Lutte de classe et conscience de classe 1 Le lien est rompu avec les milieux ouvriers (Par Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Reims)

mardi 4 septembre 2007.
 

Vous êtes un observateur du Parti socialiste. La dernière bataille électorale vous semble- t-elle marquer un nouveau décrochage dans le langage tenu par cette formation à l’égard d’une analyse de classe ?

Rémi Lefebvre. Il y a eu une réelle prise en compte du précédent de 2002 dans la rhétorique de campagne de la candidate qui s’est adressée aux catégories populaires. On lui a fait crédit par son discours simple, attaché à la vie quotidienne, de renouer le lien avec des catégories sociales que Jospin cinq ans plus tôt avait ignorées. Mais ce ciblage marketing s’est peu à peu dilué dans la campagne. La montée de la menace Bayrou a déplacé le centre de gravité sociologique de la campagne socialiste vers les bobos. In extremis, la candidate a pensé s’adresser aux ouvriers en mettant en avant le drapeau, arguant du fait que la nation est un enjeu identitaire pour ces groupes dans la mondialisation, mais des enquêtes journalistiques ont montré que les ouvriers étaient peu sensibles à ce symbole, ils cherchent de la protection plus que de la nation dans un climat d’insécurisation générale. Beaucoup de stéréotypes sur les groupes populaires circulent au PS (comme la thèse de leur aspiration à l’ordre). Au final, le discours de Royal, très déconflictualisé, n’a pas identifié de clivages dans la société, comme l’a illustré la polémique avec Hollande sur la fiscalité sur le revenu, édifiante de ce point de vue. Le PS doit redéfinir qui sont les privilégiés dans notre société.

L’un des arguments avancés pour justifier cette dérive, c’est qu’un candidat à la présidence, s’il veut conquérir une majorité électorale, ne doit pas s’adresser aux seules catégories populaires. L’électeur « moyen » n’est donc plus l’ouvrier, ni même l’employé ?

Rémi Lefebvre. La logique de l’élection présidentielle pousse certes au rassemblement et à un discours interclassiste, mais elle permet, au moins dans un premier temps, de mobiliser les siens, de cristalliser l’identité sociale de ceux que l’on est censé représenter. C’était la logique et l’alchimie mitterrandienne, qui n’a peut être pas perdu de son efficacité. Le PS n’a toujours pas construit une alliance de classe solide entre classes moyennes (à mieux identifier) et groupes populaires (assez éclatés).

Les responsables socialistes, qui sont le plus souvent des élus, ont-ils encore quelque chose à voir avec les couches populaires ?

Rémi Lefebvre. Les dirigeants socialistes n’ont jamais été, sauf au niveau local, parfois ici et là, d’extraction sociale modeste ou populaire. Le fait nouveau c’est que le capital social des élites est de plus en plus élevé, que leur distance sociale avec les groupes qu’ils doivent défendre s’accroît et que la désouvriérisation affecte le niveau des militants, notamment dans les fédérations populaires du Nord. Le lien est bien rompu avec les milieux ouvriers.

Pensez-vous que le Parti socialiste a définitivement perdu le fil d’une analyse de classe ? N’est-ce pas un déficit considérable en termes intellectuels et politiques ?

Rémi Lefebvre. Le langage de classe est considéré par la plupart des socialistes comme un dogme, un tabou, issue d’un surmoi marxiste qu’il faut éradiquer, alors qu’une lecture en termes de classes, actualisée, gagne une pertinence politique certaine. La question de la fiscalité peut être une entrée pour mieux identifier et stratifier la société mais ce débat est éludé au PS tant il est lourd d’impensé. La sociologie mentale de Sarkozy est bien plus précise comme sa campagne (qui a produit des discours spécifiques pour chaque groupe) l’a démontré.

(*) Dernier ouvrage publié : la Société des socialistes, avec Frédéric Sawicki. Éditions du Croquant, 2006.

Entretien réalisé par Lucien Degoy


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message