Occupations des théâtres : les travailleurs de l’art rallument la lumière

lundi 5 avril 2021.
 

Avec les occupations de près de 100 théâtres qui durent depuis maintenant quatre semaines dans le pays, les travailleurs de l’art rallument une lumière au bout du chemin. Elles et ils réaffirment l’importance de la joie et du partage du sensible, qui nous sont essentiels. Elles et ils défendent également leurs conditions matérielles d’existence et leurs droits, et, enfin, se mobilisent pour l’intérêt général en demandant le retrait de la contre-réforme libérale de l’assurance chômage. Les travailleurs de l’art sont aujourd’hui les éclaireurs de la lutte contre la précarisation généralisée, comme l’ont été les Gilets Jaunes et les militants contre la réforme des retraites. Le printemps est inexorable.

Une mobilisation inédite

Depuis le 4 mars, soit désormais depuis plus de quatre semaines, le théâtre de l’Odéon est occupé, à l’appel de la CGT Spectacle et du Collectif des intermittent-es et des précaires. Le mouvement s’est très rapidement étendu à un grand nombre de théâtres un peu partout en France : près de 100 théâtres sont désormais occupés dans le pays. C’est une mobilisation absolument inédite, dont l’ampleur force l’admiration.

Depuis le début de la crise sanitaire, c’est-à-dire depuis maintenant plus d’un an, les intermittents et l’ensemble des travailleurs discontinus sont dans une situation matériellement critique et dans une incertitude absolue quant à leur avenir proche. Au son du slogan “occupons ailleurs qu’à l’Odéon, occupez partout où vous voulez”, et après que les étudiants en école de théâtre aient rejoint la lutte, l’idée d’occuper partout a fleuri. Ces étudiants, qui sont dans une incertitude redoublée, se sont saisis de cette première occupation pour demander un plan d’accompagnement à l’insertion professionnelle pour celles et ceux dont l’entrée dans la vie professionnelle a été saccagée par la crise sanitaire et sa mauvaise gestion.

Les occupants réclament la réouverture des salles de théâtres et de l’ensemble des lieux culturels avec protocole sanitaire, un plan massif d’investissement pour la culture, et le prolongement de l’année blanche le temps nécessaire à une réelle reprise d’activité. Ces mesures d’urgence s’imposent, et une nécessaire planification aurait pu éviter de sacrifier la culture.

Pour l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage, contre la précarisation en marche

La macronie a remis sur la table la réforme de l’assurance chômage, qui doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021. Dans un contexte de triple crise : crise sanitaire, crise sociale et crise psychologique. Si la mobilisation de celles et ceux qui occupent les théâtres prend une telle ampleur, c’est aussi que les intermittents du spectacle, comme celles et ceux du tourisme et de la restauration (les “extras”), guides conférenciers etc qui occupent les théâtres, ont choisi de se mobiliser pour l’abrogation de cette contre-réforme libérale.

Appliquer une telle réforme, c’est ériger la précarisation de l’ensemble des salariés en règle. En dogme. L’idée sous-jacente qu’une baisse des allocations inciterait à un retour plus rapide à l’emploi est une insulte à toutes celles et ceux qui cherchent du travail sans en trouver. Cette réforme aura pour conséquence de diviser jusque par deux les allocations des travailleurs alternant chômage et emploi, et la durée d’emploi pour être indemnisé devra être de 6 mois sur une période de 28 mois (contre 4 mois sur une durée de 24 mois depuis le 1er août dernier). Les personnes qui touchent actuellement aux alentours de 900€ en toucheraient 600€. Ainsi, plusieurs centaines de milliers de personnes vont être plongées dans la misère.

Une telle réforme est dans la droite ligne de la “petite phrase” de Macron, selon lequel il suffit de traverser la rue pour trouver un travail. Au rebours de cette vision faussée du monde du travail, fondée sur la responsabilité individuelle, les occupants des théâtres demandent travail et protection sociale pour toutes et tous. Samuel Churin, acteur et coordinateur des intermittents et précaires, le dit avec force : “À mes amis occupants, je dis : continuons de mettre la lumière sur celles et ceux qui n’ont plus rien, sur les précaires réunis enfin dans un immense soulèvement collectif, amplifions, renforçons les occupations, occupons de nouveaux lieux, continuons à construire ce mouvement avec tous ceux qui ne sont jamais entrés dans ces théâtres. Alors nous pourrons penser ensemble un projet qui ne laisse personne de côté, qui mette l’être humain au centre de toutes nos préoccupations, qui mette le bien commun au-dessus de tout.”

Les travailleurs de l’art sont aujourd’hui les éclaireurs de la lutte contre la précarisation généralisée, comme l’ont été les Gilets Jaunes

Si cette lutte est puissance, c’est que les travailleurs de l’art sont aujourd’hui les éclaireurs de la lutte contre la précarisation généralisée, comme l’ont été les Gilets Jaunes et celles et ceux qui se sont mobilisés contre la réforme des retraites. Cette lutte est belle en ce qu’elle remet au centre l’essentiel : la pauvreté est de plus en plus massive dans notre pays, et c’est insupportable. La première urgence d’un gouvernement est plus que jamais d’éradiquer la pauvreté, comme le répète régulièrement Jean-Luc Mélenchon.

Mais l’incurie du gouvernement ne peut seule expliquer l’embrasement que nous sommes en train de vivre. Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacle, écrivait le 16 mars : “S’il y a un tel engouement c’est parce que les gens en ont ras-le-bol de n’avoir vu préservés par le gouvernement que les rapports marchands. Ils veulent de la joie, de la bonne humeur, de la culture, des échanges hors richesse marchande”.

Et les travailleurs de l’art sont bien en train de mettre à nu l’absence de considération absolue du gouvernement pour tout ce qui constitue la vie hors d’une vision brutale et inhumaine de création de richesse. Les travailleurs de l’art révèlent également au grand jour à nu l’idéologie mortifère de la macronie par leur façon de lutter. En occupant leurs lieux de travail, en organisant des agoras quotidiennes devant ces lieux occupés, c’est du commun qui peut se recréer. En liant leurs revendications à la proposition de moments artistiques, musicaux et festifs, elles et ils affirment que nous ne sommes pas uniquement des homo economicus, mais que nous avons un impérieux besoin de partager du sensible.

Le printemps est inexorable : vivons !

Dans un monde rendu invivable par le néo-libéralisme qui précarise, isole et assèche les imaginaires, dans un monde où la crise du coronavirus rend impossible les moments partagés dans la légèreté, ces occupations de théâtres qui se sont multipliées constituent une bonne nouvelle car elles installent dans le coeur des villes des lieux où la “joie” et la “bonne humeur” peuvent se reconquérir, pour prendre les mots de Denis Gravouil. Ces occupations nous ouvrent des lieux pour vivre pleinement, comme des personnes libres et sensibles, et non dans le cadre d’échanges marchands. Avec les occupations, le printemps est inexorable, pour reprendre les mots du poète Pablo Neruda eux-mêmes choisis comme slogan de la mobilisation du SYNDEAC le week-end des 20 et 21 mars avec son appel à mobilisation #feuvertpourlaculture.

Les travailleurs de l’art se mettent donc aujourd’hui au service d’une triple lutte. D’abord, pour la joie et le partage du sensible, ensuite, pour la défense de leurs conditions matérielles d’existence et de leurs droits. Enfin, après avoir participé aux manifestations contre la réforme des retraites (notamment avec le collectif “Art en grève”) ou encore aux manifestations des Gilets Jaunes (notamment avec le collectif “Yellow Submarine”), ils et elles se mobilisent pour l’intérêt général. A l’austérité d’une vie précaire, opposons la joie d’une lutte pour une vie solidaire.

On ne peut que remercier les travailleurs de l’art qui rallument une lumière au bout du chemin. Partout où nous sommes, soutenons-les massivement et faisons plier Macron et son monde.


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