Guerre d’Algérie : vilains petits soldats (par Sylvain Pattieu)

vendredi 17 juillet 2015.
 

En 1955 et 1956, il y a 50 ans, des mouvements de soldats opposés à leur envoi en Algérie voyaient le jour. Sans parvenir à enrayer la mécanique de la guerre coloniale. Le gouvernement du socialiste Guy Mollet, élu au début de l’année 1956 sur le mot d’ordre de la paix en Algérie, est tristement célèbre pour avoir intensifié la répression en Algérie, notamment après le vote des « pouvoirs spéciaux » par l’Assemblée nationale, communistes compris. Le président du conseil socialiste se rallie à une stratégie de guerre contre le FLN après avoir reçu, lors de la « journée des tomates » à Alger, des projectiles divers de la part des ultracolonialistes. Cette guerre à outrance nécessite des troupes plus nombreuses, alors que le FLN accroît son influence, notamment à partir d’août 1955 avec le soulèvement du Nord-Constantinois sous la direction de Zighout Youssef. Guy Mollet décide alors de l’envoi du contingent en Algérie.

Cette mesure, très impopulaire, n’est pas une innovation : en août 1955, Edgar Faure avait déjà décidé de procéder au rappel des classes 1954 et 1953 [1], ayant accompli leur service mais à la disposition de l’armée pour trois ans. Cette mobilisation des rappelés, puis l’envoi des jeunes du contingent en Algérie, forcés d’aller passer leurs « vingt ans dans les Aurès », interrompt bien sûr les projets de vie, familiaux ou professionnels. L’historienne Sylvie Thénault décrit ce « recours massif au contingent » comme « la manifestation la plus visible de la guerre : c’est bien ainsi qu’elle touche tous les Français » [2].

Oppositions

De nombreuses manifestations de ces rappelés, qui refusaient d’aller combattre, se produisent. Le 11 septembre 1955, les soldats refusent d’embarquer à la Gare de Lyon, à Paris, pour se rendre à Marseille et, ensuite, en Algérie. Les civils s’en mêlent - épouses, familles et amis des rappelés. La gare est bouclée. Dans le train, où on les a finalement forcés à embarquer, les « réfractaires » tirent les sonnettes d’alarme tous les 300 mètres. En fin de compte, ils sont expédiés par avion en Algérie.

Dans toute la France, des mouvements similaires se déroulent : à Rouen, en septembre 1955, de violents affrontements opposent durant deux jours les soldats, soutenus par une partie de la population, aux gardes mobiles. À Nantes, Tours ou Valence, des événements semblables se déroulent. L’extrême gauche y joue un petit rôle, à la mesure de sa faible influence. À Nantes la Fédération communiste libertaire et le Parti communiste internationaliste, trotskyste, tentent la jonction entre les grèves ouvrières, qui paralysent la ville, et les mouvements de rappelés.

L’historien Tramor Quemeneur souligne aussi la place prise par les chrétiens dans ces mouvements [3]. Ainsi, le 29 septembre 1955, des soldats en partance pour l’Algérie participent à une messe en l’église Saint-Séverin, à Paris, en faveur de la paix, et diffusent un tract contre la guerre en Afrique du Nord. Ils s’y affirment prêts à défendre leur pays, mais qualifient cette guerre de « contraire à tous les principes chrétiens », faisant également référence à la Résistance. Ces soldats acceptent cependant d’être envoyés en Algérie, malgré une mauvaise volonté évidente qui leur vaut 60 jours de prison.

Après l’automne 1955, le printemps 1956 est le deuxième temps fort de cette opposition à la guerre. Quand, le 12 avril 1956, le Conseil des ministres décide d’envoyer le contingent en Algérie, les manifestations reprennent et les trains sont de nouveau bloqués : le 3 mai à Lézignan, le 17 au Mans, le 18 à Grenoble... Dans les ports, des mouvements ont également lieu : le 23 mai à Antibes, le 24 au Havre, le 28 à Saint-Nazaire. Souvent, les affrontements sont violents et habitants, dockers ou cheminots apportent leur soutien. Les militants de la Nouvelle gauche (expression de la radicalisation d’un secteur de la gauche cherchant à échapper à la double emprise du PCF et de la SFIO), de l’extrême gauche mais aussi du PCF, malgré les réticences de la direction face à ce qui est qualifié de « provocations », en sont partie prenante. Des milliers de personnes participent à ces mouvements qui concernent la jeunesse de tout un pays. Des manifestants arrêtent les trains aux passages à niveau, coulent du ciment dans les traverses pour les bloquer. Le gouvernement reste inflexible. Les soldats du contingent partent vers la guerre. Des réseaux de déserteurs, comme Jeune résistance, sont mis en place pour faciliter la fuite de ceux qui refusent de participer à la guerre. Ils sont rares et ne dépassent pas les 500.

Logique de guerre

Les premières images de soldats du contingent disparus ou morts au combat contre les fellaghas conduisent l’opinion à diriger son ressentiment contre les « tueurs » du FLN. Une fois sur place, les soldats sont soudés par un esprit de groupe, par une solidarité face aux dangers, dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Les meneurs sont placés sous surveillance et menacés. La révolte laisse place à la résignation et au ressentiment contre le FLN qui abat les camarades. S’il est difficile d’échapper à la discipline militaire, certains soldats accomplissent les ordres avec mauvaise volonté. De nombreux autres appelés participent sans rechigner aux tortures, aux viols, aux massacres commis par l’armée française. Les témoignages de soldats permettent cependant de faire connaître, en métropole, l’usage de la torture. D’autres, comme Louis Fontaine, reviennent bouleversés. Son cas est cependant exceptionnel, puisque cet ouvrier de Vernon, devenu trotskyste après son retour d’Algérie, s’est engagé pour le FLN, jusqu’à travailler dans une usine d’armes clandestine au Maroc mise en place par Pablo, dirigeant de la IVe Internationale.

Plus d’un million d’appelés ont servi en Algérie entre 1954 et 1962. Leur envoi a donné lieu à un mouvement éphémère, en 1955 et 1956. Ces actions n’ont pas empêché la guerre, mais elles représentent les premières actions massives de contestation collective de la boucherie coloniale. En l’absence de relais national, de soutien d’une gauche qui a contribué au renforcement de la guerre, ces mouvements, confrontés à une répression féroce, n’ont pu se maintenir. L’engrenage de la guerre s’est alors renforcé dans la société française, jusqu’au début des années 1960, avec les procès médiatisés des réseaux de « porteurs de valises », et les premières manifestations pour la fin de la guerre d’Algérie.

Notes

1. J.-C. Jauffret (1992), « L’Armée française au combat, de 1954 à l’envoi du contingent », in La France en guerre d’Algérie ; T. Quemeneur, « Les manifestations de “rappelés” contre la guerre d’Algérie (1955-1956) ou contestation et obéissance », Revue française d’histoire d’outre-mer, n° 332-333, 2001.

2. S. Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005.

3. T. Quemeneur, « La Messe en l’Eglise Saint-Séverin, et le “dossier Jean Müller” », Des chrétiens et la désobéissance au début de la guerre d’Algérie (1955-1956) », Bulletin de l’IHTP, « Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au xxe siècle », n°83, juin 2004.

PATTIEU Sylvain

* Paru dans « Rouge » n° 2151 du 23 mars 2006.


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