Morts du Covid-19 : la pauvreté, une comorbidité sous-estimée

vendredi 23 avril 2021.
 

Au-delà des inégalités nationales, de nombreux pays recensent plus de morts du Covid-19 parmi les plus défavorisés.

COVID-19 - La France a franchi le seuil symbolique des 100.000 victimes du coronavirus. 100.000 âmes, pour autant de stèles, qui en quelques mots devront rendre compte de vies entières, emportées brutalement par la maladie. Qui sont les morts du Covid-19 ? La pandémie ne tue pas de manière uniforme. C’est un fait établi, le coronavirus cause plus de décès parmi les plus âgés et ceux dont la santé est la plus fragile ; les politiques publiques d’une grande majorité de pays visent d’ailleurs à protéger et à vacciner ces catégories de population en priorité. Mais le coronavirus percute aussi et surtout les plus pauvres, un constat moins évident, car plus complexe à établir.

Pour se rendre compte de l’ampleur des inégalités du Covid-19, il faut regarder le profil des victimes, au sein des territoires nationaux. Dans l’Hexagone comme dans de nombreux autres pays disposant d’un système de soin développé comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, les morts se ressemblent. Il existe une comorbidité sous-estimée, sociale. Dans les housses mortuaires, beaucoup de personnes âgées. Beaucoup de personnes obèses ou fumeurs. Et surtout, beaucoup de pauvres.

“La mort frappe de manière disproportionnée les familles qui gagnent le moins, les moins éduquées et les minorités”, concluaient ainsi les auteurs d’un article de recherche d’Harvard, paru le 11 janvier 2021, dans Plos medecine. Ces chercheurs se sont appuyés sur le bilan national américain plutôt que sur les décès dans les centres de soin, où les pauvres et les riches meurent en même proportion. Aux États-Unis, les plus démunis décèdent chez eux ; l’hôpital est trop cher. “La surmortalité sociale du Covid-19 est comparable aux comorbidités médicales telles que le diabète ou l’hypertension”, insistent les auteurs de l’étude.

Même constat au Royaume-Uni. Les habitants des comtés les plus pauvres de Grande-Bretagne sont deux fois plus nombreux à mourir du Covid-19, que ceux des territoires les plus aisés, selon les statistiques de l’ONS, l’équivalent anglais de l’INSEE. L’institut statistique précise qu’avant la pandémie, les personnes aux revenus les plus modestes ou sans-emploi avaient déjà une espérance de vie plus faible que les autres (ceci est vrai partout dans le monde), mais le Covid-19 semble accentuer les inégalités face à la mort.

Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, les soins sont peu remboursés, ce qui explique en partie que les précaires meurent plus, faute de diagnostic ou de traitement. De plus, les pauvres sont plus souvent atteints de diabète ou d’hypertension, deux comorbidités du Covid-19. Mais cela n’explique pas entièrement cette injustice face à maladie .

En France, pays de l’État providence et de la santé gratuite pour tous, le Covid-19 s’abat aussi et surtout sur les familles les plus modestes. Les personnes de plus de 80 ans les plus défavorisées ont deux fois plus de risques de mourir du coronavirus que les plus aisées, selon les analyses des données menées par Epi-Phare, dévoilées en février dernier.

Ce phénomène n’est pas propre à une seule classe d’âge, il frappe systématiquement les plus de 50 ans. Le HuffPost a pu consulter une étude française en attente de relecture aux résultats édifiants. Elle démontre l’ampleur des inégalités face au coronavirus. Partout en France, les villes et villages les plus modestes enterrent leurs pauvres. Toutes choses égales par ailleurs, les communes qui font partie des 25% les plus pauvres déplorent une surmortalité 30% plus élevée que dans le reste de la France, par rapport à 2018 et 2019.

“Ce constat se répète à chaque vague. Les inégalités face au Covid-19 perdurent”, précise pour le HuffPost Clément Brébion, un des auteurs de l’étude, réalisée par l’École d’économie de Paris. Un territoire cristallise cette injustice. La Seine-Saint-Denis est le département le plus pauvre de France métropolitaine. C’est aussi celui où le Covid-19 a fauché le plus de vies.

Dans la plupart des communes pauvres, en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, les logements sont souvent petits et surpeuplés. “La promiscuité des logements des plus précaires participe aussi à renforcer ces inégalités face à la pandémie, car cela accentue les contaminations”, explique Clément Brébion. Les personnes aux plus faibles revenus sont aussi souvent des travailleurs essentiels ; en présentiel malgré les restrictions sanitaires.

“C’est sur le levier du travail que le gouvernement peut vraisemblablement jouer à court terme pour rectifier ces inégalités, en veillant à mieux protéger les salariés en entreprise et durant les trajets quotidiens”, estime Clément Brébion, car il est difficile de répondre rapidement au problème des logements surpeuplés.

Pour apaiser les proches des 100.000 familles endeuillées par le Covid-19 en France, le gouvernement réfléchit à l’instauration d’un jour dédié à ceux emportés par ce fléau, depuis la publication d’une lettre ouverte par les proches des défunts. Dans le grand vacarme des injustices de la crise sanitaire, les associations de victimes demandent quelques minutes de silence, pour se recueillir.

Antoine Beau


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