Colombie : De la violence, de la paix et de la vie

mardi 1er juin 2021.
 

par Gustavo Petro, leader de l’opposition en Colombie, arrivé deuxième derrière Ivan Duque, l’actuel président, aux dernières élections présidentielles (2018). Les menaces de mort qui pèsent sur lui l’obligent à se déplacer avec des gardes du corps. Il analyse dans un texte publié sur le site Cuarto de Hora la situation en Colombie et appelle le peuple à lutter pacifiquement, pour la paix, et pour la vie.

Les sondages ont affolé l’extrême-droite du pays. Tous les sondages, sans exception, montrent un pays qui aspire au changement, qui voit un autre futur possible, une alternative au présent, sombre, en crise, plongé dans le chaos.

Le Covid et une politique très agressive du gouvernement en faveur des élites les plus puissantes de Colombie à un moment où la plus grande empathie était nécessaire envers la population la plus discriminée et la classe moyenne, ont mis à nu les énormes carences sociales, économiques et éthiques du pays.

L’espoir est plus puissant que la peur

Au milieu de cette crise que j’ai qualifié de vitale, la possibilité d’un réel changement devient concret et cela a déclenché l’hystérie d’un secteur de la société qui, habituée au privilège injuste, à la corruption, ne parvient pas à concevoir que tout irait mieux dans un pays vraiment démocratique, transparent et cultivé. Un pays pensé et construit pour la vie. Ceux qui veulent maintenir ce régime de pouvoir injuste veulent réveiller la peur. Mais ce qu’ils trouvent c’est de l’espoir. Il est certain que l’espoir est plus puissant que la peur, l’histoire l’a toujours démontré. Et aujourd’hui nous sommes un espoir.

Même Uribe ne devrait pas avoir peur, parce-que dans notre gouvernement, il ne serait pas poursuivi. Mais c’est cette peur que lui-même veut généraliser, pour pouvoir continuer à gouverner sans rien de valable à proposer au pays. Pour généraliser la peur, ils vont jusqu’à tuer des jeunes désarmés dans les manifestations, ils vont jusqu’à les torturer. Pour généraliser la peur, ils essaient de vendre à la société, devant l’absence des FARC, que l’ennemi c’est la jeunesse, qu’ils baptisent de vandale, oubliant que toutes les mères et tous les pères ne peuvent pas considérer leurs enfants comme des ennemis.

Ce dont a été témoin le pays est barbare. On ne peut que le comparer aux pires dictatures les plus sanguinaires. C’est une véritable rupture éthique promue par le gouvernement. Tirer en abondance sur des manifestants pacifiques, faire disparaître des jeunes, transformer des lieux en centres de torture. Il suffit de voir les vidéos des magasins du groupe Exito dans le quartier de La Floresta de Cali pour comprendre partiellement le degré de sauvagerie qui nous est présenté. Une entreprise qui prête ses installations pour être un centre de détention pour les jeunes, qui se transforme en centre de torture, avec du sang répandu sur son sol et ses murs, corrompant ainsi leurs marchandises. Pour que le lendemain tout soit lavé et caché. Quelques chefs de police qui croient que remplir leur mission envers la patrie consiste à humilier la jeunesse, la frapper et la tuer, une presse qui se tait et qui cherche des responsables là où ils ne sont pas, pour éviter de pointer du doigt la véritable responsabilité, une société nantie qui tire depuis des pick-up, en se prenant pour Pablo Escobar. Un président, admirateur de Turbay, qui croit devenir un grand et bon gouvernant en laissant s’accroître le massacre.

Ils ont construit leur stratégie désespérée pour inverser les sondages et conserver le pouvoir : Me rendre coupable de la mobilisation populaire et de la violence.

Pour tenter de calmer le délire hystérique dans lequel ils vivent, ils décident qu’une partie de la jeunesse est l’ennemie : la jeunesse pauvre, et, littéralement, la poursuivent et la massacrent. Maintenant, ils essaient de convertir cette jeunesse pauvre en une espèce de zombies obéissant à mes ordres, pour voir si la société considère que c’est moi l’ennemi. Ils pourraient ainsi gagner à nouveau les élections avec facilité.

Depuis la vidéo en anglais publiée par María del Rosario Guerra et l’entreprise menée par l’ex Ministre des Affaires Étrangères, Claudia Blum, en passant par les réseaux des congressistes du Centre Démocratique jusqu’à la rubrique de Vicky Dávila, avec un faux auto-entretien du président en anglais, ils ont construit leur stratégie désespérée pour inverser les sondages et conserver le pouvoir. Me rendre coupable de la mobilisation populaire et de la violence. La stratégie consiste en ce que la peur modifie les votes et empêche le pays d’avoir le changement dont il a besoin. Elle consiste aussi à ce qu’un quelconque groupe finance avec de l’argent sale mon assassinat. Ce sont les deux manières qu’ils ont trouvé pour conserver le pouvoir en 2022. Et les deux, ensemble, représentent une rupture éthique absolue. Utiliser la mort des jeunes pour gagner les élections de 2022.

Pas un seul des rassemblements que j’ai organisés (qui ont tous eu lieu avant la crise du chômage), ceux de ma destitution arbitraire par Ordoñez quand j’étais maire, ceux de ma campagne électorale de 2018, ceux de mes rencontres avec les citoyens avant le covid, aucun n’a été violent. Il n’y a pas eu un seul acte violent dans un seul de ces rassemblements. Tous ont été absolument pacifiques.

Maintenant, face aux mobilisations sociales que je n’ai pas organisées, mais qui s’auto-organisent, je me suis limité à suggérer publiquement que les blocages contre le chômage actuel soient des manifestations pacifiques. J’ai appelé à ne pas affronter la police parce-que c’est un piège. J’ai appelé à la fraternisation entre policiers et manifestants, j’ai appelé à la gaieté. J’ai appelé à la vie, même lorsque j’ai côtoyé les frontières de la mort avec le Covid, dont j’ai souffert comme des millions de Colombiens, sans aucun traitement privilégié, sans en profiter pour me faire vacciner, ce qui aurait manqué de respect aux plus âgés.

Le mensonge et la peur, sont pour eux, la base du pouvoir.

J’ai appelé à la paix de manière publique, ouverte et franche, personne ne peut dire qu’un seul membre de Colombia Humana a appelé à la violence. Mais pour l’uribisme, la vérité n’importe pas. Je disais dans ma précédente note qu’ils poursuivent la tactique de Goebbels, le conseiller en communication d’Hitler.

Le mensonge et la peur, sont pour eux, la base du pouvoir. La réalité, différente de ce qu’ils veulent nous présenter, construite par leurs propagandistes, est que Uribe, Carrasquilla et Duque sont les responsables de l’explosion sociale. C’est l’incapacité du gouvernement et sa piètre conduite devant les propriétaires de la banque et de la terre qui ont conduit à l’explosion sociale. Pour occulter leur propre responsabilité, ils cherchent des coupables fictifs au sein du ELN, en Maduro ou en moi.

Ils ont décidé de définancer l’état en 2019, pour alléger les impôts des riches de milliards de pesos. Pour l’année qui commence, ce cadeau reviendra à 15 milliards de pesos. Ils ont décidé de sur-endetter le pays en 2020, de 28.000 millions de dollars ! sans que cet argent ait servi à renforcer la politique de la vie, celle qui contrôle le covid, la faim et l’emploi. Et face à la réalité d’un déficit fiscal initié par leur propre irresponsabilité, ils ont donc décidé de créer un impôt sur la nourriture pour diminuer le déficit qu’eux-mêmes ont produit et ils ont ainsi provoqué l’explosion sociale.

Le jour-même où ils ont retiré la réforme fiscale et où nous avons tous cru que se terminerait la mobilisation sociale, ils ont commis la pire maladresse de toutes : tirer sur les gens mobilisés. L’indignation a gagné la jeunesse populaire de telle sorte qu’aujourd’hui encore, ils occupent la rue. Une jeunesse qui n’a rien à perdre et qui réclame le droit de vivre.

Ce n’est pas moi qui ai demandé la réduction des impôts aux riches en 2019. Au contraire, j’ai averti publiquement au sénat de la république, qu’une telle décision n’apporterait pas plus d’emplois mais plus d’inégalités et la crise des finances publiques.

Ce n’est pas moi qui ai demandé à ce que le pays s’endette pour soutenir les profits de Luis Carlos Sarmiento et les propriétaires de banque. Au contraire, j’ai demandé un autre type de politique sociale pour affronter le Covid, nous avons proposé le revenu de base pendant les quarantaines et l’allocation totale de la charge salariale pour les petites et moyennes entreprises. Ils se sont moqués de moi lorsque j’ai dit que j’avais une autre source de financement, autre que la dette, qui consistait en la redirection des fonds de la Banque de la République vers le revenu de base et l’allocation des charges, au lieu d’être dirigés vers la banque privée.

Pour le gouvernement, la priorité n’est pas le droit de vivre.

J’ai dit publiquement que contrôler le Covid impliquait une redistribution des revenus envers la population pauvre et la classe moyenne, et que cela était nécessaire pour sauver la vie. Comme il fallait s’y attendre, avec une politique économique pensée en 2020 par Carrasquilla comme une politique de sauvetage des profits bancaires, on n’allait contrôler ni le Covid, ni la faim, ni l’emploi. Mais pour le gouvernement tout ceci n’est pas la priorité. La priorité n’est pas le droit de vivre.

Ce n’est pas moi qui ai proposé en 2021 de créer des impôts sur la nourriture pour sauver la crise financière, déclenchée par ce même gouvernement. Au contraire, j’ai dit qu’en abrogeant la réforme fiscale de 2019, ce qui n’affecterait pas la classe moyenne et populaire de Colombie, on pourrait trouver les ressources pour réduire le déficit.

Mais Uribe, Carrasquilla et Duque n’ont pas entendu raison. Aveugles, ils faisaient des calculs électoraux, point. « Objectif 2022 » a dit Uribe et cela a suscité l’obéissance comme toujours chez ses adeptes, adeptes qui ont en première ligne le même président de la république. Ils n’ont pas pensé à ce qu’il se passerait en 2020 et en 2021 avec le Covid, ils n’ont pensé qu’à la façon de gagner les élections de 2022.

Finalement, cette réalité sur la conduite du gouvernement et la mienne, a abouti à l’attaque contre moi. Ils m’accusent de la violence qu’eux-mêmes ont provoquée, ils m’accusent de la crise qu’eux-mêmes ont produit, ils mettent leurs propagandistes en scène sur les réseaux et dans la presse pour répéter leur texte comme des zombies. Le pays doit accuser Petro, peu importe s’ils le tuent, encore une fois tant que la responsabilité de la barbarie ne vient pas d’eux, ceux qui donnent les ordres, ceux qui gouvernent.

Ils pensent, obsédés, à se maintenir au pouvoir. Ils ne pensent qu’à l’ « objectif 2022 ». Ils ont incendié notre pays en plein Covid. Ils sont en train de tuer et de torturer à tort et à travers juste pour se maintenir au pouvoir en 2022.

Nous nous devons de répondre. Et ce n’est pas en les égalant dans la barbarie.

Comme je l’ai toujours dit de manière publique, le blocage doit se transformer en une foule pacifique, la foule peut gagner la restructuration de la politique sociale du gouvernement grâce à l’ampleur de sa mobilisation. Le blocage mène à l’usure et c’est le but de la barbarie répressive. La foule est moins vulnérable à la violence de l’état et conduit à la négociation immédiate. La non violence active est notre réponse à la barbarie gouvernementale. Nous sommes cohérents dans notre façon de nous exprimer comme corps social, avec notre politique de la vie. Avec le fait que la vie de tous les Colombiens et toutes les Colombiennes sont le nouvel axe formateur des politiques concrètes de gouvernement.

Nous n’allons pas nous taire face à la barbarie. Nous la dénonçons. Ceux qui ont commis des crimes de lèse humanité contre la jeunesse doivent sortir des institutions publiques et être jugés par les instances indépendantes du gouvernement. La police sera restructurée pour qu’elle soit la garantie de la vie de tous les fils et de toutes les filles des mères de Colombie, et non pour qu’ils soient leurs bourreaux.

Nous demandons au patronat de ne plus se laisser abuser sur la situation du pays. Ce dont ils sont les témoins et ce qui bloque leurs marchandises n’est pas un plan prédéterminé par le communisme international. C’est la réalité sociale délaissée depuis bien trop longtemps. Par conséquent, ce qui peut faire croître leurs propres affaires, c’est bien de s’occuper de cette société qui a éclaté.

Un pacte social est indispensable.

Je demande aux policiers et aux soldats du pays de ne pas tirer sur le peuple, la majorité ne l’a pas fait. La majorité n’a pas sorti les armes. Beaucoup ont fraternisé avec les gens. Dorénavant, de plus en plus de chefs vont vous ordonner de tirer. Ne le faites pas. Quand viendra l’heure des jugements, ces chefs bureaucrates vous abandonneront et vous rendront responsables d’absolument tous les évènements, comme ils l’ont fait avec les 6 402 exécutions de jeunes pendant les gouvernements d’Uribe.

Il est temps que soldats et policiers embrassent les jeunes civils de leur propre peuple, de leurs propres quartiers et communes. Vous n’êtes pas ennemis, vous êtes la chaire de la même réalité populaire. Nous ne voulons pas de violence ni d’incendie, la peur sert seulement Uribe et ses amis.

C’est la paix qui apporte le changement. Et nous sommes l’espoir du changement. Le changement que nous proposons est un pays où il est possible de vivre. Où la vie est l’axe du gouvernement. Nous vous proposons un gouvernement pour la vie. Le plus grand des droits.


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