28 avril 1938 Tract de Lev Landau à Moscou "Par sa haine furieuse du vrai socialisme, Staline est comme Hitler et Mussolini"

mercredi 3 mai 2023.
 

En 1938, en pleine Grande Terreur stalinienne, le célèbre physicien Lev Landau ose l’impensable : (Co-rédiger le manifeste/tract suivant, qui appelle les travailleurs à renverser Staline « et sa clique » au nom de la Révolution d’Octobre « ignoblement trahie. » par eux ! Et ça avec l’intention de le distribuer le 1er Mai 1938 à la Place Rouge de Moscou(!) devant Staline et le gratin de son régime :

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous.

Camarades !

La grande cause de la Révolution d’Octobre a été ignoblement trahie.

Le pays est inondé de flots de sang et de boue. Des millions d’innocents sont jetés en prison, et personne ne peut savoir quand viendra son tour. L’économie se désagrège. La faim se répand. Il est clair, camarades, que la clique stalinienne a fait un coup d’État fasciste. Le socialisme n’existe que sur les pages des journaux couverts de mensonges. Par sa haine furieuse du vrai socialisme, Staline est comme Hitler et Mussolini. Détruisant le pays pour préserver son pouvoir, Staline en fait une proie facile pour le fascisme bestial allemand. La seule issue pour la classe ouvrière de notre pays est de lutter avec détermination contre le fascisme de Staline et de Hitler, de lutter pour le socialisme.

Camarades, organisez-vous ! N’ayez pas peur des bourreaux du NKVD. La seule chose qu’ils peuvent faire est battre des prisonniers sans défense, arrêter des innocents, piller les richesses du pays et inventer des procès ridicules contre des complots inexistants.

Camarades, rejoignez le Parti Antifasciste des Travailleurs. Prenez contact avec son Comité de Moscou. Organiser dans les entreprises des cellules du PAT. Utilisez des techniques de la clandestinité. Préparez le mouvement de masse pour le socialisme par l’agitation et la propagande.

Le fascisme stalinien existe parce que nous sommes désorganisés. Le prolétariat de notre pays, qui a renversé le pouvoir du tsar et des capitalistes, saura renverser le dictateur fasciste et sa clique.

Vive le 1er mai - le jour de la lutte pour le socialisme !

Comité de Moscou du Parti Antifasciste des Travailleurs

Ce tract n’a été jamais distribué. Deux jours avant le 1er Mai, le 28 avril 1938, le NKVD fait une descente à l’Institut de Landau et l’arrête, comme d’ailleurs il arrête son ami très proche et collaborateur Moisei Korets (qui ne sera libéré que 20 ans plus tard, en 1958), avec lequel il avait rédigé et ronéotypé le tract. La suite ne réservait pas de surprises : Interrogatoires et tortures dans la prison moscovite de Butyrka, et finalement condamnation à 10 ans de prison sous l’accusation inénarrable de...« espionnage en faveur de l’Allemagne nazie ». Cependant, Landau est désormais connu mondialement et la communauté scientifique internationale se mobilise pour le faire libérer. Le célèbre physicien Danois Niels Bohr et le président de l’Institut de Physique de l’Académie des Sciences de l’URSS Piotr Kapitsa vont même jusqu’à écrire à Staline et Molotov pour demander la libération de Landau. Et miracle des miracles, après une année d’emprisonnement, Landau est libéré !

Comme on pourrait s’en entendre, il n’y a pas eu de miracle pour les amis et collaborateurs de Landau au -déjà mondialement célèbre à cette époque- Institut Physico-Technique de Kharkov, duquel lui-même était à la fois l’inspirateur, le dirigeant et la force motrice. Des chercheurs Soviétiques mais aussi des étrangers (Allemands, Autrichiens, Polonais, Roumains, Hollandais,…), dont la plupart ont marqué les progrès de la physique au siècle passé, sont aussi arrêtés en 1937-1938, et sont exécutés ou « disparaissent » sans même que soit connue la date et le lieu de leur mise à mort. En somme, ils ont le même destin que des millions de citoyens soviétiques...

Pareillement à Landau qui est décrit comme un “ardent communiste” par ses collègues d’Oxford qu’il avait visité au début des années ‘30, les scientifiques étrangers de l’Institut de Kharkov sont aussi tous des communistes et des membres des partis communistes de leurs pays. Ils viennent à Kharkov en Ukraine pas seulement pour échapper aux nazis – étant presque tous communistes et Juifs- mais aussi pour « contribuer à la construction du socialisme » en URSS. C’est ainsi que l’Institut Physico-Technique de Kharkov, plus connu comme Fiztech, arrive à accueillir la fine fleur des jeunes scientifiques européens, provoquant l’intérêt soutenu de la communauté scientifique internationale, tandis que des célébrités scientifiques lui rendent souvent visite, tout au moins avant que le régime stalinien interdise tout contact avec le monde extérieur.

Chercher non pas le scientifique, mais Landau le révolutionnaire, n’est pas du tout facile. La gauche internationale l’ignore totalement et n’existe le moindre texte le concernant écrit par un homme ou une femme de n’importe quelle sensibilité de gauche ! Les seuls travaux -par ailleurs politiquement perspicaces et honnêtes- sur “l’autre” Landau, le Landau politique, sont dus à deux Américains et à un Russe non pas historiens mais mathématiciens et physiciens, qui ont carrément “découvert” plutôt récemment le communiste anti-stalinien Lev Landau pendant qu’ils préparaient des études sur son œuvre scientifique ! Profitant de la très courte période au début des années ‘90 qui a vu s’entre-ouvrir timidement les archives du NKVD (ainsi que de la GPU et du KGB qui lui ont succédé), ces historiens amateurs ont découvert tout surpris le tract/manifeste des Landau-Korets jusqu’à alors totalement inconnu, mais aussi le dossier personnel de Landau contenant les comptes rendus détaillés de ses interrogatoires successives dans les sous-sols du NKVD !

C’était comme s’il émergeait des ténèbres et voyait le jour la face cachée de l’histoire mondiale, peut être la plus grande de ses tragédies. Et comme c’était inévitable, la “découverte” du révolutionnaire Landau mettait en lumière les tragédies également inconnues et habilement cachées de ses amis et collaborateurs à l’Institut de Kharkov. Alors, puisque même la simple mention de leurs noms, constitue un acte de justice élémentaire et de rétablissement de la vérité historique, en voici quelques uns : Lev Shubnikov (1901-1937), Lev Rozenkevich (1905-1937), Vadim Gorsky (1905-1937), Valentin Fomin (1909-1937), Konrad Weisselberg (1905-1937), ainsi que Matvei Bronstein (1906-1938), considéré comme peut être le plus grand génie scientifique de l’entre deux-guerres soviétique. Espérons que chacun d’eux trouve son historien en la personne d’un de nos jeunes scientifiques politiquement sensibles...

Et les autres collaborateurs de Lev Landau ? Pour mieux illustrer leurs triste destin, on a choisi deux dont les histoires personnelles sont emblématiques de la tragédie de cette terrible époque que l’humanité continue de payer chèrement jusqu’à aujourd’hui. L’Allemand Fritz Houtermans et le Polono-autrichien Alexander Weissberg, tous les deux membres des partis communistes de leurs pays, après avoir été arrêtés et torturés, sont finalement livrés en 1940 à la Gestapo de ce régime nazi qu’ils avaient fui pour trouver asile en URSS ! Cet acte odieux s’est fait dans le cadre de la collaboration étroite entre le NKVD et la Gestapo, qui a commencé avant même que le pacte Molotov-Ribbentrop (1939) soit signé en 1939. C’est ainsi que 80 antifascistes et communistes Allemands ont été remis à la Gestapo avant 1939, et plus de 200 après 1939...

Profitant de l’occasion pour raconter en quelques mots une des incroyables histoires personnelles des scientifiques communistes de l’Institut de Kharkov, nous choisissons celle de l’odyssée d’Alexander Weissberg, qui a suivi sa livraison à ses bourreaux nazis. Après avoir été emprisonné dans plusieurs prisons en Allemagne et en Pologne occupée, Weissberg abouti au ghetto de Cracovie. Quand il apprend qu’il va être exécuté le lendemain, il s’en échappe et se réfugie dans d’autres ghetto juifs en Pologne, d’où il s’évade à temps peu avant le début de l’opération d’extermination de leur population. Il réussit à passer à la « partie aryenne » de Varsovie où pourtant il est arrêté par la Gestapo, pour être envoyé successivement à plusieurs prisons et camps de concentration en Pologne. Il s’évade de nouveau et prend part, arme à la main, à l’héroïque insurrection de Varsovie. Il se fait arrêter et il est envoyé à un camp de concentration d’où il s’évade de nouveau aidé par un antifasciste Allemand. Il entre dans la clandestinité jusqu’à la fin de la guerre, et craignant d’être pris de nouveau par le NKVD, qui s’active dans la Pologne d’après guerre, il passe finalement en 1946 en Suède et après en France...


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