COVID:Véran en annonçait des centaines… il y en a eu 36  : le fiasco des évacuations sanitaires

vendredi 2 avril 2021.
 

Mi-mars, le ministère de la Santé promettait des dizaines, voire "des centaines" d’évacuations sanitaires pour désengorger les hôpitaux des régions les plus touchées. Mais le refus des familles et l’instabilité des patients rendent la tâche ardue. "Un échec" pour de nombreux médecins réanimateurs. Samedi 13 mars 2021 : une image passe en boucle sur les journaux télévisés. Des soignants, lourdement équipés, portent à bout de bras des lits de réanimation installés dans des trains, des hélicoptères et des avions. Pour soulager les services venus à bout de leur capacité, dans le Nord et l’Île-de-France, Olivier Véran annonce alors "le transfert de dizaines, voire de centaines" de patients vers des hôpitaux de régions moins touchées par l’épidémie de Covid-19.

Mais derrière cette communication, la réalité est moins massive. En deux semaines, seules 36 évacuations ont été réalisées dans toute la France (en comptant celle depuis Mayotte et La Réunion) dont 13 depuis l’Île-de-France. Et désormais, plus aucun transfert n’est prévu, faute de candidats au départ.

BEAUCOUP DE CRITÈRES AVANT LE TRANSFERT Lors du premier confinement, entre mi-mars et mi-avril 2020, 658 patients avaient été transférés depuis le Grand Est et l’Île-de-France vers des régions épargnées. "Fort de cette expérience réussie il y a un an, on a voulu recommencer", explique Frédéric Adnet, chef du service des urgences à l’hôpital de Bobigny. "Sauf que les mêmes conditions ne sont plus les mêmes. Ça a été un fiasco."

Pour être transféré, un patient doit cocher plusieurs cases. "Il faut un sacré alignement de planètes", ironise Frédéric Adnet. En premier lieu, il doit être suffisamment stable et peser moins de 100 kg. "Ce qui n’est pas toujours le cas pour ces malades dont l’obésité est un facteur de comorbidité", indique Yves Cohen, chef du service réanimation à l’hôpital Avicenne de Bobigny. D’autant que les réanimateurs contactés par Marianne s’accordent à dire que l’état des patients de cette troisième vague est plus grave que lors des deux précédentes. "Beaucoup ne passent même plus par la case hospitalisation. Quand ils arrivent à l’hôpital, on les met directement en service de réanimation, avec une assistance respiratoire", relate le professeur Djillali Annane de l’hôpital Raymond Poincaré à Garches.

LES RAVAGES DU VARIANT ANGLAIS Un phénomène lié à l’apparition du variant britannique. "Nos collègues anglais nous avaient avertis qu’ils observaient depuis peu un rajeunissement de leurs patients admis en réa et une gravité plus importante", indique le Pr Annane. Résultat : "à peine plus de 10 %" des malades actuellement en réanimation en Île-de-France sont transférables, avait indiqué mardi le directeur de l’AP-HP Martin Hirsch. Soit pas plus de 120 personnes sur les 1 177 hospitalisées.

Outre ces critères de stabilité médicale, la capacité des hôpitaux d’accueil entre également en compte. "Or aujourd’hui toutes les régions sont touchées et il ne reste plus beaucoup de centres hospitaliers avec une grande marge de manœuvre", rappelle Frédéric Adnet.

LES REFUS MASSIFS DES FAMILLES La logistique n’est pas le seul frein à ces évacuations sanitaires. "Les familles refusent assez massivement que leur père, leur mère, leur frère ou leur mari soit transféré à plusieurs centaines de kilomètres", confie le Dr Timsit, chef du service de la réanimation médicale du service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat (Paris). "Et c’est compréhensible…", ajoute le médecin qui subit depuis quelques jours des violences verbales. Un courrier "plutôt menaçant et violent" lui a même été adressé la semaine dernière, indiquant qu’il était "hors de question" que M. X soit transféré dans une autre région. "On est dans une période où les gens sont très défiants et la solidarité est en berne" constate-t-il. Des violences verbales et parfois physiques toutefois plus ou moins habituelles dans ces services de réanimation où 30 % des patients ne survivent pas. "Encaisser, être face à l’anxiété des familles, c’est notre quotidien, glisse Frédéric Adnet. Ce n’est absolument pas spécifique aux évacuations sanitaires ou au covid".

La différence avec la première vague ? "Aujourd’hui on demande un consentement éclairé des familles avant de faire bouger leur proche, alors qu’il y a un an on le leur disait davantage à titre informatif, sans trop leur laisser le choix", témoigne le professeur Annane. Et pour cause : il y a un an, les visites à l’hôpital étaient interdites. "Ça ne dérangeait pas plus que ça de transférer le patient puisque de toute façon la famille ne pouvait pas venir", estime Jean-François Timsit.

LA PEUR DU TRI Pour pallier l’impossibilité de transférer des malades, certains services de réanimation s’organisent pour faire sortir des patients plus tôt de l’hôpital et les mettre sous oxygène à leur domicile. "Pour l’instant ça fonctionne bien et on arrive encore à dégager des lits", précise le Pr Annane. Mais tel n’est pas le cas dans tous les services. "À un moment, on va être obligé de faire quelque chose pour pouvoir libérer de la place et sauver des vies", pointe Jean-François Timsit dont le travail risque de se transformer en "médecine de bataille sous peu".

Les praticiens plaident davantage pour faire venir des soignants plutôt des patients pour pallier le manque de "bras". "Mais très peu de centres hospitaliers sont enclins à lâcher leurs équipes alors qu’ils voient bien que la situation se tend partout en France", déplore Jean-François Timsit.

Face à cette saturation, le Pr Annane plaide pour des restrictions plus dures. "Tous nos efforts seront vains, inutiles, futiles voire déraisonnés si rien n’est fait pour réduire la circulation du virus." Une lassitude à laquelle s’ajoute le sentiment de ne plus être écouté. "L’année dernière on était des héros, là on passe pour des pères fouettards", résume Jean-François Timsit. La crainte de devoir trier les patients refait surface. Elle est dans toutes les bouches. "Par quel miracle on éviterait les victimes ?" s’interroge Djillali Annane.


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