et de Landau !

Bien sur, il y a ceux -peu nombreux- qui n’appartiennent pas à aucune de catégories susmentionnées, et qui pourraient avoir tout intérêt d’invoquer tant l’anticapitalisme que l’anti-stalinisme d’Einstein -les positions et les activités politiques de Landau étant inconnus jusqu’à il y a environ 20 ans. Ce qui surprend n’est pas qu’ils ne se réfèrent jamais au socialisme et à l’anti bureaucratisme d’Einstein. C’est surtout, que quand ils publient -bien rarement- son texte historique « Pourquoi le socialisme ? », ils ne font aucun commentaire ou analyse qui pourrait trahir une compréhension élémentaire de l’énorme valeur et signification de ce texte. Non pas parce qu’il a été écrit par « le grand Einstein », mais parce que ce texte régénère le discours marxiste, allant directement à la racine des malheurs du capitalisme, comme ceux-ci se manifestent et sont vécus en détruisant à la fois l’humanité et chacun des êtres humains. Et pas seulement ceux de 1949, mais aussi ceux de 2021 ! Et en plus, pas avec des demi-mots et les phrases embrouillées d’un certain discours marxisant, mais en mots simples, clairs et bien compréhensibles.

Certes, Landau savait qu’il risquait sa tête en rédigeant le tract/manifeste du 1er Mai, et sa pleine conscience du danger mortel qu’il encourait rend son acte encore plus héroïque et admirable. Mais, bien qu’Einstein était déjà célébrissime, il lui fallait aussi beaucoup de courage pour écrire et publier un texte comme ce “Pourquoi le socialisme ?” en 1949, pendant que la guerre froide faisait rage et au moment où pointait déjà le nez la chasse aux sorcières (de gauche) qui serait bientôt généralisée par le tristement célèbre sénateur McCarthy. Et pourtant, Einstein choisit d’aller contre le courant et de frapper le système à sa racine, en proposant comme unique solution aux problèmes de l’humanité, et donc des États-Unis où il vit et travaille, le socialisme, la socialisation des moyens de production et la planification de l’économie ! Sans doute, il fallait beaucoup de courage pour publier un tel texte à ce moment précis de l’histoire et à la métropole du système capitaliste mondial…

Toutefois, il fallait au moins autant de courage pour aller contre le courant de l’époque, et faire la critique impitoyable de la bureaucratie stalinienne et de son régime qui figure dans l’avant dernier paragraphe de son texte. En effet, ce n’est pas seulement que le culte de la personnalité de Staline atteignait en 1949 son zénith, et que quiconque osait le contester en dévoilant l’horrible réalité soviétique, était traité de « vendu » et d’ « agent » de l’ennemi, qui devait disparaître. C’est que Einstein va dans cet avant dernier paragraphe bien au-delà de la simple critique dure du régime stalinien, en tirant des leçons plus générales lesquelles aboutissent à désigner la dégénérescence bureaucratique comme le danger mortel qui menace toute tentative de renversement du système capitaliste.Et tout ça en faisant des constats totalement hérétiques pour la gauche « officielle » de cette époque, comme par exemple que « l’économie planifiée n’est pas encore le socialisme » ou que « une telle économie pourrait être accompagnée d’un complet asservissement de l’individu » , avant de conclure en posant à la gauche 2-3 questions d’importance capitale pour sa propre crédibilité si malmenée, qui restent toujours sans réponse : « Comment serait-il possible, en face d’une centralisation extrême du pouvoir politique et économique, d’empêcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et présomptueuse ? Comment pourrait-on protéger les droits de l’individu et assurer un contrepoids démocratique au pouvoir de la bureaucratie ? »

Présentant un long extrait du « Pourquoi le socialisme ? », nous écrivions en 2015, ces quelques mots en guise d’introduction : « Rien de mieux pour connaître l’autre Einstein que de l’écouter nous parler avec ses propres mots de la question plus actuelle que jamais... « Pourquoi le socialisme ? ». Et comme nous écrivions il y a exactement 10 ans, quand nous publions ces larges extraits, « Cependant, attention : ce serait une erreur de traiter ce texte comme s’il était une « curiosité », une preuve des multiples facettes du génie d’Einstein, d’un savant qui ose aller plus loin de ce qu’il sait faire. En réalité, il s’agit d’un texte qui, destiné au premier numéro de la revue de gauche Monthly Review, révèle un Einstein qui n’est pas seulement un profond et terriblement actuel penseur des problèmes présents de l’humanité, mais aussi un anti-bureaucrate de combat, c’est à dire un communiste anti-stalinien. Au lecteur attentif de tirer ses conclusions... »

NOTES

Notes

1. Albert Einstein né le 4 mars 1879 à Ulm, dans le Wurtemberg (Empire allemand), et mort le 18 avril 1955 à Princeton, dans le New Jersey (États-Unis), est un physicien théoricien. Il publie sa théorie de la relativité restreinte en 1905 et sa théorie de la gravitation, dite relativité générale, en 1915. Il contribue largement au développement de la mécanique quantique et de la cosmologie, et reçoit le prix Nobel de physique de 1921 pour son explication de l’effet photoélectriqueN 2. Son travail est notamment connu du grand public pour l’équation E=mc2, qui établit une équivalence entre la masse et l’énergie d’un système. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands scientifiques de l’histoire, et sa renommée dépasse largement le milieu scientifique. Il est la personnalité du XXe siècle selon l’hebdomadaire Time. Dans la culture populaire, son nom et sa personne sont directement liés aux notions d’intelligence, de savoir et de génie (source : Wikipedia)

2. Lev Davidovitch Landau (en russe : Лев Давидович Ландау, [lʲɛv dɐˈvidəvʲitɕ lɐnˈda.u] Écouter), né le 22 janvier 1908 à Bakou (Empire russe) et mort le 1er avril 1968 à Moscou (Union soviétique), est un physicien théoricien soviétique. Il est lauréat du prix Nobel de physique de 1962 « pour ses théories pionnières à propos de l’état condensé de la matière, particulièrement l’hélium liquide1 » mais ses contributions à la physique vont bien au-delà et couvrent de nombreuses branches où il apporta des formalisations théoriques des phénomènes de la mécanique des fluides à la théorie quantique des champs. Il élaborera ainsi un formalisme théorique des transitions de phase de deuxième ordre, de la supraconductivité (théorie de Ginzburg-Landau), du diamagnétisme, des liquides de Fermi, etc. Il est aussi crédité d’avoir anticipé l’existence d’étoiles à neutrons (ou, du moins, d’étoiles denses de particules subatomiques sans charge électrique) avant même la découverte des neutrons en 1932 (source : Wikipedia)

Traduit du grec


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