Mort d’Axel Kahn, les gènes sans gêne

mercredi 14 juillet 2021.
 

Généticien respecté par ses pairs et personnage public loquace, l’ex-président de la Ligue contre le cancer se savait condamné et s’était exprimé sans fard sur sa fin de vie. Il est mort mardi 6 juillet 2021 à l’âge de 76 ans.

Il s’est tu. Le professeur Axel Kahn est mort à 76 ans des suites d’une récidive d’un cancer. « C’est avec tristesse et émotion que la Ligue contre le cancer vient d’apprendre [son] décès », a indiqué l’organisme dans un bref communiqué, ce mardi. Ces derniers jours, voire ces dernières semaines, ce généticien très politique avait choisi de parler, d’être omniprésent. Comme un pari qu’il s’était donné. Il voulait mettre en mots, raconter, détailler, analyser au plus près tout ce qu’il vivait. D’abord sur les ondes de France Inter, puis à la télévision sur France 5, mais aussi sur Facebook, et encore dans un entretien à l’Obs, le professeur Kahn a répondu sans fin, quitte à mettre le lecteur dans une position paradoxale, touché bien sûr par ce qu’il exprimait, mais dérouté devant cette intimité qu’il nous offrait. Il disait : « Je voudrais faire de ma mort un chef-d’œuvre », reprenant les mots d’Oscar Wilde sur sa vie. Il ajoutait, aussi, pour s’en justifier : « Si je parle, c’est parce que je n’ai pas le choix. Président de la Ligue nationale contre le cancer, une association extrêmement importante, à partir du moment où elle devait annoncer que son président était obligé de quitter ses fonctions, il fallait dire que ce n’était pas par fantaisie personnelle mais que j’avais été rattrapé par la patrouille. » Certes… Mais il a continué encore, sur Twitter, sur Facebook, encore le 17 juin évoquant ses derniers mots, et l’enregistrement d’une émission télé pour le 23 juin, signant cette ultime chronique du nom « Axel, le loup titubant mais à l’œil pétillant ». Voulant se manifester encore et encore…

Mais qui est-il vraiment ? Depuis plus de trente ans, Axel Kahn est, assurément, un scientifique respecté, mais aussi un personnage public. Il aimait cela. « Dans une démocratie dont on ne veut pas qu’elle soit une “technocratie”, il est impératif d’apporter aux citoyens les éléments qui leur permettent de prendre conscience. J’ai toujours pensé qu’il était de mon devoir d’expliquer la science, et comme j’avais un certain talent pour le faire… » expliquait-il à Libération en janvier. Le visage austère, il riait fort. Il a accumulé les fonctions : généticien de grand talent, longtemps directeur de l’Institut Cochin, un temps président de l’université Paris-Descartes et, depuis trois ans, président de la Ligue nationale contre le cancer. Il s’est toujours défini comme un « homme de science » et « un homme de devoir ». Et c’était sûrement vrai, même si parfois on ne savait plus qui était Axel Kahn. Lui ? Ou ce qu’il en disait ? Pluie d’hommages après la mort du généticien Axel Kahn

Perfection et présomption

Quand nous avions fait son portrait dans Libération, le 11 janvier, Axel Kahn était détendu. Il nous détaillait son emploi du temps de ministre. Il venait de se faire vacciner contre le Covid-19. Egal à lui-même, bavard, précis comme toujours, avec une élocution parfaite et un phrasé impeccable, il nous racontait, assis dans son bureau de président de la Ligue nationale contre le cancer, sa vie, lâchant juste à la fin : « Comme tous les soirs, je rentre chez moi à pied. Je marche. Le jour où j’arrêterai de marcher, je désirerai mourir, et mourir vite. » « Axel Kahn est un mélange impressionnant de radicalité et de vérité, disait alors le président d’honneur du Comité national d’éthique, le professeur Didier Sicard. Il ne prend pas de chemins tortueux, il va droit. Quelquefois il peut tomber à côté, mais c’est un honnête homme. » Concédant : « Bien sûr, il peut agacer, s’avérer être très content de lui. Mais il est à la hauteur de ce qu’il exprime. »

Axel Kahn a toujours été ainsi, un cocktail de perfection et de présomption. Un homme de mots, surtout. Le 21 mai, une fois encore il a écrit sur Facebook une lettre d’adieu : « Des pensées belles m’assaillent, celles de mes amours, de mes enfants, des miens, de mes amis, des fleurs et des levers de soleil cristallins. Alors, épuisé, je suis bien. Il a fallu pour cela que je réussisse à “faire mon devoir”, à assurer le coup, à dédramatiser ma disparition. A la Ligue, j’ai le sentiment d’avoir fait au mieux. Mon travail de transmission m’a beaucoup occupé, aussi. Je ne pouvais faire plus. Je suis passé de la présidence d’un bureau national de la Ligue le matin à la salle d’opération l’après-midi. Presque idéal. Alors, souriant et apaisé, je vous dis au revoir, amis. »

Quelques jours auparavant, toujours sur Facebook, il avait prévenu : « Cancérologue depuis cinquante ans, je connais bien l’adversaire, je n’ai jamais nié qu’il soit redoutable, impitoyable… La mort me laisse impassible, je la nargue. J’ai plus de difficulté à mépriser la douleur mais ma résistance est grande. » Ou encore : « L’itinéraire ultime d’une vie, si elle est raisonnablement préservée de la souffrance intolérable qui annihile la volonté, n’est pas le moins intéressant. J’y pensais, j’y suis, curieux de vérifier, comme je l’ai écrit, qu’il est possible “d’être humain, pleinement”, jusqu’au bout du chemin. Le temps étant compté, s’efforcer de faire de chacun de ses pas une action utile à ce qui vaut pour soi, utile aux combats menés, est un défi exaltant. »

« Sois humain »

Axel Kahn est ainsi, toujours dans la maîtrise, le contrôle, parfois la performance. « Jamais, nous disait-il, je ne dérape. » Lorsque, en ces temps de Covid, il poussait des colères très médiatiques, pour stigmatiser, entre autres, les stupidités autour de la lenteur de la vaccination en France, il précisait aussitôt pour ceux qui en doutaient : « Quand je m’énerve publiquement, c’est totalement réfléchi. Je ne me laisse jamais emporter. Tout ce que je dis est sous contrôle ! » Il répète qu’il a toujours décliné sa vie à l’aune de cette exigence. Quitte à agacer les uns, ou à épater les autres. Comment explique-t-il cette ambivalence ? « On a eu la chance d’avoir un père qui a cru en nous. Notre père nous disait : “Mes enfants, il y a une richesse en vous.” Très jeune, on a été convaincus de cela. » Son père, qui s’est suicidé alors qu’il avait 26 ans, lui a laissé une lettre, avec ces mots pour adieu : « Sois responsable, sois humain. » Un père dont il dit : « Toute sa vie l’a conduit jusqu’à son suicide. »

Voilà. Des mots, à l’évidence, pour amoindrir une douleur. « Un autre moment essentiel de ma vie fut la perte de la foi chrétienne », nous avait-il raconté. Et comme toujours avec lui, il nous en a fait un récit au carré, comme si tout était rationnel : « J’avais 15 ans, je voulais devenir prêtre. Au printemps, je me promenais, je commençais à marcher, j’ai repris alors tous les arguments de la foi, et à la fin de ma balade, après avoir analysé les actes de la foi, je les ai mis tous en doute. A l’arrivée, je n’avais plus la foi. C’était fini. »

Axel Kahn disait ne jamais se retourner. Comme chercheur mais aussi comme spécialiste de la bioéthique, il a eu un rôle important, se montrant vigilant sur l’utilisation de la science et de la génétique. Et c’est sûrement dans ce domaine qu’il a eu le plus d’impact, convainquant ses pairs de ne pas succomber au tout-génétique. Par exemple, il s’est battu pour une utilisation contrôlée des tests génétiques. Paradoxalement, lui qui avait érigé le contrôle de sa vie comme valeur cardinale n’était pas favorable à l’euthanasie, ni au suicide assisté. En octobre 2014, membre alors du Comité national d’éthique, il écrivait : « La seule chose qu’il est légitime d’abréger, c’est la souffrance. Je ne vois pas en quoi il serait légitime d’abréger la vie d’une personne qui ne souffre pas. » Précisant néanmoins : « Même si la légitimité individuelle de vouloir mourir n’est pas contestée, est-il du rôle de l’Etat de la mettre en œuvre ? Je n’en suis pas convaincu si l’Etat donne par ailleurs les moyens et la consigne formelle d’éviter la souffrance. »

Vie ordonnée

C’était aussi un militant. Communiste quand il était étudiant, puis socialiste proche de Martine Aubry, il s’est présenté en 2012 aux législatives contre François Fillon dans la deuxième circonscription de Paris, où il a perdu avec les honneurs. Et chaque année ou presque, comme un repère, il publiait de nouveau un livre : le dernier – Et le bien dans tout ça ? – était sur « le devoir ». « J’ai la chance de peu dormir, cinq heures par nuit », nous disait-il. « Qu’on me laisse gentiment m’endormir », a-t-il écrit comme ultime souhait.

Axel Kahn avait détaillé publiquement ses derniers moments en famille. Un peu comme un Montaigne évoquant sa librairie  : « Nous nous sommes réunis dans la maison de campagne familiale et nous avons fait des choses merveilleuses. Je suis un amoureux des fleurs… Je pouvais marcher encore un peu alors j’ai montré à mes enfants et ma compagne les plus belles fleurs que je connaissais, des ancolies, des orchis tachetés. Tout ce qui fait la beauté de la vie… Tant que des êtres seront capables d’éprouver cette beauté, le mal absolu ne pourra pas régner sur la terre. J’ai aussi fait mes adieux à ma jument. »

On guette en vain un grain de sable, un lapsus, un bout de révolte. Il n’y en aura pas. Le professeur Axel Kahn est parti, impressionnant de virtuosité, laissant derrière lui une vie ordonnée. Il avait dit souhaiter recevoir, le moment venu, comme le permet la loi, « une sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Sans regret, disait-il. « L’humus de mon corps, quand il sera putréfié, permettra de participer, peut-être, dans la terre, à l’éclosion d’une marguerite. Et l’idée qu’il y ait un peu de molécules d’Axel Kahn dans une pâquerette, cela me réjouit. » Cancer Le t


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